Veille juridique : sur la brèche avant, pendant et après

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Encore une fois sur la brèche, chers amis, encore une fois
En temps de paix, rien ne convient mieux à l'homme
Que le calme humble et modeste :
Mais quand retentissent à nos oreilles les rafales de la guerre
Alors, imitez les mouvements du tigre,
Retenez votre souffle, concentrez chaque esprit

Henri V, Shakespeare

Ces quelques vers d’un temps de bataille1 résonnent particulièrement dans l’univers des acteurs de l’information juridique. Mobilisés, dématérialisés, mais jamais démoralisés, les membres du Conseil d’administration2 de l’association Juriconnexion ont bien voulu répondre à quelques questions posées par Jean Gasnault (La Loi des Ours) pour Le Monde du droit.

Les professionnels de l’information juridique savent qu’ils jouent un rôle important dans la continuité de l’activité de leur structure. La pandémie provoque une récession féroce et tout le monde craint que cela s’aggrave de jour en jour. L'Etat met en place des prêts et garanties. Les entreprises et les avocats ont besoin de leurs clients et de leurs marchés, pour vivre. Cela impose de tenir de multiples veilles dans un univers informationnel saturé et pas toujours fiable.

Les circonstances de cette pandémie ont-elles modifié le contenu de vos missions ?

Les membres du Conseil d’administration se retrouvent autour ce résumé : « Le quotidien de chaque documentaliste : chercher le bon texte, la dernière version, les commentaires, voir ce que devenaient les clients, monter rapidement des dossiers sur des sujets brûlants et en même temps se débrouiller face au marasme technologique, aux pannes de réseau, passer du smartphone à la messagerie, au téléphone et sur What’s app pour ne pas perdre le lien 12 heures par jour ».

Une autre documentaliste prend un peu de recul et constate : « Nous avons toujours fait de la veille, suivi les textes au plus près, anticipé les sujets de nos clients et des clients de nos clients, choisi l’information (pertinence, qualité, date, auteur : tellement de critères qui sont dans nos têtes des automatismes mais qui valent de l’or, sourcé….. La crise sanitaire et l’urgence n’ont rien changé à notre métier – ni nos fonctions - c’est juste le regard de nos clients qui a changé ! Cela fait des années que nous faisons cela avec toujours la même rigueur et la même curiosité. C’est la valeur de cette action qui a changé. »

Comment ont évolué les demandes documentaires et les réactions des clients à aux propositions de service des documentalistes au cours de cette crise ?

Ce témoignage résume les diverses réponses données : « Pour ma part, je constate un changement important pour la visibilité de mon travail au niveau de décideurs dans le groupe dans lequel je travaille. J’envoie ma veille à de nouveaux clients qui étaient jusqu’à présent inaccessibles pour moi, d’autres acteurs internes ont demandé à être dans la boucle de ma veille réglementaire destinée à l’origine à mes collègues en droit social. »

Et les relations avec les autres services supports ?

Nul ne reste cloisonné dans sa mission ; bien au contraire, les services supports travaillent en étroite collaboration. Chacun œuvre dans un même objectif et sait que son action complète celle de son voisin. D’autant plus pour les personnes qui assurent deux postes à la fois. L’une d’elle indique : « Pour ma part j'ai un travail "hybride" mi com / mi doc. Je gère le site et de très nombreuses newsletters et communications à destination des clients. Je publie / voire rédige  les communiqués de presse sur les deals. Je contacte les journalistes pour la rédaction d'articles par nos avocats. En ce moment la "réactivité" doit être à la hauteur de l'urgence sanitaire, il y a une accélération. »

Dans les sources d’informations, des manques ou des défaillances ?

Tous les membres du CA ont dû gérer une pléthore d'informations depuis le début du confinement. Outre les textes officiels en cascade, réajustés tous les jours pour certains, il fallait aussi collecter des commentaires de cabinets d'avocats et études de notaires, jusqu’à trois par jour, celui du soir modifiant la position du matin. Ces deux versions étaient justes mais le droit change très vite en cette période exceptionnelle d’état d’urgence sanitaire et de promulgation d’ordonnances et leurs ajustements.

Des auteurs qui étaient déjà bien présents sur les réseaux collaborent et partagent leurs réflexions juridiques de manière très réactive, Mustapha Mekki pour le notariat par exemple, ou Bruno Dondero pour le droit des sociétés. Les actualités Dalloz sont très au point sur la réactivité, par exemple en commentant l'ordonnance rectificative sur les délais en un temps record, et partageant nombre de ses supports. Lexis Actu nous a donné les ordres du jour des conseils des ministres, Lextenso des commentaires quotidiens à la Gazette du Palais, Lexbase sa publication quasi immédiate des arrêts importants (arrêt Amazon diffusé le jour même). Les actualités du droit Lamy Wolters-Kluwer et le très récent et complet Hub du groupe Lefebvre Sarrut permettent de vérifier que rien n’avait été négligé.

