Arrêt de la Cour (Grande Chambre) affaires jointes C-611/22P et C-625/22P Illumina/Commission et Grail/Commission

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Richard Milchior, avocat associé en droit européen et en droit de la concurrence au sein du cabinet Herald, explique quelles sont la portée et les conséquences de cette décision sur l’étendue des pouvoirs de la Commission à l’égard des concentrations qui sont sous les seuils communautaires et renvoyées à la Commission par les autorités de concurrence nationale car elles peuvent avoir un effet anticoncurrentiel en bloquant le développement d’une jeune société ou d’une nouvelle technologie.

La société américaine Illumina spécialisée dans l’analyse génétique et génomique a acquis une autre société américaine, la société Grail, qui développait des tests sanguins de dépistage précoce des cancers. 

L’opération n’était pas contrôlable au niveau européen ni même au niveau des Etats membres au titre du contrôle de concentration car elle se situait en dessous des seuils de contrôle. 

Il n’empêche que cette concentration permettait à Illumina de contrôler un concurrent potentiel et les technologies concurrentes ou complémentaires de celles qu’il avait développées.

La Commission européenne, inquiète des risques de création de barrière à l’entrée empêchant de nouveaux développements technologiques, a invité, sur le fondement de l’article 22 § 5 du règlement sur le contrôle des concentration (règlement 139/2004, « le règlement Concentrations ») les autorités de concurrence nationales à lui demander de se saisir du dossier.

Ceci fut fait par l’autorité de la concurrence française qui fut suivie par d’autres pays. 

A la fin de la procédure de contrôle, la Commission prit une décision interdisant la concentration. Celle-ci fut confirmée par le Tribunal mais, le 3 septembre dernier, la Cour de Justice, en grande chambre,  a annulé l’arrêt du Tribunal.

La Cour s’est livrée à une analyse détaillée de l’article 22 du règlement Concentrations et de la portée et des limites des pouvoirs des autorités de concurrence des Etats membres et de leur possibilité de renvoyer un dossier à la Commission.

La Cour a procédé successivement au contrôle de l’interprétation littérale, historique, contextuelle et téléologique de l’article 22 faite par le Tribunal.

Elle a confirmé l’interprétation littérale mais s’est déclarée en désaccord concernant l’interprétation historique. Concernant l’interprétation contextuelle, elle s’est déclarée d’accord avec les éléments de contexte retenus par le Tribunal mais a ensuite examiné d’autres éléments de contexte non pris en compte par le Tribunal pour en déduire que le Tribunal s’était trompé dans son interprétation contextuelle de cet article. Enfin elle a infirmé l’interprétation téléologique de l’article 22 faite par le Tribunal.

Tout ceci a conduit la Cour à préciser la procédure de renvoi à la Commission, par les autorités nationales de concurrence, de dossiers de concentration pour lesquels ces autorités nationales ne s’estimaient pas aptes à assurer le contrôle elles-mêmes.

L’arrêt annulé, la Cour a ensuite constaté que tous les moyens soulevés par Illumina et Grail avaient déjà été débattus devant le Tribunal. 

Elle a alors décidé, comme elle est y autorisée dans ces circonstances, de statuer sur le fond et de rendre un arrêt tranchant définitivement le dossier.

À cette occasion, elle a précisé que la Commission ne se pouvait pas se fonder sur l’article 22 du règlement Concentrations pour connaître de cette opération dans la mesure où les Etats membres n’étaient pas eux-mêmes habilités par leur droit national à examiner cette concentration. 

L’arrêt laisse entendre que la Commission ne pouvait pas, par la pratique qu’elle avait instaurée, combler le vide laissé par la réglementation actuelle qui ne permet pas de contrôler des opérations qui sont sous les seuils, mais néanmoins potentiellement dangereuses à terme pour la concurrence. En revanche la Cour a rappelé que le règlement Concentrations contenait des dispositions permettant relativement aisément de modifier les seuils de chiffre d’affaires permettant ainsi de régler pour le futur un problème tel que celui de l’espèce.

Il reste à savoir si la nouvelle Commission se saisira de cette perche et essaiera d’obtenir une modification du règlement sur le contrôle des concentrations pour abaisser les seuils et accroître ses possibilités de contrôle.

Notons aussi qu’indépendamment de ses conséquences pratiques et économiques, cet arrêt est un modèle utile pour comprendre les mécanismes d’interprétation du droit de l’Union européenne mis en œuvre par le Tribunal et par la Cour de Justice.

Richard Milchior, Associé, Herald


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