Pour la première fois, la justice s’est prononcée sur le devoir de vigilance.
Dans deux jugements très attendus du 28 février 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a débouté six ONG de leur action contre TotalEnergies sur le devoir de vigilance. Le juge des référés a estimé irrecevables les assignations en référé de ces associations concernant les deux projets de développement pétrolier Tilenga et Eacop en Ouganda.
Six ONG ont saisi le juge des référés afin notamment d’enjoindre TotalEnergies d’exécuter ses obligations en matière de vigilance issues de la loi n° 2017-399 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, concernant les deux projets de développement pétrolier Tilenga et Eacop en Ouganda. Les associations ont également demandé la suspension des travaux relatifs à ces projets.
Définition de la RSE et portée extraterritoriale
Le juge des référés en a profité pour proposer une définition de la RSE : « La responsabilité sociale des entreprises, qui participe de cette évolution, désigne un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d’une démarche volontaire progressivement complétée par un cadre légal et réglementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l’évaluation de leur efficacité. ».
Il a aussi noté sa portée extraterritoriale : « en s'intéressant aux chaînes d'approvisionnement mondiales, ces législations sont nécessairement dotées d'effets extraterritoriaux compatibles avec une certaine interprétation de l'obligation de l'État de faire respecter par les tiers les droits de l'homme, aucune règle ne prohibant à l'État d'édicter des règles à portée extraterritoriale régissant les activités d'entreprises présentes sur son territoire. Le lien de rattachement entre l'État législateur et l'entreprise visée ne se limite pas à une conception stricte de la nationalité de la maison mère de l'entreprise, mais aux critères beaucoup plus larges du « domicile » des entreprises ».
Buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement
Par ailleurs, il a souligné que « cette législation assigne ainsi des buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement à certaines catégories d’entreprise précisant à minima les moyens qui doivent être mis en œuvre pour les atteindre. »
Le tribunal a rappelé que les mesures de vigilance issues de la loi du 27 mars 2017 sont générales et sans contours précis étant donné que le décret en Conseil d’Etat susceptible de préciser le contenu de ces mesures n’est pas encore publié.
Ensuite, le tribunal a indiqué que la loi précise a minima les moyens qui doivent être mis en œuvre par certaines catégories d’entreprises pour atteindre les buts de protection des droits humains et de l’environnement. Elle exige également que le plan de vigilance mis à la charge des entreprises soit élaboré dans le cadre d’une collaboration entre les parties prenantes et l’entreprise pour en garantir l’efficacité, cette volonté du législateur se concrétisant par un mécanisme de mise en demeure préalable à la saisine du juge instauré par l’article L. 225-102-4 du code de commerce.
Rejet des demandes
Le juge des référés relève que les demandes et griefs formulés par les associations sont substantiellement différents de ceux indiqués dans la mise en demeure adressée par ces associations à TotalEnergies le 24 juin 2019.
Par conséquent, le tribunal rejette leurs demandes, estimant que les griefs soulevés devant lui n’ont pas fait l’objet d’une mise en demeure préalable comme l’exige l’article L. 225-102-4 du code de commerce. Il a ajouté que l’appréciation des griefs et des manquements reprochés à TotalEnergies relève du juge du fond. « S’il entre dans les pouvoirs du juge des référés de délivrer une injonction en application des dispositions susvisées lorsque la société, soumise au régime du devoir de vigilance n’a pas établi de plan de vigilance, ou lorsque le caractère sommaire des rubriques confine à une inexistence du plan, ou lorsqu’une illicéité manifeste est caractérisée, avec l’évidence requise en référé, en revanche, il n‘entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de procéder à l’appréciation du caractère raisonnable des mesures adoptées par le plan, lorsque cette appréciation nécessite un examen en profondeur des éléments de la cause relevant du pouvoir du seul juge du fond » a indiqué le tribunal.
Arnaud Dumourier (@adumourier)