Paris, place mondiale de l’arbitrage, brûle-t-il ?

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Retour sur l'affaire Tapie au travers des commentaires de Jean-Baptiste Racine, Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis et d'un spécialiste de l'arbitrage.

L’affaire Tapie et les remous qu’elle suscite risquent-ils de ternir l’image du droit français de l’arbitrage ?

jean-baptiste racineJean-Baptiste Racine (En photo ci-contre) : En réalité, l’affaire Tapie est tout à fait exceptionnelle. Elle sort véritablement de l’ordinaire et n’est bien entendu pas le reflet de la pratique habituelle de l’arbitrage. Il se trouve cependant que l’image non pas tant du droit français que de la France (et plus particulièrement Paris) comme place de l’arbitrage risque d’être affectée. L’image des places d’arbitrage est en effet très importante. Dans le même temps, si fraude il y a, il faut la dénoncer et la sanctionner.

Un spécialiste anonyme : Elle ne le devrait pas, si on veut bien considérer que ce ne sont pas les règles du droit français de l’arbitrage qui sont en cause, mais leur utilisation dans une affaire dans laquelle existent de sérieuses suspicions de fraude. C’est un peu comme si l’on craignait pour la réglementation du football parce qu’un match a été truqué. Toute institution peut être détournée sans pour autant devoir être remise an cause. Au contraire, pourrait-on dire, le fait que l’on puisse annuler une sentence, des années après qu’elle a été rendue, parce que l’on se rend compte que les règles du jeu ont été faussées est une garantie que le droit français est bien armé.

En l’espèce, le recours à l’arbitrage à la demande de l’Etat était-il critiquable sur un pur plan de technique juridique ?

JBR. : Sur le terrain juridique, ce n’est pas l’Etat qui était partie à l’arbitrage (ce qui lui est en principe interdit en droit de l’arbitrage interne). Outre les époux Tapie et leurs liquidateurs, les parties à l’arbitrage étaient le CDR Créances, société par actions simplifiées, et le Consortium de Réalisation, société anonyme, toutes deux personnes morales de droit privé. Nous sommes ici dans le domaine de l’arbitrabilité subjective, qui intéresse donc le statut juridique des parties. A ce titre, le litige était arbitrable.

SA. : La réponse doit commencer par corriger la question, car elle fait l’impasse sur une distinction essentielle en droit. Ce n’est pas l’Etat qui a eu recours au compromis, mais le CDR, structure certes mise en place par l’Etat, mais distincte de celui-ci. Le CDR est une société commerciale (société anonyme) et cette seule qualité permettait au CDR de recourir valablement à l’arbitrage. Le fait qu’à travers le CDR, il puisse y avoir une incidence sur des fonds publics n’entre pas en ligne de compte. L’Etat a des intérêts dans des sociétés aussi différentes que Areva, France Telecom-Orange et il n’a jamais été contesté que ces sociétés peuvent recourir à l’arbitrage. En revanche lorsque l’Etat intervient en tant que tel, le recours à l’arbitrage suit des règles strictes. On n’a pas prêté attention au fait qu’antérieurement à « l’arbitrage Tapie », le CDR avait déjà recouru (avec succès) à l’arbitrage. Dire que le recours lui-même l’arbitrage était illégal est donc erroné sur le plan du droit : c’est confondre la légalité (concept juridique) et l’opportunité politique.

Quelles sont les chances de succès pour le recours en révision exercé contre la sentence ?

JBR. : Il est impossible de pronostiquer le résultat. Les recours en révision formés contre des sentences arbitrales sont très rares. Et il est difficile d’apporter la preuve d’une fraude. Tout dépendra donc de ce qui pourra être révélé dans le cours de l’information pénale actuellement pendante. Il faudra convaincre dans tous les cas la Cour d’appel de Paris de l’existence d’une telle fraude pour qu’elle admette en l’espèce le recours.


SA. : C’est difficile à prévoir en l’état actuel des choses. Il semble toutefois que des indices graves et concordants de plus en plus nombreux viennent montrer que, s’ils sont avérés, l’arbitrage a été entaché de fraude ou correspond à l’un des cas d’ouverture du recours en révision qui sont visés par l’article 595 du Code de procédure civile. Si la preuve est apportée, alors l’annulation de la sentence et de ses suites suivra.

 

Jean-Baptiste Racine, Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis

Propos recueillis par Denis Mazeaud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)


 

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Cet article est extrait du n° 1 de la newsletter Le Monde du Droit Selon Capitant  (TELECHARGER LE NUMERO AU FORMAT PDF)

 


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