Droit pénal de l’environnement : un essor et des enjeux de précisions

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

L’adoption, le 11 avril 2024, par le Parlement européen de la directive (UE) 2024/1203 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal témoigne de la vitalité et l’essor du droit pénal de l’environnement, qui a fait l’objet d’évolutions significatives en France au cours des dernières années (1.). Si l’arsenal législatif français apparait d’ores et déjà solide et à jour de la plupart des obligations imposées par la nouvelle directive, cette dernière comprend quelques nouveautés et pourrait être l’occasion de repenser certaines imprécisions du droit français en la matière (2.).

1.                 L’état de la politique pénale environnementale en France

Le droit pénal de l’environnement évolue substantiellement depuis le début des années 2000. Il est devenu impossible – et sans objet utile – de tenter ici un inventaire exhaustif des diverses infractions qui émaillent non seulement le code de l’environnement mais encore, entre autres, le code de l’urbanisme, le code rural et de la pêche maritime ou encore le code forestier.

Plus intéressante est l’évolution structurelle de la réponse pénale apportée par la France, qui dispose aujourd’hui d’outils et de moyens plus complets pour mettre en œuvre une véritable politique pénale environnementale, telle que formalisée par la circulaire du ministère de la justice du 9 octobre 2023[1].

Cette politique s’appuie sur deux principales lignes de force : la structuration des juridictions autour de pôles spécialisés disposant d’une coordination directe avec les services administratifs de l’Etat et les enquêteurs de l’environnement (1.1) et la mise en place d’une politique pénale négociée (1.2) visant à permettre un traitement pénal plus rapide favorisant la restauration des milieux impactés (1.3).

1.1.         La restructuration des parquets et la coordination accrue avec les services administratifs

Les parquets français ont été réorganisés autour de 38 pôles régionaux spécialisés (ci-après, « PRE ») créés par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, désormais en place au sein de chaque Cour d’appel.

Cette restructuration s’accompagne d’une montée en puissance des équipes, comprenant le recrutement et le détachement d’ « assistants spécialisés en matière environnementale » (issus entre autres des services techniques des ministères de la transition écologique ou encore de l’agriculture)[2].

Les PRE exercent une compétence concurrente à celle de droit commun pour les infractions environnementales et peuvent exercer leur saisine en cas d’affaires complexes.

Ils disposent également d’un rôle plus général de coordination et d’identification des enjeux environnementaux et de biodiversité au niveau local, sous le contrôle du procureur général[3]. Pour se faire, ils pourront s’appuyer – au sein de chaque département – sur un comité opérationnel de lutte contre la délinquance environnementale (ci-après, « COLDEN ») présidé par le ou les procureurs de la République territorialement compétents, et qui ont pour mission de veiller à l’échange interservices des informations concernant les atteintes à l’environnement et favoriser la coordination entre l’autorité judiciaire et administrative[4].

Les COLDEN, qui se réunissent au moins deux fois par an, comprennent outre les procureurs compétents un représentant du préfet et des agents des services de l’Etat compétent (en particulier la Direction départementale des territoires, interlocuteur important des acteurs économiques sur ces problématiques) ainsi que les services de police judiciaire spécialisés et des enquêteurs de l’environnement.

C’est notamment au travers des COLDEN que seront déclinées les principales priorités de la politique répressive environnementale sur le ressort de la Cour d’appel.

1.2.         L’augmentation des poursuites et l’essor probable de la convention judiciaire d’intérêt public environnementale

Ces efforts de restructuration se font aujourd’hui sentir par les acteurs économiques, avec une hausse des infractions constatées et des poursuites engagées par les parquets.

Plus de 20 conventions judiciaires d’intérêt public environnementales (ci-après, « CJIPE ») ont ainsi été validées en France depuis 2020[5], soit davantage que par le Parquet national financier depuis 2017 (ci-après, le « PNF »).

S’il n’existe à ce jour aucun outil de droit souple comparable aux lignes directrices publiées par le PNF (lequel intervient sur des affaires de montants significativement supérieurs), la circulaire du 9 octobre 2023 donne les grandes lignes du recours à la CJIPE laquelle devrait s’accroitre substantiellement au cours des années à venir :

  • La CJIPE a vocation à être utilisée aussi bien pour des affaires d’ampleur à l’échelle nationale que pour des affaires localisées sans technicité particulière.
  • Les critères appréciés par les parquets dans le cadre de la mise en œuvre de CJIPE comprendront « le caractère spontané de la révélation des faits ou encore le degré de coopération en vue de la régularisation de la situation et / ou de la réparation du préjudice écologique, mais également celui de ses antécédents judiciaires – l’engagement de poursuites pénales devant être privilégié en cas de réitération de faits graves afin de donner toute sa dimension dissuasive à la condamnation publique recherchée. »[6].
  • L’amende devra être proportionnée au regard de la gravité du manquement, des avantages tirés de l’infraction et des revenus de la personne morale sanctionnée.

