« Dans l'économie numérique actuelle, les données ne peuvent être utilisées d'une manière qui fausse la concurrence »1. Le ton est donné par la Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager qui a ouvert le 3 juin 2021 une enquête contre Facebook afin d’établir si le réseau social aurait exploité des données publicitaires des annonceurs utilisant ses services pour les concurrencer indûment. L’enquête de la Commission visant le marché des annonces en ligne et en particulier le service « Facebook Marketplace » vise les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) sanctionnant les accords anticoncurrentiels entre entreprises et les abus de position dominante.
Que prévoit la loi sur le recueil et l’utilisation de données publicitaires ?
Le recueil et l’usage de données est une pratique inhérente au secteur de la publicité permettant l’analyse des comportements des consommateurs afin de répondre à leurs attentes. Un avis du Conseil de l’Ethique Publicitaire apporte un éclairage sur la relation entre la publicité et les données révolutionnée par l’explosion du digital, en énonçant que « La publicité a toujours fonctionné sur le principe d’une adaptation de ses messages à des audiences qu’il était nécessaire de bien délimiter grâce à des croisements statistiques toujours plus élaborés. Toutefois et plus fondamentalement, l’activité publicitaire en elle-même sera vraisemblablement fortement impactée en raison du volume toujours croissant des données, de la possibilité technique de leur utilisation instantanée dès le recueil d’informations opéré »2. C’est parce que ces données opèrent en tant que « source de pouvoir de marché » 3 qu’elles sont stratégiques pour les acteurs économiques.
Le recueil de données publicitaires en ligne est autorisé. Toutefois, si celles-ci concernent des données personnelles à savoir toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable alors leur protection sera assurée par la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 et par le Règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016 (RGPD). La collecte et l’usage de ces données personnelles des utilisateurs seront soumis en particulier au droit à l’information, au recueil du consentement de l’utilisateur qui doit être en mesure de le retirer, à tout moment. Toutefois, le sujet se pose a priori sous un autre angle, celui du droit de la concurrence.
Est-ce que cela confère à Facebook un avantage concurrentiel indu dans le secteur des annonces en ligne ?
Facebook est sans conteste leader du secteur de la publicité en ligne en France ce que met en exergue un avis de l’Autorité de la concurrence affirmant que « Facebook et Google, les deux leaders du secteur de la publicité en ligne, fournissent principalement des services gratuits aux internautes et génèrent l’essentiel de leurs revenus à travers la commercialisation de services publicitaires aux éditeurs et annonceurs. Le succès de leurs services publicitaires sont fondés sur l’exploitation du volume colossal d’informations dont ils disposent grâce à la popularité de leurs sites ».4
Or, les données publicitaires recueillies par Facebook grâce aux services publicitaires mis à disposition des professionnels sont nécessairement stratégiques en tant que données commerciales confidentielles car non connues des concurrents. Le risque est évidemment que Facebook utilisant ces données stratégiques pour son propre compte en orientant par exemple les préférences des consommateurs, sa force de frappe étant telle, qu’elle fausse la concurrence en profitant de cette asymétrie d’informations pour avantager ses produits. C’est cette potentielle situation de conflits d’intérêts que la Commission souhaite tirer au clair.
Que risque Facebook si l’enquête révèle un comportement anticoncurrentiel ? Est-il possible d’aller au-delà d’une sanction pécuniaire ?
Dans sa recherche de preuves, la Commission dispose de nombreux moyens d’investigation, demandes de renseignements auxquelles Facebook sera tenue de répondre ou encore inspection dans les locaux. A l’issue de son enquête débutera une phase de procédure contradictoire au cours de laquelle la Commission communiquera le cas échéant ses griefs à Facebook qui pourra y répondre dans un délai fixé par l’autorité de contrôle. A l’issue de la procédure, si l’enquête révèle un comportement anticoncurrentiel, la Commission pourra rendre une décision motivée constatant l’infraction en faisant injonction d’y mettre fin. Telle décision d’interdiction peut être assortie d’une amende tenant compte de la gravité et de la durée de l’infraction.
Alternativement aux sanctions, les entreprises suspectées de pratiques anticoncurrentielles peuvent soumettre des offres d’engagements à la Commission afin de tenter d’échapper à la condamnation. La Commission reste toutefois libre d’accepter ou non telle proposition.
L’entreprise mise en cause peut également renoncer volontairement à contester les griefs qui lui sont adressés en échange d’une réduction de l’amende encourue. Toutefois, cette voie transactionnelle reste à l’appréciation de l’autorité de contrôle. Afin de bénéficier de cette réduction d’amende, l’entreprise doit avoir fait preuve de coopération pour faciliter le règlement de l’affaire. Google a souhaité bénéficier de cette procédure auprès de l’Autorité de la concurrence laquelle a prononcé à son encontre le 7 juin 2021 une sanction de 220 millions d’euros pour avoir favorisé ses propres services dans le secteur de la publicité en ligne et a rendu obligatoires les engagements proposés par Google pour sa mise en conformité5.
Les entreprises pourront-elles se retourner contre Facebook ?
La victime de pratiques anticoncurrentielles peut obtenir par voie judiciaire une réparation directe du préjudice subi au visa des articles L.481-1 et suivants du Code de commerce. Traditionnellement, il faut démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. L’existence d’une décision de la Commission entrant en condamnation confère de nombreux avantages pour la victime. Parmi eux, l’alinéa 3 de l’article 481-2 du Code de commerce précise que lorsque les juridictions françaises sont saisies « d’une action en dommages et intérêts du fait de cette pratique », elles ne peuvent pas prendre une décision qui irait à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Les juridictions nationales sont ainsi liées par les décisions rendues par cette dernière.
Mélanie Erber, Avocat associé, Coblence avocats et Marion Faupin, Avocat, Coblence avocats
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1 Communiqué de presse de la Commission européenne du 4 juin 2021 « Pratique anticoncurrentielles : la Commission ouvre une enquête sur un éventuel comportement anticoncurrentiel de Facebook ».
2 Avis du Conseil de l’Ethique Publicitaire « Big data et publicité » publié le 12 septembre 2016, rapporteur Thierry Libaert
3 Etude conjointe de l’Autorité de la concurrence et du Bundeskartellamt relative aux données et leurs enjeux pour l’application du droit de la concurrence publiée le 10 mai 2016
4 Avis de l’Autorité de la concurrence n°18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation de données dans le secteur de la publicité sur internet
5 Autorité de la concurrence - Décision 21-D-11 du 07 juin 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur Internet