Impact de l’épidémie de Covid-19 sur les opérations de fusions-acquisitions : interview de Séverin Kullmann et Alain de Rougé

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Le Monde du Droit a interviewé Séverin Kullmann et Alain de Rougé, avocats associés du département M&A au cabinet BCTG Avocats, sur l'impact de l'épidémie de COVID-19 sur les opérations de fusions-acquisitions.

Comment l’impact économique de la pandémie affecte les transactions M&A ? Les conséquences sont-elles sur du long terme ?

Nous sommes confrontés à une situation exceptionnelle et qui évolue chaque jour. Il faut donc faire preuve de rigueur et de prudence. En outre, la priorité des entreprises est de protéger dans un premier temps, la santé et la sécurité de leurs salariés puis ensuite d’organiser la continuité de leurs activités et de consolider leur trésorerie. Dans ce contexte, les opérations de fusions-acquisitions passent au second plan. 

En outre, les incertitudes liées à l’absence de visibilité quant à la durée de la crise et ses effets économiques (dont on sait déjà qu’ils seront très significatifs au vu des baisses d’activité à fin mars 2020) conduisent les entreprises à une très grande prudence et à suspendre leurs projets, lorsqu’elles le peuvent. Les quelques opérations annoncées depuis début mars 2020 correspondent à des projets déjà signés ou en cours de finalisation, le plus souvent dans des secteurs moins impactés à court terme par la crise sanitaire.

L’évolution à moyen terme et à long terme du marché des fusions-acquisitions dépendra de la durée de la crise sanitaire. Si les mesures prises par les Etats et les Banques centrales apparaissent appropriées, elles ne paraissent pas tenables à moyen terme en raison de leur coût.

Les acteurs économiques ont les yeux tournés vers la Chine qui sort progressivement des mesures de confinement.

Si les mesures de confinement sont levées dans les pays d’Europe avant la fin du mois de mai 2020, il est possible d’espérer une reprise progressive des opérations à partir de l’été ou de l’automne 2020. La manière dont les parties tiendront compte de la crise sur les agrégats qui servent à définir le prix (EBITDA, BFR, etc.) sera déterminante : les acquéreurs accepteront-ils de limiter la prise en compte des effets de la crise dans leurs valorisations ?

Si la crise se prolonge, il faut s’attendre à un nombre significatif de défaillances d’entreprises. Certains y verront sans doute des opportunités. Des consolidations vont aussi intervenir compte tenu de la fragilisation de certains acteurs, le cas échéant avec le soutien des Etats.

Comment le contexte agit-il sur le processus de Due Diligence ? Quelles sont les nouvelles données à analyser ?

La phase d’audit est impactée à deux égards.

Tout d’abord la collecte des informations demandées par l’acquéreur est rendue plus difficile pour le vendeur pour des raisons pratiques évidentes. Il n’est plus question, non plus, d’organiser les visites sur site ou les rencontres avec le management, qui font partie traditionnellement des audits préalables.

Sur le fond par ailleurs, les acquéreurs redoublent de vigilance lors de l’audit ; s’il n’existe pas de sujet complètement nouveau à proprement parler, puisque par exemple les informations relatives à la façon dont la cible aurait surmonté une crise similaire dans le passé sont sans doute inexistantes, l’ensemble des sujets classiques d’un audit doivent être abordés sous un prisme particulier. Il en va ainsi des sujets financiers (quel impact sur la trésorerie, les résultats et l’accès au financement), fournisseurs (quel impact en termes d’approvisionnement), clients (délais de paiement), contrats (clauses de force majeure et « MAC clauses »), RH (possibilité de télétravail ou non), IT (le réseau est-il suffisamment robuste), etc.

Quelles sont les informations importantes à prendre en compte dans le contexte actuel pour effectuer ces transactions ?

Le point essentiel concerne le timing des opérations : les parties doivent nécessairement tenir compte du retard induit par la crise ce qui implique, pour l’acquéreur, d’obtenir une exclusivité plus longue.

Concernant le contrat de cession lui-même, cinq éléments au moins doivent faire l’objet d‘une attention particulière :

  • les conditions suspensives à la réalisation de l’opération, non seulement en ce qui concerne leur délai de satisfaction, mais également pour couvrir les conséquences d’une non-réalisation (répartition des coûts) ;
  • la clause relative à la période intermédiaire entre le signing et le closing, qui ne peut plus faire référence à une simple « gestion dans le cours normal des affaires » ;
  • les clauses couvrant des événements particuliers, telles que la clause de force majeure, la « MAC clause » et la clause relative à l’imprévision, afin de couvrir spécifiquement le COVID-19 ;
  • les clauses de prix, qui devraient majoritairement prévoir un mécanisme d’estimation et d’ajustement au détriment des clauses de « lock box », afin de prendre en compte les fluctuations en termes de BFR et de trésorerie ; et
  • les déclarations et garanties, qui seront impactées sur de nombreux sujets susceptibles de donner lieu à exceptions (absence de changement significatif, clients et fournisseurs, ressources humaines, etc.).

Quels sont les deals qui résistent le mieux ?

Sans surprise, nous constatons que les quelques opérations menées à terme dans les semaines qui viennent de s’écouler concernent les secteurs de la distribution alimentaire, des activités pharmaceutiques et de l’énergie. 

Néanmoins, il s’agit d’opérations qui étaient déjà très avancées et compte tenu des mesures de confinement et des incertitudes sur la durée de la crise sanitaire, il faut s’attendre à un fort ralentissement des opérations dans la plupart des secteurs.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier) 


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