En condamnant toute interdiction totale de démarchage pour les professions réglementées, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a levé un interdit de taille. Les appréhensions sont nombreuses face aux dérives possibles vers des pratiques abusives et peu délicates.
Pour revenir à l’arrêt du 5 avril 2011 (aff. C-119/09, Sté fiduciaire nationale d’expertise comptable c/Min. budget, Comptes publics et Fonction publique), la CJUE y explique, en réponse à une question préjudicielle du Conseil d’Etat, qu’une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d’une profession réglementée d’effectuer des actes de démarchage contrevient à l’article 24 de la directive "services".
Cet article impose en effet la suppression de l’interdiction totale des communications commerciales des professions réglementées - hormis notaires, huissiers de justice et professions de santé, qui n’entrent pas dans le champ de la directive-.
Il s’agissait en l’espèce de l’article 12 du Code de déontologie de l’expertise comptable qui interdit à ses membres "d’effectuer toute démarche non sollicitée en vue de proposer leurs services à des tiers".
Si l’arrêt du 5 avril peut apparaître comme touchant au principe fonctionnel de la profession, l’indépendance, le démarchage étant susceptible de favoriser une certaine complaisance vis- à vis du client potentiel, il est intéressant de revenir sur l’argument principal de la CJUE. Celle- ci analyse la question à l’aune du principe de libre- prestation de services, que la directive "services" a pour objectif de concrétiser. Interdire tout acte de démarchage, c’est priver les professionnels provenant d’autres Etats- membres d’un moyen efficace de pénétration du marché en cause, et donc restreindre la libre- prestation des services transfrontaliers.
Si cet arrêt est révélateur d’une certaine conception tendant à assimiler les services des professions réglementées à des services purement commerciaux, il est peut- être, néanmoins, utile de se demander en quoi la prospection de clientèle serait en elle- même répréhensible pour les professions libérales, à partir du moment où, bien évidemment, elle respecte les principes de la profession et favorise la liberté de choix du client. Faut-il rappeler que, dès lors que les professions réglementées entrent dans le champ de la concurrence, elles ne peuvent considérer leur clientèle comme leur pré-carré ?
En réalité, c’est moins l’autorisation en tant que telle du démarchage que ses modalités pratiques qui auront un véritable impact. L’article 24 de la directive "services" autorise en effet les Etats, notamment par le biais de codes de conduite communautaires, à fixer des règles relatives au contenu et aux modalités des communications commerciales. L’exactitude des informations, le respect du secret professionnel et autres principes de la profession devraient s’en trouver garantis. La vigilance devra s’imposer à l’égard des actes de démarchage reposant sur un contact direct et personnalisé avec le client potentiel.
Toute communication commerciale comparative pourra-t-elle, en revanche, être interdite ? Cela est moins sûr, et il faudra prouver à la Commission européenne que la mesure est justifiée et proportionnée par rapport à des moyens moins restrictifs.
Edouard de Lamaze, Avocat, Conseiller économique et social européen