La condamnation civile d'un employé ayant signalé, à une adresse électronique dédiée de la société, la potentielle corruption d’un collègue est contraire à la Convention EDH parce que cet employé, lanceur d’alerte, a agi de bonne foi et que cette sanction a un effet dissuasif pour tout lanceur d'alerte.
Une société a publié sur son site internet une annonce invitant toute personne détenant des informations sur des pratiques de corruption au sein de la société à signaler ces informations en envoyant un message à une adresse électronique dédiée. Elle promettait de mener une enquête indépendante et garantissait que tous les signalements qui seraient envoyés resteraient anonymes et confidentiels.
Un employé, occupant le poste de responsable de la sécurité et de l’administration, a envoyé à l’adresse électronique dédiée un message contenant des accusations d’abus de fonction, d’agissements irréguliers et de corruption visant M. B., salarié de la direction de la sécurité de la société. Le signalement a été transmis au chef de cette direction, qui a vérifié ces informations puis les soumit à M. B. En réaction, ce dernier a engagé une procédure civile contre le lanceur d'alerte pour injures et diffamation.
La juridiction de première instance a conclu que les déclarations faites dans le signalement étaient diffamatoires et injurieuses et a enjoint au requérant de faire des excuses publiques et de verser à l’intéressé une somme d’environ 3.500 € à titre de dédommagement.
Tous les recours formés par le requérant ont été infructueux ; son appartement et sa voiture ont été ensuite saisis pour recouvrer le montant des dommages-intérêts infligés par la juridiction.
Dans un arrêt du 27 août 2024 (requête n° 15028/16), affaire Hrachya Harutyunyan c/ Arménie, la Cour européenne des droits de l'Homme juge qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme (liberté d'expression).
Concernant le signalement, le requérant n’a pas signalé les agissements supposément irréguliers aux autorités publiques compétentes ni à la presse. Il a opté pour les canaux de signalement internes de son ancien employeur après que celui-ci a lancé un appel aux informations en promettant que tous les signalements resteraient anonymes et confidentiels.
Les juridictions internes ont rejeté les arguments du requérant sur ce point, sans tenir compte du contexte général de l’affaire.
En outre, il est difficile de comprendre comment les juridictions internes ont pu considérer que les signalements du requérant avaient été faits "en public".
Enfin, ces juridictions n’ont pas précisé les autres mesures que le requérant aurait dû prendre pour assurer la confidentialité de son signalement, alors que la société s’était engagée à la garantir.
Une approche aussi formaliste a non seulement porté atteinte aux droits de la défense du requérant, mais a également eu un effet dissuasif sur tout salarié, ancien ou actuel, envisageant de dénoncer à un employeur une faute professionnelle commise par l’un de ses salariés en fonction.
Concernant la bonne foi du requérant, rien ne donne à penser que les déclarations litigieuses visaient principalement à accuser M. B.
Il y a lieu de noter que, dans son signalement, le requérant a expressément demandé à la société de "vérifier les faits exposés" et que, comme indiqué dans le recours qu’il a formé au cours de la procédure litigieuse, son but était de faire enquêter la société sur les informations signalées.
Il a donc informé l’autorité interne compétente d’agissements qui lui avaient paru irréguliers ou illégaux.
Dans ces conditions, il faut donc tenir compte de l’identité des destinataires du signalement pour apprécier la bonne foi du requérant : celui-ci ne s’est pas adressé aux médias ou à un autre organe d’enquête externe, mais a tenté de remédier à la situation dénoncée au sein de la société elle-même.