Marques & Influenceurs : Enfin un encadrement spécifique de la publicité et du marketing d’influence en 2023 ?

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Tribune de Clément Monnet, avocat à la Cour et Kenza Declercq, Norton Rose Fulbright LLP qui évoquent un encadrement juridique de la publicité et du marketing d’influence.

En vogue depuis quelques années désormais, le métier de l’influence et de la création de contenus sur les plateformes en ligne soulève de nombreuses problématiques sociales, économiques, et légales.

Les marques font de plus en plus appel à ces personnes publiques, suivies par plusieurs milliers de potentiels consommateurs, afin de promouvoir leurs services et/ou produits.

Si le cadre législatif de la publicité et en particulier celui du Code de la consommation s’applique naturellement aux pratiques des influenceurs[1], il n’en demeure pas moins que de nombreuses dérives – allant même jusqu’à des arnaques à grande échelle – ont été constatées ces dernières années.

Ce recours accru à cette nouvelle forme de publicité (qui touche en particulier un public vulnérable de par son jeune âge), a attiré l’attention de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). Ainsi, d’après un rapport du 23 janvier dernier, la DGCCRF a indiqué que 60 % des influenceurs ne respecteraient pas les règles de la publicité[2].

Du côté des organisations professionnelles, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a depuis longtemps déjà publié des fiches pratiques et des recommandations pour tenter d’encadrer la publicité et le marketing d’influence. L’ARPP propose même aux créateurs de contenus et aux marques qui activent ces opérations un « Certificat de l’influence responsable »[3].

Cela s’avère cependant insuffisant pour encadrer le phénomène de la publicité et du marketing d’influence. Ce qui explique que de nombreuses initiatives parlementaires ont émergé ces derniers mois[4], preuve aussi de l’intérêt des politiques pour une problématique qui touche de plus en plus de consommateurs.

Les acteurs de l’influence ont également conscience de l’importance de la question et de la nécessité de réguler le secteur. En janvier 2023, des professionnels ont créé l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (UMICC) qui est la première fédération professionnelle regroupant les acteurs du secteur de l’influence : agences d’influence, agences de créateurs de contenu, créateurs de contenu. L’UMICC a vocation à porter les intérêts des acteurs de l’influence et d’agir pour le développement d’une influence plus responsable afin de protéger les consommateurs.

De son côté, le Ministère de l’Economie a lancé une consultation publique autour de la question du métier des influenceurs qui s’est terminée le 31 janvier dernier.

Cette consultation permettait à toutes les personnes intéressées de donner leurs avis autour de 11 mesures réparties en quatre thématiques. Ces dernières ont été élaborées conjointement par l’ARPP, les associations de consommateurs, les associations de professionnels et des influenceurs. Selon le site Internet du Ministère de l’Economie, ces thématiques comprennent :

  • « les droits et les obligations des influenceurs pour permettre de poser une définition légale de l’influenceur / créateur de contenus et de l’agent d’influenceur. Une autre proposition consiste à imposer un contrat écrit et des obligations contractuelles entre influenceurs et marques ainsi qu’entre influenceurs et agences d’influence.
  • la propriété intellectuelle avec notamment le souhait de créer un site d’information à destination des influenceurs pour les protéger.
  • la protection des consommateurs avec notamment l’idée de renforcer les obligations des plateformes numériques ou la création d’un guide de bonnes pratiques et d’un site dédié pour les créateurs de contenus.
  • la gouvernance du secteur en proposant par exemple la création d’un label ou en encourageant la fondation d’une fédération professionnelle pour aider les influenceurs »[5].

Les conclusions sont attendue pour mi-mars.

Dans la lignée de cette action ministérielle, une nouvelle version enrichie et retravaillée de la proposition de la loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été déposée le 31 janvier 2023[6] et renvoyée à la Commission des affaires économiques de mars 2023.

Une législation consolidée en 2023 ?

Cette dernière proposition de loi a pour objectif de créer et renforcer un appareil juridique qui pourra à la fois responsabiliser et sanctionner, le cas échéant, tous les influenceurs, leurs agences, les annonceurs ainsi que les plateformes de diffusion, afin de renforcer la protection des utilisateurs des réseaux sociaux et des consommateurs.

A ce stade, les principales mesures de la proposition de loi sont les suivantes :

  • Création d’une définition du statut d’influenceur insérée dans une nouvelle sous-section du Code la consommation :

« Est considéré comme influenceur toute personne physique ou morale, qui, à titre onéreux ou en échange d’un avantage en nature, produit et diffuse par un moyen de communication électronique des contenus qui visent, à l’occasion de l’expression de sa personnalité, à promouvoir des biens, services, ou une cause quelconque ».

