Salarié protégé harceleur : le scandale Europe 1 !

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Salarié protégé harceleur : le scandale Europe 1 ! Ou l’urgence d’une évolution jurisprudentielle lorsque le droit public sert les intérêts d’un salarié coupable pénalement d’actes de harcèlement au sein de l’entreprise. *Coupable pénalement et pourtant réintégré dans les effectifs de son entreprise, tel est le résultat auquel le jugement du tribunal administratif de Paris du 1er décembre 2020 opposant la société Europe 1 à l’un de ses salariés, a abouti (TA Paris, Société Europe 1 Télécompagnie, n°1916040).

Une telle situation a légitimement suscité l’incompréhension et la consternation générale des salariés et de l’opinion publique, alors qu’il s’agit de la stricte application du droit imposé aux employeurs tels qu’Europe 1. Dans ce contexte la question de la nécessité de forger un droit public social avec des règles adaptées aux salariés protégés est renouvelée.

Dans cette affaire, le droit public contraint la société Europe 1 à réintégrer un salarié protégé auteur d’actes de harcèlement moral et sexuel sur d’autres salariés

Le licenciement d’un salarié protégé (détenteur d’un mandat syndical) implique deux actes, d’abord l’autorisation administrative de licenciement demandée par l’employeur à l’administration du travail et ensuite une décision de licenciement adoptée par l’employeur bénéficiaire d’une décision administrative d’autorisation. En cas de contestation de la décision par le salarié protégé, il doit saisir le juge administratif.

Le contrôle du juge administratif porte, d’une part, sur la procédure et la forme (légalité externe) et d’autre part, sur le bien-fondé de la décision (légalité externe). Ainsi, il arrive régulièrement qu’un acte bien-fondé que l’administration a eu raison d’adopter soit annulé pour un vice de légalité externe. L’affaire portée devant le tribunal administratif de Paris contre la société Europe 1 et le Ministère du travail illustre cette situation.

Il a été jugé par le tribunal que la décision administrative autorisant le licenciement du salarié accordé par le Ministère du travail le 3 juin 2019 était entachée d’un vice de procédure (légalité externe). La lettre convoquant le salarié à l’entretien préalable au licenciement ne comportant pas toutes les mentions utiles, la décision a dû être annulée même si elle était justifiée. Une telle règle juridique, caractéristique du droit public, a des conséquences inadaptées voire néfastes lorsqu’elle est appliquée au droit du travail.

C’est dans ce contexte juridique que la société Europe 1 a été contrainte de procéder à la réintégration du salarié qui est obligatoire malgré la gravité des fautes commises et pour lesquelles il a été condamné par le tribunal correctionnel à 10 mois de prison avec sursis.

Après la réintégration, la société Europe 1 aura la possibilité de licencier de nouveau et définitivement ce salarié, la procédure pouvant être reprise. En attendant la réintégration est de droit avec des répercussions sur les autres salariés.

Cette affaire Europe 1 a été médiatisée ainsi que la consternation que la décision juridictionnelle a légitimement suscitée, ce dont on peut se féliciter. Pourtant de telles situations très critiquables compte tenu de l’impact qu’elles ont sur l’entreprise et surtout sur les salariés qui y travaillent, résultent du respect de la règle juridique actuellement en vigueur et la société Europe 1 n’est pas un cas isolé.

Le salarié protégé licencié sur le fondement d’une faute grave et dont l’autorisation de licenciement est annulée par le tribunal administratif peut obtenir une indemnisation de la part de son employeur.

Pour l’affaire Europe 1, seule la réintégration a été pointée du doigt, alors que cette affaire recèle un autre sujet, celui de la possible indemnisation du salarié. Une fois l’autorisation de licenciement annulée par le juge, le salarié protégé peut obtenir la condamnation de son employeur au paiement des salaires non versés pendant la période d’éviction, c’est-à-dire de son licenciement à sa réintégration.

Une telle possibilité n’existe que pour les seuls salariés protégés, conduisant à ce qu’un salarié fautif, auteur d’actes très graves dont la décision d’autorisation de licenciement a été annulée par le juge sur un vice de procédure peut obtenir des dommages et intérêts de son employeur.

Cette situation est tout aussi critiquable que la réintégration, voire plus. Dans le cas de la réintégration, l’employeur a la possibilité de procéder de nouveau au licenciement avec une procédure régularisée. En revanche, pour la demande d’indemnisation, l’employeur n’a qu’une marge de manœuvre limitée qui ne dépend pas de lui mais du juge d’appel voire de cassation qui se prononcera sur l’annulation de la décision d’autorisation de licenciement.

Si l’on peut parfaitement admettre l’indemnisation lorsque l’annulation repose sur l’absence de justification de la décision autorisant le licenciement, le salarié ayant été injustement licencié, elle est critiquable lorsque l’annulation se fonde sur un vice de légalité externe (caractéristique du droit public) et que la décision est en réalité justifiée et bien fondée, ce qui est le cas du dossier Europe 1. Or, le droit public n’opère pas de distinction sur les conséquences de ces deux situations qui sont pourtant bien différentes. Il y a là une anomalie juridique qui mériterait l’intervention du législateur ou à tout le moins un revirement de jurisprudence.

Une mise en perspective avec le droit de la fonction publique est intéressante pour comprendre la nécessité d’une évolution.

En droit de la fonction publique, les vices de procédure qui entachent une décision de licenciement ou de révocation bien fondée, ne permettent pas à l’agent d’obtenir la condamnation de son employeur au paiement des salaires non versés pendant la période d’éviction.

Les agents publics dont le licenciement ou la révocation serait illégale ne bénéficient pas des mêmes droits en fonction de la catégorie du vice concerné (externe ou interne) et sur lequel repose l’annulation.

Si la décision de licenciement ou de révocation est entachée d’un vice de légalité externe (forme ou procédure), l’agent a moins de droit que si la décision de licenciement est entachée d’un vice de légalité interne c’est-à-dire lorsqu’elle est infondée. La distinction est importante et résulte d’une jurisprudence bien établie. Cette distinction concerne spécifiquement les décisions de licenciement ou de révocation des agents publics faisant du droit de la fonction publique un corpus de règles adapté aux situations qu’il encadre.

La jurisprudence est claire, en présence d’un vice de légalité externe, dans la mesure où l’éviction de l’agent est justifiée, il ne peut pas bénéficier des salaires calculés sur la période d’éviction. Cette règle juridique de droit public, ne s’applique pas aux salariés protégés dans le privé et c’est là où la jurisprudence doit impérativement évoluer.

L’affaire Europe 1 met ainsi en lumière une véritable question juridique concernant le droit public appliqué aux décisions d’autorisation de licenciement des salariés protégés et qui doit nécessairement avancer vers des règles propres et plus adaptées.

Angelique Eyrignoux, avocate au barreau de Paris

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* Appel a été relevé de la décision pénale de première instance et qu'ainsi, tant qu'une décision définitive de condamnation n'est pas intervenue, la personne ayant fait l'objet de cette condamnation en première instance reste présumée innocente des faits qui lui sont reprochés. 


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