Le Prix de l’AHJUCAF pour la promotion du droit 2022

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Le Monde du Droit a interrogé Jean-Paul Jean, Président de chambre honoraire à la Cour de cassation et secrétaire général de l'AHJUCAF (Association des cours suprêmes judiciaires de la francophonie), Florence Girardin, Présidente de la Cour administrative du Tribunal fédéral suisse et vice-présidente de l’AHJUCAF et Carine Kouadio, lauréate du Prix 2021, pour parler de leur participation au Prix 2022 pour la promotion du droit. 

M. Jean-Paul JEAN, vous êtes président de chambre honoraire à la Cour de cassation et secrétaire général de l’AHJUCAF (Association des cours suprêmes judiciaires de la francophonie). Pouvez-vous nous présenter ce prix ?

Le prix de l’AHJUCAF a été créé en 2018 pour promouvoir les recherches des juristes auteur(e)s de thèses sur des thèmes intéressant le fond du droit et le fonctionnement de la justice. Il existe, notamment dans les pays les plus pauvres du réseau de la francophonie, beaucoup de talents et de travaux de qualité mais qui ne bénéficient pas de relais de publication suffisants. Le montant de 3.000 euros attribué au lauréat constitue une aide décisive à l’édition et à la diffusion, une dotation de 1.500 euros pouvant aussi bénéficier au lauréat d’une mention spéciale. L’idée est de repérer et soutenir des juristes d’avenir de ces pays.

Les premières éditions du Prix ont mis en évidence la diversité et la richesse des travaux récompensés,  sur des thématiques qui sortent des schémas trop classiques. Mme Ola Mothy (Universités de Rennes et Beyrouth) a été la lauréate 2018 pour sa thèse consacrée à «L'information du consommateur et le commerce électronique». M. Gildas Fiacre Nonnou (Université d'Abomey-Calavi, Bénin) a obtenu une mention spéciale pour sa recherche consacrée à  « L’indépendance du pouvoir judiciaire dans les Etats d’Afrique francophone : cas du Bénin et du Sénégal ». 

L'édition 2019 a vu deux colauréats récompensés : M. Aubin Dassi Nde (Université de Yaoundé II (Cameroun) pour sa thèse « L'égalité professionnelle hommes/femmes dans les Etats d'Afrique noire francophone » et M. Gaudens Djihouessi (Université d’Abomey-Calavi (Bénin) pour « L'appropriation privée de l'eau en Afrique de l'ouest francophone ».

L’édition 2020 n’a pu être organisée pour cause de Covid-19. En 2021 Mme Carine Kouadio (Côte d’Ivoire) a été la lauréate pour « Le Travail décent dans l’espace UEMOA : essai sur la condition juridique du travailleur journalier en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Sénégal » et une mention spéciale a été attribuée à M. Ahmed Elkahwagy (Egypte et Université de Poitiers) pour sa thèse « L’application des conventions internationales par le juge national en Egypte, aux Etats-Unis et en France ».

Tous ces travaux sont désormais publiés sous forme d’ouvrages ou sont en voie de l’être. Le jury, composé de hauts magistrats et d’universitaires de pays très divers a toujours fait des choix d’ouverture intellectuelle en s’appuyant sur des évaluations rigoureuses. Mme Aubry-Girardin, qui a présidé le jury peut en témoigner.

Madame Florence Girardin, vous êtes présidente de la Cour administrative du Tribunal fédéral suisse et vice-présidente de l’AHJUCAF. Vous avez été membre des deux derniers jurys dont une fois comme présidente. Quelles leçons tirez-vous de cette expérience ? 

Grâce à mes deux participations au jury du prix AHJUCAF, j'ai eu le privilège de consulter nombre de travaux (le plus souvent des thèses de doctorat) qui sont non seulement d'un excellent niveau, mais qui traitent de problématiques nouvelles ou qui abordent des sujets connus sous un angle original. C'est du reste cette catégorie de travaux qui a le plus de chance d'obtenir un prix. Je pense en particulier aux thèses primées durant les éditions 2019 et 2020 auxquelles j'ai participé et qui viennent d'être énumérées par M. Jean-Paul Jean. Les sujets traités en lien avec plusieurs pays africains qui portaient sur l'appropriation privée de l'eau, l'égalité professionnelle hommes/femmes et la condition juridique du travailleur journalier, sont révélateurs de la diversité recherchée par l'AHJUCAF.