  • Interdiction de promouvoir par le biais d’opérations de publicité et marketing d’influence (i) les produits pharmaceutiques, les dispositifs médicaux et les actes de chirurgie, à l’exception du relai des campagnes de santé publique du Gouvernement, (ii) les placements ou investissements financiers et actifs numériques entraînant des risques de perte pour le consommateurs ainsi que (iii) les abonnements à des pronostics sportifs, les inscriptions à des formations professionnelles et les jeux d’argent et de hasard sauf lorsque le public est explicitement informé par un bandeau visible sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion que ceux‑ci sont réservés aux personnes majeures.
  • Création d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende en cas de violation des interdictions ci-dessus.
  • Création d’une obligation pour les influenceurs d’insérer un bandeau d’information visible sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion.
  • En cas de drop shipping : obligation pour l’influenceur d’informer les potentiels consommateurs que celui-ci ne joue qu’un rôle d’intermédiaire et de communiquer l’identité du fournisseur du produit ou du service en cause. Egalement, l’influenceur devra s’assurer de l’absence de fictivité du produit, ainsi que du respect par le vendeur initial des conditions générales de vente.
  • Création d’une définition du statut d’agent d’influenceur dans le Code du travail :

« Est considéré comme agent d’influenceur, toute personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre onéreux, à représenter ou mettre en relation les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influenceur définie à l’article 1er, avec des personnes physiques ou morales sollicitant leur service, dans le but de promouvoir, par un moyen de communication électronique, des biens, des services, ou une cause quelconque ».

  • Obligation de la régularisation d’un contrat écrit entre l’influenceur et son agence. Les influenceurs basés hors de France devront quant à eux désigner un représentant légal sur le territoire national.
  • A l’ image de ce qui existe déjà en matière de signalement des produits de contrefaçon, obligation pour les plateformes en ligne de mettre à disposition de leurs utilisateurs un mécanisme permettant de signaler des publications illicites. À compter d’un certain volume de signalements dont le seuil sera défini par décret, les plateformes en ligne devront contrôler les publications signalées avant un éventuel retrait.
  • Création pour ces mêmes plateformes d’une obligation de coopération avec les autorités compétentes afin de bloquer les contenus publicitaires définis comme mensongers en vertu des dispositions du Code de la consommation.
  • Intégration dans le Code de l’éducation de la notion de sensibilisation contre les risques d’escroquerie en ligne dans la formation aux risques numériques dispensée dans les établissements scolaires.

L’objectif de l’auteur de cette proposition de loi – qui pourrait être soutenue par le Gouvernement – est d'aboutir à une "législation consolidée d'ici la fin de l'année". Les prochains mois devraient être donc riches en débat sur ce sujet brulant.

Un volet répressif déjà en action

Pour la première fois en janvier 2023, une centaine de personne, à l’initiative du collectif d’Aide aux victimes d’influenceurs (AVI), a déposé deux plaintes collectives contre des influenceurs pour escroquerie et abus de confiance suite à la mise en vente et à la promotion de produits financiers. Pour ces faits, les créateurs de contenu encourent jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

Outre les sanctions pénales, des sanctions administratives ont déjà – par le passé –  été imposées pour sanctionner de mauvaises pratiques. En juillet 2021, une enquête de la DGCCRF a ainsi conduit au paiement d’une amende transactionnelle de 20 000 euros par l’influenceuse Nabilla Benattia-Vergara pour des pratiques commerciales trompeuses sur ses réseaux sociaux.

A retenir

Le recours aux publicités via des influenceurs peut se révéler très efficace dans la stratégie commerciale des marques afin de booster les ventes et la notoriété.

Néanmoins, il reste nécessaire pour les marques de rester très vigilantes quant au choix des créateurs de contenus sélectionnés afin de conserver intact leur image de marque.

Il appartient également aux marques de conserver une vigilance toute particulière quant aux futurs textes législatifs ou réglementaires qui imposeront de nouvelles obligations légales aux influenceurs, agences d’influenceurs et plateformes en ligne pouvant être le support d’opérations de publicité et de marketing d’influence.

Ainsi, le marché de l’influence va poursuivre sa transformation en 2023, un œil particulièrement attentif et averti devra être porté sur l’adoption du nouvel encadrement juridique à venir, ainsi que les suites données aux plaintes déposées. 

Clément Monnet, avocat à la Cour, Kenza Declercq, Norton Rose Fulbright LLP

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[1] Voir Article 20 de la loi n° 2004-575 pour la confiance en l’économie numérique du 21 juin 2004 : « toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée ». De même, l’article 83 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie  assimile à une pratique commerciale trompeuse – pénalement répréhensible – le fait de ne pas rendre clairement identifiable la personne pour le compte de laquelle une communication commerciale est mise en œuvre. Enfin, selon les cas, certaines pratiques des influenceurs peuvent tomber sous la qualification de « pratiques commerciales trompeuses » interdites par les articles L.121-2 à L. 121-5 du Code de la Consommation.

https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/marketing-dinfluence-60-des-influenceurs-cibles-par-la-dgccrf-en-anomalie-0

https://www.arpp.org/influence-responsable/

4 Voir par exemple : Proposition de loi n°456 du 15 novembre 2022 visant à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l’influence sur internet : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0456_proposition-loi# ou encore Proposition de loi n°672 du 27 décembre 2022 visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (texte retiré par son auteur le 9 février 2013) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0672_proposition-loi

5 Extrait du site : https://www.economie.gouv.fr/consultation-publique-donnez-votre-avis-sur-le-metier-des-influenceurs#

6 Proposition de loi n°790 du 23 janvier 2023 visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0790_proposition-loi


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