Dans l’élaboration des livrables, les stratégies de tri et rédaction ont-elles évolué ?

La présentation s’est rapidement allégée faute de temps. La vérification, le tri et la transmission de l'information absorbent l’essentiel du temps. Chaque information se voit plus largement diffusée avec notamment une information régulière des instances de direction des structures les premières semaines du confinement. Mais sans négliger pour autant la transmission par sujets aux différents métiers, de la manière la plus rapide et la plus sûre possible.

Des outils se sont-ils imposés3 ? Les mesures de soutien des éditeurs, évoquées à plusieurs reprises sur la Liste de Juriconnexion, vous ont-elles aidé ?

Sur la question de « l’adoption » du télétravail, le lecteur pourra se reporter à une interview menée par Mme Guelfucci sur ce même sujet4. Le télétravail était déjà en germe dans la pratique quotidienne des documentalistes avant l’épidémie, il est devenu, pour un temps, la norme. Mais il est parfois difficile de pallier l’absence du papier, le numérique n’ayant pas conquis tout l’univers des bibliothèques de droit. Un message récent5 sur la liste Juriconnexion6 a demandé aux éditeurs juridiques de programmer une évolution rapide de leurs services et démarches commerciales

Définitivement les réseaux sociaux (en priorité Twitter et LinkedIn) ont fourni la base d’une information fraîche et sûre, sous réserve du contrôle de la qualité de ses sources d'information.

A noter également, la très bonne initiative du Jurisguide et ses animateurs (services de documentation des universités de droit et bibliothèque Cujas) de diffuser et rediffuser ses fiches de formation, elles ont été précieuses pour mettre à niveau les stagiaires et jeunes juristes travaillant avec la documentation.

Pour les offres de soutien des éditeurs juridiques, elles ont été appréciées. Dans l’ensemble, les membres du CA ont reçu des retours positifs de collègues, non abonnés à ces ressources. Parmi les ouvertures les plus appréciées : Lexbases, Navis, Lexis actu, Business immo.

Quels enseignements tireriez-vous en conclusion de cette période particulière ?

La visibilité et l'importance de la veille et de la gestion de l'information sortent renforcées de cette période : contrôle du sérieux de l'information et de sa fraîcheur, valeurs capitales dans un contexte d’accélération du changement et d’inflation de l’information juridique. Rediffusion des informations à jour, archivage des analyses déjà dépassées, les membres du CA ont acquis un statut de ressource d'urgence.

« Nous prévoyons plusieurs mois supplémentaires de mobilisation-soutien aux avocats et aux juristes et métiers que nous assistons pour les aider à gérer l'après : remise en route des normes habituelles, mais aussi sans doute beaucoup d'aménagements qui passeront par le juridique encore, pour la période de déconfinement et la suite de l'accompagnement de la gestion sanitaire de la situation. »

Les membres du CA ont le sentiment d’avoir « muté » positivement : plus collaboratifs dans leurs tâches (trouver, trier, reformuler, diffuser) tout en restant conscients du caractère concurrentiel de l’écosystème du droit, plus exigeants avec leurs fournisseurs pour aller vers de vraies bibliothèques dématérialisées, plus inventifs et plus pédagogues enfin.

Ils soulignent aussi que cette période a vraiment resserré les liens entre les membres du CA, qui se parlent désormais tous les jours par messagerie classique ou What’sapp, pour discuter des informations utiles à publier sur la liste Juriconnexion, sur leur Wiki qui vient d’ouvrir à nouveau pour rassembler toutes les informations utiles7, ou juste partager des photos de leur balcon ou jardin, des dessins d’humour, des vidéos, des adresses de sites culturels, de la musique et des recettes, un peu comme toutes les communautés qui se sont soudées, distraites et entraidées dans cette tempête.

Propos recueillis par Jean Gasnault


1. Puisque selon le Président de la République « nous sommes en guerre ».

2. https://www.juriconnexion.fr/trombinoscope/

3. https://groups.io/g/Juriconnexion/messages?start=4:2020:-120

4. https://www.serendipidoc.fr/documentalistes-juridiques-et-teletravail/

5. https://groups.io/g/Juriconnexion/message/9832

6. https://jurisguide.univ-paris1.fr/

7. https://droit.org/wiki-juriconnexion/index.php/Accueil


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