Fitch épinglé pour conflit d'intérêts : « la sanction d’un certain capitalisme à la française » pour Stephan Alamowitch

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Fitch Ratings, la petite dernière du trio de tête des agences de notation, a reçu le mois dernier, une sanction de 5,13 millions d’euros pour conflit d’intérêts. Un important actionnaire siégeait effectivement aux conseils d’au moins deux entreprises notées par l’agence. Stephan Alamowitch, associé du cabinet UGGC Avocats et directeur du département Banque & Finance revient sur le contexte juridique et partage son analyse au Monde du Droit.

Qu’est-ce qu’est juridiquement un conflit d’intérêts ?

Il n’y a pas de définition générale mais la notion se retrouve dans différents codes. Il y a conflit d’intérêts quand une personne est tenue d’un devoir de loyauté envers au moins deux personnes ayant des intérêts différents, voire opposés. Cette notion a joué un rôle croissant en droit des sociétés puis elle a été étendue à la gestion pour compte de tiers. Nous l’avons retrouvée dans la crise financière de 2008. A ce moment-là, il est apparu que si les intermédiaires financiers avaient un devoir envers leurs clients, certains privilégiaient en réalité soit leurs devoirs envers d’autres clients, soit leurs propres intérêts.

Cela a été reproché aux agences de notation. L’agence de notation transmet son opinion sur la qualité d’une société ou de ses instruments financiers aux investisseurs. Mais elle le fait souvent à la demande et contre paiement, des émetteurs (qui sont les entités notées). Les agences de notation sont alors prises entre leurs devoirs envers les investisseurs et leurs obligations envers les émetteurs qui les paient.

Quelle est la réglementation actuelle sur le sujet ?

En France le code monétaire et les règlements de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) contiennent des dispositions sur ces questions ainsi que celui de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (Esma) en Europe. Plus spécifiquement, un règlement du Parlement européen de 2009, modifié en 2013, porte sur les agences de notation de crédits. Les obligations créées sont précises. Elles consistent en l’interdiction pure et simple du conflit d’intérêts ou, dans des cas moins graves, d’obligation de divulgation en rendant la situation publique. Si ces règles ne sont pas respectées, il y a un pouvoir de sanction financière. Sanction quasi pénale dont le montant est calculé selon le chiffre d’affaires et que nous retrouvons dans les articles 35 et s. du règlement de 2013.

Parallèlement, il est possible de rendre les agences responsables civilement des préjudices qu’elles peuvent causer aux tiers. Ce sont deux angles d’attaque différents et cumulables. La peur des dommages et intérêts peut être un instrument de moralité efficace. Fitch n’a pas été poursuivie civilement mais l’amende infligée est déjà conséquente.

Que conseillerez-vous à une entreprise qui souhaite éviter cette situation ?

Dans l’affaire de Fitch, l’agence a été condamnée pour négligence. L’actionnaire à plus de 10% de Fitch était membre de plusieurs conseils d’administrations d’entreprises que notait cette agence. La première mesure est d’être vigilant quant à l’activité de l’administrateur et de l’éduquer sur ce qu’il lui sera désormais interdit. Par exemple dans le cas de Fitch, l’administrateur pouvait être au conseil de Casino mais il n’aurait jamais dû laisser l’agence noter le groupe. Il faut aussi avoir une politique de prévention avec une bonne liaison des différents services de l’entreprise.

Si l’on porte un regard plus large sur la situation, du point de vue plus macroéconomique ou social, c’est en fait une incitation à ce que les actionnaires dans les comités de notation ne soient pas présents dans les conseils d’administration des grands groupes. Il y a une certaine forme de « capitalisme à la française » qui est ici sanctionnée. L’actionnaire en question a d’ailleurs vendu presque tous ses titres.

Mais la mise en cause de l’administrateur dans les cas de conflit d’intérêts est marginale. Le plus compliqué à gérer est la contradiction des devoirs envers le marché et envers l’émetteur. Il n'existe pas encore de modèle économique qui permettrait aux agences de notations de se passer de l’argent des émetteurs.

Propos recueillis par Louise Jammet


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