Nouveau Règlement d'arbitrage de la CCI : décryptage par un avocat et un juriste

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Jean-Georges Betto, Avocat et Alexandre Job, juristeLe 12 septembre 2011, la Cour internationale d'arbitrage de la CCI (Chambre de Commerce Internationale) a publié son nouveau Règlement d'arbitrage qui entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2012 et remplacera la dernière version datant de 1998. A cette occasion le Monde du Droit a rencontré un praticien, Jean-Georges Betto, associé au sein du département d'arbitrage d'Hogan Lovells à Paris, et un utilisateur habituel de l'arbitrage international, Alexandre Job, juriste d'entreprise. Interview croisée.

Pouvez-vous tout d'abord nous expliquer la raison de cette refonte du Règlement d'arbitrage de la CCI qui datait de 1998?

JGB : En quatorze ans, le monde de l'arbitrage a connu de nombreuses évolutions, que ce soit par rapport aux parties, aux arbitres ou aux conseils. Après consultation des utilisateurs et des praticiens, la Cour de la CCI a jugé que le moment était venu de prendre en compte certaines des évolutions de ces dix dernières années en adoptant de nouvelles règles. Tant que la vie des affaires continuera à devenir de plus en plus complexe, le Règlement de la CCI sera voué à évoluer et à s'adapter.

AJ : Du point de vue des utilisateurs on ne peut que saluer cette refonte de son règlement d’arbitrage par la Cour de la CCI.  L'arbitrage est le mode naturel de résolution des litiges du commerce international et la procédure arbitrale est beaucoup plus moderne et flexible que la procédure judiciaire, mais il était nécessaire que le règlement de 1998 soit mis à jour pour mieux correspondre aux besoins actuels des utilisateurs de l’arbitrage en prenant en compte les pratiques développées au fil des années, y compris l’évolution des moyens de communication.  

Pour rentrer dans le vif du sujet, quel est pour vous la réforme la plus importante de ce nouveau Règlement?

AJ : Sans hésitation, du point de vue de l'utilisateur de l'arbitrage, la réforme cruciale est la création d'un arbitre d'urgence. En effet, l’une des préoccupations des entreprises est la lenteur parfois constatée dans la phase de constitution du tribunal arbitral qui a pour effet de retarder d’autant la prise de décision sur des mesures provisoires et conservatoires sollicitée par le demandeur à l’arbitrage pour assurer la préservation de ses intérêts. Sur le modèle d'autres institutions arbitrales, en instituant un arbitre de l’urgence, le nouveau règlement remédie à ce problème. L’intérêt  de cet d’un arbitre d’urgence réside dans le fait qu’il pourra prendre, à bref délai et avant même que le tribunal arbitral ne soit définitivement constitué, des mesures provisoires ou conservatoires imposées par l’urgence que les parties s'engagent par avance à respecter.


JGB : En tant que praticien de l'arbitrage et en tant qu'arbitre, il me semble qu'une des réformes essentielles du nouveau Règlement est celle relative à la conduite de la procédure arbitrale.

On rencontre parfois en arbitrage des conseils qui ont recours à des manœuvres dilatoires pour retarder une issue inéluctable ou des avocats peu habitués à l'arbitrage qui ne sont pas toujours aussi réactifs que nécessaire. De manière générale, la multiplication des demandes de récusation, de production de documents et la longueur des écritures a considérablement ralenti les procédures d'arbitrage. L'arbitre se trouve parfois désemparé, la durée de la procédure s'allonge et les coûts augmentent.

Le nouveau Règlement offre à l'arbitre les moyens de prendre le contrôle de la procédure dans le respect de la volonté des parties et d'en assurer la célérité et l'efficacité économique. Les parties et les arbitres sont dorénavant soumis à une obligation expresse de conduire la procédure avec célérité et efficacité en termes de coûts. Pour les arbitres, cette obligation se traduit tout d'abord par l'organisation d'une conférence sur la gestion de la procédure lors de l'établissement de l'acte de mission ou dès que possible après celui-ci. Ensuite, le tribunal dispose d'un pouvoir général de prendre toutes mesures procédurales qu'il juge appropriées, après consultation des parties.

