Vers une Europe des « nuclear verdicts » ? L'affaire Philips et les nouvelles perspectives juridiques

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

L'affaire Philips marque un tournant dans l'application de la Directive européenne n° 2020/1828, avec une première action collective visant à indemniser les utilisateurs d'appareils respiratoires défectueux. Alors que les « nuclear verdicts » étaient jusqu'ici l'apanage des États-Unis, cette procédure pourrait bien transformer l'Union européenne en une nouvelle terre d'accueil pour des actions de masse aux conséquences financières colossales. L'issue de cette affaire aura des implications majeures pour les entreprises, qui devront repenser leurs stratégies juridiques et de conformité face à ce nouveau risque contentieux d'envergure. Explications par Sylvie Gallage-Alwis, Associée, Signature Litigation et Louis Fer, Stagiaire, Signature Litigation.

Global Justice Network et l’organisation italienne de défense des droits des consommateurs ADUSBEF ont engagé la première action représentative fondée sur la Directive européenne n° 2020/1828,[1] à l’encontre de Philips. Cette action vise à obtenir une indemnisation pour les utilisateurs d’appareils respiratoires qui présenteraient des risques pour la santé des consommateurs.

Elle intervient après la conclusion d’un accord transactionnel pour une affaire similaire aux États-Unis, par lequel le géant de l’électronique aurait accepté d’indemniser 58.000 clients à hauteur de 1,1 milliard de dollars. L’action européenne a pour objectif de voir indemniser plus de 1,2 million d'utilisateurs à hauteur de 70.000 euros chacun, soit un montant total de 84 milliards d'euros.

Cette directive offre de nouvelles perspectives tant pour les consommateurs que pour les entreprises. Elle permet aux premiers d'intenter collectivement des actions contre des entreprises pour violation du droit de l’Union, qui, elles, seront nécessairement plus exposées et doivent se préparer à faire face aux potentielles menaces qui viseront à les faire transiger comme premier objectif.

L'issue de cette procédure pourrait créer un important précédent à l’échelle européenne et soit ouvrir la voie à de nombreuses autres actions, soit refermer immédiatement cette option.

Quelles conséquences pour les entreprises ?

La Directive vise à « améliorer l’accès des consommateurs à la justice ».[2] Elle permet aux consommateurs d'être représentés par des entités qualifiées pour agir contre des entreprises.[3]  Les États-Unis ne sont donc plus le for dédié des actions collectives d’envergure qui pourront désormais être intentées au sein de l’UE.

L'article 6 de la Directive prévoit la possibilité d'actions représentatives transfrontalières. Les entités qualifiées peuvent ainsi intenter une action pour les consommateurs de plusieurs États membres, comme dans l’affaire Philips. Cette disposition permet aussi de faire de l’Union européenne un territoire propice à ces actions d’envergures, pouvant impliquer un nombre très important de demandeurs sans qu’ils soient contraints d’initier des procédures dans chaque État Membre sous des régimes juridiques différents.

L’Union européenne pourrait donc devenir aussi attractive que les États-Unis pour ceux qui souhaitent obtenir des « nuclear verdict ».

Les entreprises doivent alors anticiper une hausse des frais encourus pour leur défense. Cela passera notamment par une restructuration interne des directions juridiques pour pouvoir faire face à ces contentieux.

Les entreprises jugées responsables seront confrontées à des dommages-intérêts substantiels. Dans le cas de Philips, la demande porte sur un total de 84 milliards d'euros. Outre-Atlantique, ces « procédures d’intimidation » sont généralement intentées pour pousser les entreprises à transiger. Il faudra donc qu’elles déterminent, en lien avec leur conseil, le moment opportun pour conclure un tel accord. Cette action témoigne du fait qu’une entreprise qui transige aux États-Unis devient une cible ensuite en Europe. On peut imaginer qu’il en sera de même à l’inverse si le régime juridique européen s’avère plus attractif. Il faudra donc que les entreprises évaluent l’impact de leurs accords européens vis-à-vis de potentielles procédures dans le reste du monde. Les montants versés hors États-Unis étant souvent bien inférieurs, un accord outre-Atlantique avait du sens. Tel ne sera peut-être plus le cas, selon l’issue du dossier Philips.

Comment se préparer à faire face à ces risques ?

Tout d'abord, il est important d'avoir des programmes de conformité solides. La Directive prévoit que des actions représentatives peuvent être intentées en cas d'infraction au droit de l’Union, soit plus de 60 directives et règlements mentionnées en annexe. Il faut que les entreprises disposent de preuves de leur conformité et du suivi des risques associés à leurs produits. La réalisation régulière d'évaluations des risques afin d'identifier les axes potentiels de vulnérabilité aux actions collectives devrait être une réponse efficace.

Les entreprises devraient aussi s'efforcer de mettre en place des services à la clientèle performants et, en particulier, améliorer leurs pratiques pour traiter les plaintes des consommateurs, afin de réduire l’insatisfaction-client et d’identifier rapidement un potentiel problème sériel.

Enfin, les entreprises doivent collaborer de manière continue avec leurs avocats pour élaborer une approche stratégique de la gestion des actions représentatives potentielles.

Il est évident que l’issue de cette action sera déterminante pour juger de l’attractivité de l’Union européenne s’agissant des actions représentatives. Les entreprises doivent donc anticiper ces conséquences alors même qu’une nouvelle Directive relative à la responsabilité du fait des produits, texte leur étant particulièrement défavorable, va prochainement entrer en vigueur.

Sylvie Gallage-Alwis, Associée, Signature Litigation

Louis Fer, Stagiaire, Signature Litigation

 ___________________________

[1] Directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE.

[2] Directive (UE) 2020/1828, préambule, para. 10.

[3] Directive (UE) 2020/1828, article 4.


Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 10 septembre 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 3 septembre 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 25 juillet 2024 :