A ce jour, le montant moyen de l’amende d’intérêt public s’élève à moins de 50.000 euros, avec une amende maximum qui s’élève à 140.000 euros.

Cette amende d’intérêt public est une sanction autonome et n’est pas imposée par la loi (plusieurs CJIPE conclues à ce jour n’imposent d’ailleurs aucune amende).

Elle vient s’ajouter à l’éventuelle obligation de mettre en œuvre un programme de conformité et, surtout, de réparer le dommage écologique.

1.3.         La spécificité de la justice pénale environnementale : la réparation du préjudice environnemental

Si l’amende n’est pas systématique, les services de poursuite s’attacheront systématiquement à obtenir la réparation du préjudice écologique qui découle des comportements litigieux, qui pourra impliquer des montants financiers bien supérieurs au montant de l’amende encourue.

Conformément à l’article 1249 du code civil, « la réparation du préjudice écologique s'effectue par priorité en nature ». Uniquement lorsque cette réparation en nature n’est pas possible, par exemple pour des raisons de sécurité, sur le site lui-même, des mesures de compensation de l’impact environnemental sur d’autres sites pourront être envisagées.

En dernier lieu, le préjudice écologique pourra faire l’objet d’une réparation financière, qu’il convient de chiffrer précisément malgré l’absence de méthodologie uniformément appliquée par les différentes juridictions.

Les parquets auront enfin tendance à favoriser les classements sans suite (sous conditions ou non) ou encore les compositions pénales lorsque l’impact environnemental constaté par les services enquêteurs est soit faible soit spontanément compensé par la personne poursuivie.

Dans ce cadre, la qualité du dialogue avec les services enquêteurs, les administrations déconcentrées et les parquets locaux apparait essentielle et il se pourrait bien que le droit pénal environnemental devienne l’un des espaces privilégiés de l’évolution vers une justice pénale davantage négociée.

La circulaire du 9 octobre 2023 encourage d’ailleurs les parquets et services d’enquête à apporter une « réponse pénale pédagogique ».

Il importera, pour les acteurs économiques exposés à ces risques, de former des personnels qualifiés afin d’être en mesure d’échanger et de justifier leur politique environnementale, afin de favoriser des solutions amiables de remise en état sur lesquelles personne poursuivie et autorité de poursuite pourraient s’accorder, quand bien même la matérialité de l’infraction et de l’atteinte serait débattue.

La matérialité des infractions environnementales et leur intentionnalité posent en effet de sérieuses difficultés. La publication de la nouvelle directive européenne est l’occasion de formuler quelques pistes de réflexion sur ce dernier volet.

2.              La directive européenne, une opportunité d’apporter davantage de précision au droit pénal de l’environnement

2.1.         Les principales nouveautés de fond résultant de la directive

La transposition de la directive 2024/1203 ne devrait pas apporter d’ajout infractionnel significatif en France, dont le droit répressif est relativement complet.

On relèvera néanmoins parmi les nouveautés imposées par la directive qui ne figurent pas dans le droit français :

  • L’obligation de prévoir des sanctions pénales en cas d’importation ou exportation effectuée en violation du règlement UE 2023/1115 relatif à la déforestation (sauf lorsque les quantités en cause sont négligeables)[7]; ou encore
  • La création d’un délit pour le captage des eaux de surface ou souterraines[8].

On relèvera également l’obligation d’établir et publier une stratégie nationale de lutte contre les infractions pénales environnementales avant le 21 mai 2027, laquelle s’inscrira vraisemblablement dans la ligne évoquée ci-avant, et l’obligation de mettre en place un système de données statistiques dédiées afin de contrôler l’évolution de cette stratégie[9].

Enfin, la directive demande aux Etats membres de prendre des mesures afin de garantir la prise en compte, si cela ne ressort pas des éléments constitutifs mêmes de l’infraction, des circonstances aggravantes et atténuantes, qui comprennent :

  • Pour les circonstances aggravantes, le fait que l’infraction était censée générer des avantages financiers importants ou a permis d’éviter des dépenses importantes, l’infraction a causé des dommages substantiels et irréversibles aux écosystèmes, ou encore que l’infraction ait été commise par un agent public dans le cadre de ses fonctions[10];
  • Pour les circonstances atténuantes, la remise en état de l’environnement ou la prise de mesures afin de réparer ou réduire au minimum l’incidence et l’ampleur de dommage.

