Par deux arrêts du 26 juin 2024[1], la Cour de cassation instaure une définition unifiée du parasitisme. Elle consolide une jurisprudence abondante en faisant de la valeur économique individualisée un élément central et préalable. La clarification est bienvenue mais ne devrait pas tarir le contentieux en la matière, tant la notion et ses limites demeurent casuistiques explique Julie Pasternak, Associée, Darrois Villey Maillot Brochier.
Plus qu’une idée ou qu’un simple concept mais moins qu’un élément couvert par un droit de propriété intellectuelle ou industrielle : la « valeur économique individualisée et identifiée » n’est pas dénuée de protection. Elle confère à son créateur le droit d’obtenir réparation de toute perte de valeur qui serait sciemment causée par un tiers se plaçant dans son sillage afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
C’est ce que rappellent les arrêts commentés dont la publication (lettre de la Chambre commerciale, Bulletin et Rapport) témoigne de l’importance. Ces arrêts n’apportent pas de réelle nouveauté. Ils n’ont pour vocation que de « clarifier » cette notion « flou[e] » et qui fait l’objet « de courants d’approches variées » comme l’indique la Cour qui résume ainsi sa position : « Si les idées sont de libre parcours, et que le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ou de copier un produit libre de droit ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme, une valeur économique individualisée et identifiée peut néanmoins être protégée contre toute perte de valeur, lorsque celle-ci est sciemment causée par un tiers. Ainsi, un opérateur économique peut agir en parasitisme pour protéger un produit ou un service, qui constitue une valeur économique, si cette dernière est individualisée et identifiée, et à condition de démontrer la volonté du tiers de se placer dans son sillage ».
En premier lieu, la valeur économique individualisée, dont l’exigence n’est pas nouvelle[2], prend une place centrale dans la définition du parasitisme dont elle constitue le préalable. Pour autant, la Cour ne définit pas cette notion, mais en livre deux exemples.
Dans son premier arrêt, la Cour relève que le visuel dont l’utilisation était litigieuse avait été élaborée à partir de photographies « banales » disponibles librement sur internet, que la prétendue victime avait commercialisé pendant une période limitée, qui n’était pas représentatif de l’univers la marque et s’inscrivait dans « un genre en vogue ». Selon la Cour, il n’y avait pas là de valeur économique individualisée, ce qui excluait tout parasitisme.
Dans le second arrêt, la Cour retient au contraire l’existence d’une valeur économique individualisée : le litige portait sur un masque avec tuba intégré identique à celui développé par une autre société dont la Cour retient la notoriété, la réalité du travail de conception et de développement, le caractère innovant de la démarche et les investissements publicitaires. Elle relève aussi que la commercialisation litigieuse se déroulait à une période où les investissements publicitaires de la victime étaient conséquents.
En deuxième lieu, la Cour, dans son résumé, précise que la valeur économique bénéficie d’une protection. On sait pourtant que cette affirmation est controversée puisque cette « protection » n’en est pas vraiment une, dès lors qu’elle n’intervient qu’a posteriori[3], à l’issue d’une action judiciaire aléatoire qui a pour objet de sanctionner un comportement déloyal. La jurisprudence réservait d’ailleurs le parasitisme à l’hypothèse dans laquelle une telle valeur n’était justement pas protégée par un droit spécifique[4]. Mais il est vrai qu’une telle action peut aussi avoir pour objet d’interdire le comportement parasite[5]. Quant au contenu de la protection exprimée, ses limites ne sont pas clairement énoncées.
En définitive, l’insécurité juridique persiste. La valeur économique individualisée, élément central et préalable, n’est pas définie, pas plus que le contenu de la « protection » accordée. Dans ces conditions, comment un opérateur peut-il savoir qu’il est en présence d’une valeur économique individualisée ? quel comportement doit-il adopter ? doit-il s’abstenir purement et simplement ? (on sait que des investissements peuvent ne pas être suffisants pour éviter le grief de parasitisme[6]). Et dans ce cas, pour combien de temps ?
L’analyse casuistique de chaque situation est plus que jamais nécessaire.
Julie Pasternak, Associée, Darrois Villey Maillot Brochier
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[1] Cass. com. 26 juin 2024, n°23-15.535 ; n°22-17.647 et n°22-21.497
[2] Cass. com., 19 janv. 2010, n° 08-15.338 ; Com., 20 sept. 2016, n° 14-25.131
[3] Recueil Dalloz 2000, p. 403, Retour sur le parasitisme, Philippe Le Tourneau ; Jurisclasseur concurrence - consommation - Fasc. 570_
PARASITISME
[4] CA Versailles, 12ᵉ ch., 1ᵉʳ oct. 2020, n° 19/06599 ; CA Paris, 15 sept. 2022, n° 20/00931
[5] TC Paris, 12 juillet 2021, n°2020029271 confirmée par, CA Paris, pôle 5 ch. 1, 20 sept. 2023, n° 21/19365 ; CA Paris, pôle 5 ch. 1, 13 mars
2024, n° 22/02207
[6] CA Paris, 1er fév. 2022, n°20/03318 et 13 mars 2024, n°22/02207