En tant que présidente d'une Fondation qui récompense les meilleures thèses déposées dans les Universités suisses, j'ai un point de comparaison très national et l'ouverture qui se dégage des travaux soumis au prix de l'AHJUCAF m'impressionne. 

Les délibérations du jury sont aussi l'occasion d'échanger avec des collègues, juges ou professeurs provenant de pays et de cultures juridiques variés. En dépit de nos différences et de discussions passionnantes, la désignation du lauréat finit par s'imposer avec évidence.

Il ne faut enfin pas oublier que l'intérêt principal de ce prix réside dans la possibilité qu'il offre à de jeunes chercheuses et chercheurs d'éditer leur ouvrage ou de leur permettre de mener à terme d'autres publications. En outre, recevoir ce prix, décerné par une association de la francophonie regroupant des délégués des plus hautes autorités judiciaires de différents pays, contribue à donner à ces juristes prometteurs une visibilité accrue. D'ailleurs, j'ai gardé contact avec quelques lauréats qui ne manquent pas de me tenir au courant de l'avancée de leur carrière et de leurs nouvelles publications.

Si ce prix est relativement jeune, puisque la première édition date de 2018, il a tout de suite recueilli un écho très positif et je ne peux que souhaiter qu'il se perpétue encore de nombreuses années.

Madame Carine Kouadio, vous avez été la lauréate du Prix 2021. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous vous êtes décidée à candidater, comment vous avez constitué votre dossier et ce qu’apporte cette distinction de votre recherche ? 

La présentation de ma candidature au prix de l’AHJUCAF 2021 peut être considérée comme la mise en œuvre d’un projet qui a germé dans mon esprit après la soutenance de ma thèse en décembre 2019. Ce projet visait la publication de mes travaux de thèse afin que ceux-ci soient utiles à la communauté scientifique et aux décideurs. Mon sujet « Le Travail décent dans l’espace UEMOA : essai sur la condition juridique du travailleur journalier en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Sénégal » touchait des questions actuelles et suffisamment importantes pour la communauté internationale en général et pour les pays spécifiquement visés par l’étude. En effet, alors que la question du travail décent est devenue une préoccupation majeure pour tous, dans nos systèmes juridiques, il faut s’inquiéter du sort réservé aux nombreux travailleurs journaliers exerçant leurs activités dans des conditions incertaines. Comment articuler le travail journalier jugé précaire et la décence de la condition de travail? C’est à cette préoccupation que ma thèse a apporté des éléments de réponse qui mettent en exergue l’inestimable apport des juridictions suprêmes des pays de l’espace UEMOA qui constituent d’ailleurs des instruments pertinents pour la réalisation d’un salariat journalier décent. 

Saisissant l’opportunité de la mise en jeu du prix de l’AHJUCAF 2021, j’ai décidé de concourir avec le soutien de mon Directeur de thèse, le Professeur Nanga Silué, agrégé de droit privé et sciences criminelles et doyen de l’UFR des sciences juridique, administrative et de gestion de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké (Côte d’Ivoire). La constitution du dossier s’est faite sans difficulté majeure car les éléments exigés étaient généralement accessibles. Néanmoins, cette étape peut être source de désagréments pour le candidat qui ne se montre pas suffisamment diligent dans la sollicitation de son rapport de soutenance et des attestations pour soutenir sa candidature. En outre, il est opportun de demander conseil à des personnes avisées afin de présenter le meilleur dossier possible.

Obtenir le prix AHJUCAF 2021 m’a offert l’opportunité de faire éditer ma thèse et d’en accroître la visibilité ainsi que la crédibilité. J’entends désormais m’investir davantage dans des activités de recherche tout en préparant mon évolution dans ma nouvelle carrière d’Enseignant-chercheur. J’encourage toutes les personnes désireuses de candidater au prix AHJUCAF à le faire. C’est une aubaine à saisir surtout pour les jeunes chercheurs prometteurs qui sont malheureusement confrontés aux difficultés liées au financement de leurs travaux scientifiques. Je remercie très sincèrement le jury qui m’a décerné le prix et l’AHJUCAF. 


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