Ces circonstances sont de fait déjà prises en compte par l’autorité judiciaire, mais relèvent à ce jour davantage des principes d’opportunité des poursuites et d’individualisation des peines. Il sera intéressant de voir si et comment le législateur a l’intention de formaliser les circonstances ci-avant.

2.2.         La transposition de la nouvelle directive : l’opportunité d’un travail de précision de l’approche environnementale

Si la France dispose d’un arsenal législatif répressif significatif en matière environnementale, le droit pénal français apparait parfois imprécis, et prend insuffisamment en compte tant dans la définition des infractions que dans l’échelle des peines, à la fois l’intentionnalité des atteintes et la matérialité de leur impact sur l’environnement[11].

Des juges du fond ont ainsi pu prononcer des relaxes au motif de l’absence de caractérisation par les services d’enquêtes et de poursuites de i) l’effectivité des atteintes aux espèces ou ii) l’importance réelle d’un site donné pour la conservation de l’espèce. Par ailleurs, certaines infractions de droit français se doublonnent, avec un même comportement susceptible de constituer à la fois un délit ou une contravention[12].

Le droit européen apparait plus précis sur ces points. La nouvelle directive demande par exemple aux Etats membres d’« apporter une plus grande précision dans la définition des infractions pénales »[13] et appelle à distinguer les qualifications infractionnelles en fonction de ce que le comportement est intentionnel ou relève « d’une négligence au moins grave »[14].

De nombreuses qualifications de la directive européenne invitent également les Etats membres à prendre en compte le caractère « significatif » ou « substantiel » du dommage causé à l’environnement pour la caractérisation de l’infraction[15].

La clarté étant mère d’efficacité, le droit pénal français de l’environnement ne perdrait sans doute rien à préciser davantage ces différents éléments.

Quentin Dreyfus, avocat à la Cour, Premier Secrétaire de la Conférence & Pierre Zientara, avocat à la Cour

 ______________________

[1]          Circulaire CRIM 2023 – 16 / G3 – 06/10/2023 du 9 octobre 2023 relative à la politique pénale en matière de justice pénale environnementale.

[2]          Article 706-2-3 du code de l’environnement.

[3]          Les PRE organiseront notamment des réunions annuelles afin d’identifier les enjeux environnementaux et de biodiversité au niveau local ainsi que les services déconcentrés compétents et les acteurs associatifs locaux, et devront établir des cartographies régionales des risques environnementaux dans le cadre de rapports annuels.

[4]          Décret n° 2023-876 du 13 septembre 2023.

[5]          Article 41-1-3 du code de l’environnement.

[6]          Circulaire du 9 octobre 2023, p.11.

[7]          Article 3, §2, p) de la directive 2024/1203.

[8]          Les délits relatifs à l’eau et aux milieux aquatiques concernent à ce jour essentiellement le déversement de substances nuisibles et l’atteinte à la faune piscicole (cf. not. Article L. 216-6 ou L. 432-2 du code de l’environnement).

[9]          Articles 21 et 22 de la directive 2024/1203.

[10]         Article 8 de la directive 2024/1203.

[11]         A l’image de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui considère par exemple que le délit d’atteinte aux habitats protégés n’est pas subordonné au fait qu’un arrêté biotope ou une quelconque intervention administrative ait désigné l’habitat en cause (Cass. crim., 27 juin 2006, n° 05-84.090, Bull. crim. n° 199), ou encore que la simple faute d’imprudence ou de négligence suffit à caractériser le délit malgré l’absence de toute précision de la loi sur ce volet (Cass. crim., 18 octobre 2022, n° 21-86.965, Bull. crim. n° 1271).

[12]         Voir, par exemple, l’atteinte illicite à un habitat d’espèce protégé par une arrêté de protection de biotope, susceptible de constituer un délit (article L. 415-3 du code de l’environnement) ou une simple contravention (article R. 415-1 du même code).

[13]         Considérant 6 de la directive 2024/1203.

[14]         Article 3 de la directive 2024/1203.

[15]         Conformément à l’article 3, 6, 10), les éléments suivants sont pris en compte pour caractériser la substantialité du dommage : l’état initial de l’environnement, la durabilité et l’ampleur du dommage ainsi que sa réversibilité.


Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 25 juillet 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 24 juillet 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 16 juillet 2024 :