David Millet, conseil en propriété industrielle et conseil européen en marques, dessin et modèles chez Lavoix revient sur les principes clés pour construire et réussir sa propriété intellectuelle en Chine.
La Chine reste encore aujourd’hui le pays de tous les superlatifs, un des plus peuplés au monde avec près d’un milliard 400 millions d’habitants, un PIB multiplié par 30 en 20 ans, une croissance économique annuelle moyenne de 10% pendant plusieurs décennies, avec en 2023 une prévision de croissance de l’ordre de 5,2%. Elle compte des infrastructures modernes, un revenu annuel moyen de 10.410 USD avec le développement d’une véritable classe moyenne comptant 350 à 400 millions de personnes.
Les données en matière de dépôts de brevets, modèles et marques n’échappent pas à ce gigantisme : en 2022, plus de 7 millions de marques et plus de 1,6 million de brevets ont été déposés en Chine. Plus de 85% de ces dépôts en brevets, dont plus de 95 % en marques, ont été réalisés par des ressortissants chinois ou des sociétés chinoises. Une situation qui démontre l’implication des entreprises chinoises pour que la législation, la pratique de l’Office chinois et la jurisprudence évoluent en termes de propriété industrielle.
Pour les entreprises étrangères qui investissent ce marché, les clés d’une commercialisation réussie et vectrice de croissance majeure pour une marque passent par 2 maitres-mots : anticipation et adaptation.
Un cadre légal récent et en constante évolution
La Chine n’est pas une zone de non-droit en matière de propriété intellectuelle. La propriété industrielle y date des années 80, une histoire somme toute récente et toujours en cours d’écriture. Le 1ᵉʳ novembre 2019, la loi chinoise sur les marques a été modifiée afin de renforcer la lutte contre les demandes malveillantes d'enregistrement de marques. L’office chinois peut dorénavant rejeter plus facilement ces demandes, notamment au stade de leur examen, dans le cadre d’une opposition ou d’une action en nullité. Il est appuyé en cela par la Cour populaire de Pékin, qui, dans une directive du 24 avril 2019, a donné des critères d’appréciation de la mauvaise foi d’un déposant (similarité des signes, distinctivité des signes, relations commerciales entre les parties, etc..).
Au cours des dernières années, les tribunaux chinois ont été plus enclins à sanctionner sévèrement la contrefaçon, même si des difficultés persistent.
Ces difficultés ne doivent pas avoir pour conséquence de renoncer à toute protection de ses créations ou signes distinctifs en Chine.
L’anticipation, clé de la réussite chinoise
Se préparer au marché chinois consiste en premier lieu à prendre acte des différences culturelles entre la Chine et l’occident ; des différences qui doivent être prises en compte dans la définition d’une stratégie commerciale mais également de protection de ses actifs immatériels.
Commercer avec la Chine, c’est déjà accepter et intégrer un environnement culturel différent, avec des repères distincts. La spécificité de la langue déjà : une lapalissade : en Chine, on parle chinois ! enfin, le mandarin (langue officielle), le cantonais (+72 millions de personnes), le WU (+78 millions de personnes), le minn, etc. Avec en outre un système dit « Pinyin », permettant de transcrire phonétiquement la prononciation du chinois mandarin à l’aide de l’alphabet latin.
Aussi, les marques en caractères latins seront perçues par la grande majorité des consommateurs chinois comme une image, sans signification. L’anglais, première langue occidentale en Chine, ne serait parlée que par 5 à 10% de la population. Autant de données qui doivent être prises en compte dans le cadre d’un développement commercial en Chine.
S’adapter pour traduire, transcrire, protéger ses marques
Le choix, la maîtrise et la protection de la transcription chinoise de sa marque et des éléments d’identification de ses produits ou de son entreprise sont donc vitaux. L’enjeu est de contrôler l’image des marques en Chine.
Il est donc capital de les traduire/ transcrire en caractères chinois et de procéder à un dépôt de marque. En effet, le dépôt d’une marque en caractères latins ne permet pas, en principe, de s’opposer à l’usage et l’enregistrement d’une marque en caractères chinois phonétiquement identique.
Une marque en caractères latins peut avoir plusieurs équivalents chinois basés sur la translittération et / ou la traduction, en particulier lorsque la marque en caractères latins est un mot inventé, sans aucune signification.
Faut-il déposer en caractères chinois et si oui lesquels ?
La conduite de recherches d’antériorités permet souvent de clarifier ce choix : en cas d’indisponibilité de la traduction ou plus simplement en présence d’un terme inventé, une transcription s’impose, en déterminant les messages, les images que l’entreprise souhaite véhiculer. Cela nécessite une concertation et un échange avec le service marketing/communication car la transcription doit être en phase avec l’histoire de la marque et son image. Il convient également de s’assurer que les caractères choisis n’auront pas une connotation négative pour le consommateur chinois : ce choix n’est donc pas anodin.
Le maître mot en Chine est et demeure l’anticipation : il ne faut pas attendre le développement du business pour protéger ses marques en caractères chinois (et à fortiori en caractères latins…).
Le droit chinois des marques appliquant le principe du premier déposant, il est impératif de protéger ses signes distinctifs avant toute entrée sur le marché chinois et plus généralement, avec le développement des réseaux sociaux, avant toute communication, en procédant, à un premier dépôt en France donnant naissance à un droit de priorité de six mois.
Le 21 septembre 2021, la Chine a adopté un nouveau plan d’amélioration de la Propriété Intellectuelle pour la période 2021 à 2035. Ce plan a notamment pour objectif de stimuler l’innovation (avec un objectif de 12 brevets de « grande valeur » pour 10 000 habitants) pour faire de la Chine une puissance en matière de droits de propriété intellectuelle et "construire un système de propriété intellectuelle au service de la modernisation socialiste". Il évoque plusieurs points clés comme des mesures visant à améliorer la protection et la défense des droits en Chine.
Le chemin peut paraitre long, parsemé d’embuches et d’incertitudes, liées notamment à un contexte politique spécifique. Pour autant, bien se préparer au marché chinois est primordial pour une implantation durable. La Chine demeure le deuxième importateur mondial et une source de croissance certaine pour les entreprises françaises et européennes avec un marché de plus de 1,3 milliard de consommateurs.
David Millet, conseil en propriété industrielle et conseil européen en marques, dessin et modèles chez Lavoix