Pour les parties, cette obligation se traduit par une possible sanction lors de la décision sur les frais de l'arbitrage.

AJ : En effet, le nouveau Règlement prévoit que lorsque le tribunal arbitral décide quelle part des frais supportera chaque partie, il peut prendre en compte toutes les circonstances pertinentes, y compris dans quelle mesure chacune des parties a conduit l'arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coûts. Ainsi, la partie qui serait tentée d’user de manœuvres dans un but purement dilatoire et adopterait un comportement manifestement contraire à l’esprit du nouveau règlement, pourra se voir sanctionnée financièrement par le tribunal arbitral lors de la liquidation des frais de la procédure entre les parties et ce, quelle que soit l’issue du litige.

Ce nouveau Règlement fait-il aussi œuvre de "codification" des pratiques déjà existantes?

JGB : Oui. Il était important de formaliser ce qui était déjà la pratique de la CCI, ne serait ce que pour informer les nouveaux entrants du monde de l'arbitrage, qu'ils soient utilisateurs, conseils ou arbitres.
 
Le nouveau Règlement prévoit par exemple que tout arbitre doit être et demeurer impartial et indépendant des parties en cause et doit remplir une déclaration d'acceptation de disponibilité, d'impartialité et d'indépendance. L'ancienne mouture du Règlement ne mentionnait que l'obligation d'indépendance des arbitres, ce qui n'empêchait pas une partie de demander la récusation d'un arbitre partial! Quant à la déclaration de disponibilité, d'impartialité et d'indépendance, elle remplace la déclaration de disponibilité et d'indépendance déjà utilisée depuis plusieurs années.

AJ : De la même manière, le Nouveau Règlement prévoit que le tribunal arbitral peut adopter toute mesure pour protéger les secrets d'affaires et les informations confidentielles, ce qui était déjà le cas en pratique.

La confidentialité est évidemment essentielle pour les entreprises qui ne souhaitent pas que soient révélées certaines informations économiques et stratégiques sensibles à l’occasion d’un litige. Nous verrons quelles seront les mesures adoptées en pratique par les tribunaux arbitraux, mais on pourrait par exemple envisager que la sentence ne mentionne pas expressément certaines informations confidentielles mais se limite à un renvoi aux documents échangés entre les parties, évitant ainsi que l'information soit révélée en cas de recours en Justice contre la sentence.

Il faut noter par ailleurs que le nouveau Règlement ne prévoit toujours pas d'obligation générale de confidentialité et il pourrait donc être approprié pour les parties de mentionner une telle obligation dans la convention d'arbitrage ou, à défaut, dans l’acte de mission.

Vous évoquiez tout à l'heure la complexité de la vie des affaires. Dans quelle mesure le Règlement prend-il cet aspect en compte?

JGB : Le Règlement prévoit dorénavant des règles pour les litiges impliquant une pluralité de parties et de contrats, qui sont de plus en plus nombreux. L'intervention de tiers et la jonction de procédures arbitrales sont par exemple deux moyens possibles de résoudre de telles questions. Le Règlement prend aussi en compte l'implication croissante des Etats dans la vie du commerce international et prévoit certaines adaptations pour les arbitrages d'investissement impliquant des Etats ou des entités étatiques.

De plus, cette complexité entraîne souvent des contestations quand à l'existence, la validité ou la portée de clause d'arbitrage. En application du principe de compétence-compétence Le Nouveau Règlement confie au Tribunal le rôle de trancher ces questions et supprime le contrôle prima facie de la Cour d'arbitrage, sauf si le Secrétaire général décide de soumettre cette question à la Cour.

AJ : En conclusion, cette réforme est la bienvenue pour les opérateurs du commerce international et confirmera sans nul doute la prédominance de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI parmi les institutions arbitrales. Reste à savoir comment les praticiens et utilisateurs de l’arbitrage, entreprises, arbitres, avocats, vont s’approprier ce nouveau règlement et comment les réformes qu’il propose, notamment en termes de célérité et d’efficience de la procédure d’arbitrage, seront appliquées dans les faits.


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