Le régime de retraite des avocats dissuade toute mobilité avec les entreprises

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Laure Lavorel, Directrice Juridique Europe du Sud de CA technologies et Présidente de l’association "Le Barreau en Entreprise", revient sur la retraite des juristes anciens membres de barreaux.

Avant tout rapprochement des statuts et des attributions légales entre les avocats et les juristes d’entreprise, toute harmonisation doit débuter par la mise en place des conditions économiques matérielles d’une meilleure mobilité entre barreaux et entreprises, à commencer par la prise en compte de leur régime de retraite respectif. Il en va de l’intérêt des entreprises.
Il est une profession qui échappe encore au débat sur les retraites. C’est celui des juristes, ou plutôt des anciens avocats ayant décidé de passer en entreprise. Et pourtant, un avocat cotisant à la CNBF (Caisse nationale des barreaux français) qui démissionne pour devenir juriste d’entreprise voit aujourd’hui ses droits acquis gelés, à moins qu’il ne justifie de 15 années de pratique active au sein d’un barreau. Qu’un avocat se fasse omettre du barreau lorsqu’il part travailler en entreprise est en soi sujet à débat. Mais qu’il se fasse "omettre" du CNBF  pose un problème d’équité majeur. De la même façon, un juriste d’entreprise devenant avocat voit lui aussi ses droits au régime général gelés. Le problème devient ainsi inextricable pour ceux qui souhaiteraient alterner l’exercice libéral et l’exercice salarié tout au long de leur vie professionnelle. Lorsqu’au terme de leur carrière, ceux-ci demandent la liquidation de leur quote-part des droits acquis, chacun des deux régimes auxquels ils auront cotisé lui opposera ses propres règles.

Reste que le problème n’est pas qu’un enjeu purement corporatiste. En freinant la mise en place de vases communiquant entre les deux professions, il pose plus généralement la question de la mobilité entre les professions du droit. Or celle-ci est un enjeu majeur pour les entreprises, dont le savoir-faire des avocats est un moyen d’enrichir les directions juridiques. Déjà dépossédées du Legal Privilege, qui leur ôte toute confidentialité dans leurs affaires stratégiques au regard des autorités judiciaires, les entreprises se retrouvent dès lors privées de compétences dont elles ont pourtant un besoin vital. Sans même parler d’accueillir au sein des directions juridiques des membres de la magistrature (pratique courante et fructueuse aux États-Unis), il est donc de l’intérêt évident de l’ensemble du tissu économique français que ces deux familles se mélangent enfin.

Mais voilà. Identifié de longue date, ce problème des régimes de retraite a été jusqu’à présent systématiquement éludé. Le rapport Darrois, celui du Conseil National des Barreaux, mais aussi nombres d’écrits émanant de prestigieuses associations professionnelles de juristes, destinés à ouvrir la voie pour faciliter la porosité entre ces deux milieux, ne font qu’évoquer cet enjeu crucial pour les entreprises alors qu’il apparaît comme un des principaux obstacles à toute réforme ambitieuse. Avant toute harmonisation des statuts et des attributions légales des deux professions, toute réforme doit donc débuter par la mise en place des conditions économiques matérielles d’une meilleure mobilité entre barreaux et entreprises. Faute de quoi le rapprochement souhaité risquera d’aboutir à un mariage forcé… suivi d’un prompt divorce.

Laure Lavorel, Présidente de l’Association Le Barreau en Entreprise

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