Benjamin Desaint et Florian Carriere, avocats au sein de Fromont Biens, proposent un commentaire sur le prêt de main d'oeuvre à but non lucratif.
Un sondage réalisé en 2009 auprès de 400 chefs d’entreprise issus du monde des PME avait révélé que seuls 27% d’entre eux connaissaient le dispositif du prêt de main d’œuvre1. Certes, cette étude était antérieure à l’adoption de la Loi Cherpion du 28 juillet 2011, laquelle a eu le mérite de clarifier les contours du prêt de main d’œuvre à but non lucratif, favorisant ainsi sa compréhension et donc son application par les entreprises. Certes, nous étions encore à cette époque aux prémices de la longue atonie de notre modèle économique ; le débat sur la nécessité de repenser notre conception des parcours professionnels des salariés n’était alors pas aussi prégnant qu’actuellement.
Ceci étant, on ne peut que déplorer le relatif anonymat d’un mécanisme juridique qui, pour sûr, gagnerait à être davantage connu des juristes et des professionnels de la fonction RH !
Les différentes formes de prêt de main d’œuvre
D’emblée, précisons qu’il existe dans le Code du travail une distinction centrale entre le prêt de main d’œuvre à but lucratif, en principe prohibé et le prêt de main d’œuvre à but non lucratif, autorisé mais encadré selon un formalisme rigoureux. Dans le premier cas, l’article L.8241-1 du Code du travail précise que seules sont licites les opérations de prêts à but lucratif réalisées dans le cadre :
- du travail temporaire ;
- du portage salarial ;
- des entreprises de travail à temps partagé ;
- de l’exploitation d’une agence de mannequins, lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequins ;
- des dispositions de l’article L.222-3 du Code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives ;
- des dispositions des articles L.2135-7 et L.2135-8 du Code du travail relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d’employeurs mentionnées à l’article L.2231-1.
- bien que non expressément visées par le Code du travail2, nous pouvons ajouter à cette liste les affectations de salariés opérées dans le cadre d’un contrat de prestation de services ou de sous-traitance.
Définition et régime juridique du prêt de main d’œuvre à but non lucratif
Dans cette hypothèse, le salarié est mis par son employeur à la disposition d’une structure tierce (entreprise du même groupe ou non, client ou non). En contrepartie de cette force de travail, l’entreprise prêteuse ne peut refacturer que « les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition ». Tout autre élément facturé l’entreprise d’accueil étant susceptible de caractériser l’existence d’un but lucratif à l’opération et donc d’entrainer de facto son illicéité.
Notons tout de même qu’à l’aune d’une décision récente de la Cour d’appel de Paris3 il est permis de s’interroger sur la faculté pour l’entreprise prêteuse de facturer également à son partenaire les frais de gestion inhérents à cette mise à disposition ; c’est-à-dire les coûts directs et indirects liés à l’embauche d’un salarié (gestion de la paie, organisation des visites médicales etc), sous réserve toutefois qu’ils demeurent "modérés et justifiés"4.
Ensuite, le prêt de main d’œuvre à but non lucratif doit respecter le formalisme suivant :
En premier lieu, la conclusion d’une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice, définissant obligatoirement la durée de cette mise à disposition5, l’identité et la qualification du salarié, ainsi que le mode de détermination des salaires, charges sociales et frais professionnels qui sont facturés à l’entreprise utilisatrice ;
En second lieu, la signature d’un avenant au contrat de travail du salarié prêté, précisant au minimum le travail confié dans l’entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d’exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail ;
En troisième et dernier lieu, une information-consultation des institutions représentatives du personnel (IRP) de l’entreprise prêteuse et de l’entreprise utilisatrice.
Ainsi, le comité d’entreprise (ou à défaut les délégués du personnel de la société prêteuse) doit être consulté préalablement à la mise en œuvre du prêt de main d’œuvre. Le CHSCT de la société prêteuse est lui simplement informé lorsque le poste occupé dans l’entreprise utilisatrice figure sur la liste de ceux présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés mentionnés au second alinéa de l’article L.4154-2 du Code du travail. Du côté de l’entreprise utilisatrice, une information-consultation du comité d’entreprise (ou à défaut des délégués du personnel) et du CHSCT est requise préalablement à l’accueil des salariés mis à disposition.
Une alternative crédible aux licenciements pour motif économique
Pour des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles, le prêt de main d’œuvre est un des rares outils susceptibles de répondre aux besoins actuels de flexibilité des entreprises et de sécurisation des parcours professionnels des salariés. À titre d’illustration, le prêt de main d’œuvre est une alternative intéressante aux vagues de licenciements pour motif économique. En effet, une entreprise en proie à des difficultés économiques à tout intérêt à favoriser, en amont des licenciements, un projet de mise à disposition de ses salariés auprès d’une société tierce6 afin d’ajuster temporairement ses effectifs à l’état de son carnet de commandes.
Du côté de l’employeur, l’impératif d’allégement de la masse salariale est respecté, tout en conservant dans ses effectifs des collaborateurs déjà formés dont l’entreprise pourrait avoir de nouveau besoin en cas de reprise d’activité. Du côté du salarié, cette mobilité professionnelle permet d’accroître son expérience professionnelle et peut même s’accompagner d’un parcours de formation diplômant afin de renforcer son employabilité, ce qui constitue indéniablement un accord « gagnant-gagnant » pour les deux-parties.
Naturellement, il ne s’agit que d’un exemple parmi tant d’autres des applications possibles de ce dispositif, lequel n’est d’ailleurs pas l’apanage des entreprises en difficulté … reste désormais à en assurer une meilleure promotion auprès des acteurs concernés !
Benjamin Desaint, avocat associé et Florian Carriere, avocat collaborateur, Fromont Biens
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NOTES
1. Étude réalisée par le Centre des jeunes dirigeants d’entreprise (CJD).
2. Ce qui est d’ailleurs fortement regrettable et engendre des contentieux inutiles devant les Juridictions prud’homales. C’est la raison pour laquelle une proposition de loi avait été déposée à la Commission des affaires sociales en mars 2013 et proposait d’inclure à l’article L.8241-1 du Code du travail que « ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre […] des prestations de services entraînant la mise à disposition de personnel et exécutés sous la responsabilité du prestataire employeur ».
3. Cour d’appel de Paris, 22 janvier 2015 Pôle 6 Chambre 5 n°12/09177.
4. V. not « Le prêt de main d’œuvre … Késako (première partie) ? » SSL 27 avril 2015, n° 1674, F.CARRIERE, B.DESAINT.
5. L’article L.8241-2 du Code du travail n’impose pas une durée maximale, néanmoins puisque par nature le prêt de salarié est censé n’être que provisoire, il est vivement conseillé de prévoir une durée déterminée n’excédant pas 24 mois, quitte à y adjoindre une clause de renouvellement.
6. Par exemple à destination d’une société appartenant au même groupe, d’un partenaire commercial, ou d’une entreprise relevant du même bassin d’emploi.