Le recours au "Third Party Litigation Fund" pour financer les litiges est une solution qui doit être envisagée avec attention.
Si la nécessité d’inclure les éléments d’ordre juridique dans leur stratégie est aujourd’hui ancrée dans un bon nombre d’entreprises, il reste toutefois souvent, pour les juristes d’entreprises, à convaincre que le droit ne doit pas être uniquement perçu comme un facteur contraignant mais qu’il doit au contraire être appréhendé comme un potentiel facteur différenciant, une arme stratégique.
Utiliser le droit comme arme stratégique peut revêtir différents visages. Il peut ainsi s’agir d’anticiper une législation, d’utiliser une imperfection normative ou de recourir à un instrument juridique particulier.
Parmi ces instruments juridiques se trouve notamment le recours au contentieux. Largement utilisé, pouvant même donner lieu à de véritables sagas judiciaires comme l’a récemment illustré la bataille Samsung-Apple, le contentieux constitue une arme stratégique redoutable dans de nombreuses situations.
Le recours au contentieux exige cependant lui-même la mise en place d’une véritable stratégie judiciaire. Ces stratégies judiciaires, qu’ils s’agissent d’une stratégie d’évitement ou d’agression (1) , demandent souvent un grand sens de l'anticipation et nécessitent parfois la mise en place de schémas contractuels ou de montages de société complexes. Dans la très grande majorité des cas, elles sont onéreuses et risquées, et par conséquent pas toujours compatible avec les capacités ou la stratégie de l’entreprise en matière de trésorerie ou de prise de risque.
Une nouvelle possibilité permettant de faire face à cette difficulté a récemment fait son apparition en France.
Né en Australie, le financement de contentieux par un tiers, ou Third Party Funding (TPF) connaît une expansion assez importante notamment outre-Manche où les fonds spécialisés tels que Harbour Litigation Funding (2) disposent de plusieurs centaines de millions de livres (2) et d'où la profession s’organise avec la mise en place d’un code de bonne conduite (4). En France, une première société dédiée au financement de contentieux, Alter Litigation (5), a vu le jour début 2013.
Le TPF consiste à faire financer tous les frais liés au contentieux par une société spécialisée qui se rémunère en prenant un pourcentage sur les sommes recouvrées à l’issue du litige en cas de succès. Le pourcentage qui semble généralement varier de 30 à 60% est calculé en fonction d’un certain nombre de critères tels que la prise en compte du risque lié aux chances de succès, la durée des contentieux ou le montant de l’investissement par rapport au montant des dommages réclamés. Il s’agit donc d’une opération de capital risque prenant le forme d’un financement hors bilan.
Le type de contentieux potentiellement concernés est assez large, les arbitrages restant sans doute le plus adapté à la mise en place d’un TPF en raison d’un côté du coût souvent élevé d’une telle procédure et de l’autre de la relative rapidité de la procédure qui permet un retour sur investissement plus bref pour le TPF qu’un contentieux classique.
D’un point de vue pratique, obtenir ce type de financement requiert de se soumettre à un examen approfondi du contentieux par l’équipe du TPF, examen qui comprend notamment l’analyse des fondements de l’action, une revue des dommages réclamés et de la solvabilité du défendeur. Les taux d’acceptation annoncés par les fonds anglo-saxons restent faibles. Juridica (6), l’un des principaux acteurs sur ce marché, n’annonce ainsi n’avoir investi que dans 2.5% des contentieux qui lui ont été soumis. Pour être accepté un dossier semble devoir permettre au TPF d’envisager de recouvrer au moins trois fois son investissement.
Une fois le financement obtenu, l’équipe du TPF intervient au cours de la procédure. Elle est présente comme conseil dans la prise des décisions stratégiques, en mettant ses moyens au service du demandeur.
En cas de succès, la rémunération se fera sur un pourcentage de la somme des dommages intérêts alloués, mais en cas d’échec, le demandeur n’est tenu à aucun remboursement des fonds investis pour le déroulement du contentieux ; il n’aura donc pas subi de perte. Il s’agit en fait de transférer aux investisseurs le risque lié à l’incertitude de l’issue d’un contentieux.
Le retour sur investissement repose par conséquent essentiellement sur la phase d’expertise et d’évaluation des chances de succès.
Un autre élément intéressant est à considérer. Nombreuses sont les difficultés que l’on peut rencontrer pour faire exécuter une décision. Or, étant généralement rémunéré sur le montant recouvré, et non par sur celui prononcé, le TPF participe aussi à l’exécution de la décision.
Si le recours au TPF peut soulever certaines questions telles que celle d’un éventuel conflit d’intérêt en cours de procédure entre le TPF et la partie appuyée ou celle sur le contrôle ou la fiabilité des fonds investis, il n’en est pas moins une solution qui se doit d’être regardée avec intérêt par tout DAF, responsable ou directeur juridique car permettant une gestion intéressante du risque et des liquidités de l’entreprise.
Jean-Pierre Blin, Responsable Juridique HOP!-Brit Air - Expert Associé au Centre Européen de Droit et d’Economie de l’ESSEC
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1 Sur ce thème : C Champaud, D. Danet, « Stratégies judiciaires des entreprises », Dalloz 2006
2 http://www.harbourlitigationfunding.com/
3 Notamment O. Bowcott, « Litigation funders become big business, enjoying booming market in the UK », The Guardian, 25/05/2012
4 et d’une association, the « Assocciation of litigation funders » : http://associationoflitigationfunders.com/