L’Institut Montaigne a publié la seconde note de sa série intitulée Rebondir face au Covid-19, qui plaide en faveur d’un soutien à l’investissement des entreprises par les pouvoirs publics.
Selon les estimations d’Eric Chaney, conseiller économique de l’Institut Montaigne et auteur de la note, la baisse du PIB français pourrait être supérieure à 10 points et l’investissement des entreprises pourrait baisser de plus de 40 % en 2020.
Faisant face à des impératifs sanitaires et de sécurité que personne ne saurait remettre en question et à une grande incertitude, les entreprises ont de nombreuses raisons d’être prudentes et de retarder leurs projets d’investissement en attendant d’y voir plus clair. Ce faisant, elles risquent non seulement d’affaiblir la reprise, mais aussi de perdre de la compétitivité à plus long terme. Moins d’investissement veut dire moins de capacité productive, donc moins de création de valeur à long terme et par conséquent moins de revenu susceptible d’être distribué aux ménages.
Pour corriger l’impact de cette incertitude systémique - personne ne connaît l’évolution future de la pandémie, qui dépend fortement des politiques sanitaires -, nous proposons que les pouvoirs publics apportent de façon temporaire une aide à l’investissement.
La proposition de l’Institut Montaigne pour relancer l’investissement des entreprises : subventionner à hauteur de 10 % l’investissement domestique de toutes les entreprises pour une durée limitée, par exemple pour 18 mois à compter du 1er juillet 2020, quel que soit le type d’investissement.
« Sans stimulation de l’investissement, la reprise sera anémique, le chômage restera à un niveau élevé et la compétitivité des entreprises françaises se dégradera par rapport à celles qui auront agi plus rapidement. En particulier, l’écart de compétitivité avec l’Allemagne s’en trouverait encore creusé. D’autres mesures de soutien à l’offre – recapitalisation des entreprises par exemple — ou à la consommation, comme des incitations à dépenser l’épargne accumulée par les ménages durant les semaines chômées, devraient compléter ce dispositif, qui est toutefois une condition nécessaire à une reprise vigoureuse » précise Eric Chaney.
Projections économétriques et scénarios de sortie
Lorsque l’économie française commencera à sortir de son immobilisation forcée, trois grands traits macro-économiques apparaîtront :
- une contraction du PIB qui pourrait excéder 10 % cette année ;
- un taux d’épargne des ménages en forte hausse (il pourrait atteindre 30 % du revenu des ménages contre 15,1 % au dernier trimestre 2019 ; il s’agit d’épargne forcée, les ménages continuant pour l’essentiel à percevoir leurs revenus, mais ne pouvant les dépenser) ;
- une chute vertigineuse de l’investissement des entreprises, du fait notamment de l’incertitude des acteurs économiques face à l’évolution de la pandémie.
En extrapolant ces tendances, trois scénarios sont ainsi envisagés. Le premier, optimiste, implique une chute de 11,5 % du PIB en 2020 et un fort rebond en 2021 (13 %). Le deuxième, pessimiste, correspond à une chute du PIB de 15 % cette année, et une faible reprise en 2021 et 2022 (de l’ordre de 3 à 4 % par an). Un troisième, intermédiaire, trace une trajectoire de l’économie française entre ces deux extrêmes : l’investissement baisserait de plus de 40 % en 2020, et le déficit d’investissement à la fin 2022 s’élèverait à 360 Mds€, soit 11 % du capital productif.
Subventionner toutes les dépenses d’investissement de toutes les entreprises durant la reprise permettrait d’effacer le coût d’une incertitude systémique étrangère au cycle économique et financier. À condition qu’elle touche toutes les entreprises et toutes les formes d’investissement, matériel et immatériel, en machines et équipements comme en BTP, elle aurait une efficacité maximale pour aider à la reprise, en reconstituant et rajeunissant le capital productif.
Ne pas flécher l’investissement : il faut avant tout sortir du marasme
Serait-il opportun à cette occasion de « flécher » les aides, de façon à viser d’autres objectifs de politique économique ? Les candidats ne manquent pas : transition énergétique et/ou écologique, réindustrialisation, relocalisation de certaines filières, numérisation de l’économie, etc… Même si les intentions de ces fléchages sont compréhensibles, elles sont entachées d’une erreur de perspective. L’économie française – en réalité toutes les économies développées à démographie vieillissante — s’est si fortement contractée que la condition sine qua non de toute politique structurelle future est le retour le plus rapide et le plus équilibré possible au niveau d’activité d’avant la pandémie. Qu’il s’agisse de l’utilisation du fonds européen de reconstruction en cours de discussion, ou d’initiatives nationales, chaque euro doit être affecté à la reprise, avec le potentiel multiplicateur le plus élevé possible. Or, de ce point de vue de relativement court terme, les décisions individuelles des entreprises, prises au vu de l’information granulaire dont elles disposent - une fois corrigé du coût de l’incertitude systémique, sont les plus à même de maximiser le rythme de reprise.
Il n’y aura pas d’effet d’aubaine, à condition d’exclure les investissements déjà subventionnés
Comme toutes les entreprises sont soumises au même facteur d’incertitude systémique, et que toute dépense d’investissement contribue à la reprise, le concept même d’effet d’aubaine (un investissement qui se serait fait de toute façon) ne s’applique pas à la situation présente d’une relance par l’investissement. Il y a néanmoins des exceptions : les entreprises qui bénéficient déjà de subventions pour des objectifs de politique structurelle, ne font pas face au même facteur d’incertitude que les autres, puisqu'elles ont l’assurance du retour sur leurs investissements. C’est le cas par exemple des filières de production d’électricité solaire ou éolienne qui bénéficient d’une garantie que leur production sera achetée au-dessus d’un prix déjà convenu, quelles que soient les circonstances. Elles devraient donc être exclues du programme de soutien.