La représentation des personnes morales est un sujet inépuisable en termes de jurisprudence : cinq décisions rendues au cours de l’année 2011 par la Cour de Cassation en sont l’illustration.
Le premier arrêt, sans doute le plus intéressant, émane de la chambre criminelle de la Cour de Cassation (Cass. Crim. 11 octobre 2011, n° 10-872012). Depuis l’abrogation du principe de spécialité en matière de responsabilité pénale des personnes morales, la responsabilité de ces dernières est fréquemment recherchée, en particulier en cas de manquement allégué à une obligation de sécurité.L’article 121-2 du Code pénal pose néanmoins deux conditions à la mise en jeu de la responsabilité de la personne morale : l’infraction doit avoir été commise pour son compte mais également par ses organes ou représentants. Lorsque le manquement est imputable à un salarié de l’entreprise, la responsabilité de cette dernière peut être engagée si ledit salarié est titulaire d’une délégation de pouvoirs, car il est alors assimilé à un représentant de ladite entreprise (Cass. Crim. 23 novembre 2010, Dalloz Actualités, 21 janv. 2011, obs. Bombled ; Cass. Crim. 26 juin 2001, Dr. Pénal 2002.8, obs. J-H. Robert, Gaz. Pal.).
Dans le cas ayant conduit à la décision du 11 octobre 2011, la responsabilité de la société EDF avait été retenue par la Cour d’appel au motif que les manquements aux obligations de sécurité avaient été commis par des agents de maîtrise, la Cour ayant estimé que leur statut et leurs attributions permettaient de les considérer comme des représentants de la société, nonobstant l’absence formelle de délégations de pouvoirs. Les juges du fond ont été censurés au motif que leur décision n’était pas justifiée en l’absence d’explications données quant à l’existence effective d’une délégation de pouvoirs ou aux statut et attributions des agents mis en cause propres à en faire des représentants de la personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal,.
Ainsi, cette arrêt permet de rappeler que dans le cadre de la mise en place de schémas de délégations de pouvoirs, il est indispensable de trouver un juste équilibre entre la nécessaire protection de la responsabilité pénale des dirigeants (notamment face à des risques accrus de mise en jeu de leur responsabilité du fait de la taille de l’entreprise ou de son activité) et la protection de la responsabilité de la personne morale. Ce point doit nécessairement être pris en compte en amont lors de la mise en place ou de la modification de tout schéma de délégations de pouvoir, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer à quel niveau fonctionnel hiérarchique des délégations seront déployées au sein de l’entreprise ou d’un groupe de sociétés. En effet, la mise en place de délégations de pouvoirs conduit à ce que les délégataires puissent être considérés comme des représentants de la société, et donc susceptibles d’entraîner la mise en jeu de sa responsabilité. Il vaut donc veiller à contrôler le déploiement en cascade des délégations de pouvoirs pour éviter de multiplier le nombre de personnes susceptibles d’engager la responsabilité de l’entreprise de manière plus systématique.
Deux autres arrêts rendus les 7 juin 2011 et 12 juillet 2011 par la Chambre commerciale ont également trait à la représentation de la personne morale.
La première décision du 7 juin 2011 est relative à la validité d’actions en contrefaçon introduites par une société anonyme (Cass. Com 7 juin 2011, n°10-23515, Bebecar Utilidades para Crianca et a. c/ Dorel France). L’acte introductif d’instance mentionnait en qualité de représentant de la société le « Président en exercice ». Or, les fonctions de Président du Conseil d’administration et de Directeur général étaient cumulées par la même personne physique (ainsi que cela est rendu possible par l’article L 225-51-1 du Code de commerce). Le Directeur général disposant du pouvoir de représentation de la société anonyme (article L 225-56 du Code de commerce), la nullité de l’acte était invoquée. La Cour de cassation considère que la nullité de l’action introduite ne saurait être prononcée dans la mesure où le cumul est régulier et conforme aux statuts, et que l’omission de la mention de la fonction de Directeur général dans l’acte ne constituait qu’une irrégularité de forme.
Dans la seconde affaire ayant donné lieu à la décision du 12 juillet 2011 (Cass. Com 12 juill. 2011, n°10-18444, n°753 D, Banque Populaire Centre Atlantique c/ Amauger, es qual.), il était soutenu qu’une déclaration de créances faite par un tiers, sur délégation du Directeur général devait être rejetée au motif qu’il n’était pas justifié des pouvoirs dudit Directeur général. En l’absence de production des statuts fixant les pouvoirs du Directeur Général des sociétés Banque Populaire (ses pouvoirs n’étant pas fixés par la loi mais par les statuts), la Cour d’appel a considéré que les pouvoirs du Directeur Général n’étaient pas établis et que la créance ne pouvait donc être admise. La Cour de cassation casse l’arrêt au motif que la Banque ayant opté pour la forme sociale d’une société anonyme, le Directeur Général tient des articles L 225-51-1 et L 225-56 I du Code de commerce le pouvoir d’ester en justice au nom de la banque et donc de procéder à une déclaration de créances et, qu’en conséquence, la production des statuts n’était pas nécessaire. Rappelons que toute restriction au pouvoir du Directeur général doit faire l’objet d’une délibération expresse du Conseil d’administration ou d’une clause particulière des statuts.
Ces décisions qui privilégient une approche pragmatique de la représentation des personnes morales, tout en étant parfaitement en ligne avec les textes, sont à rapprocher des décisions intervenues les 26 janvier 2011 et 21 juin 2011 en matière de délégation de pouvoirs au sein de sociétés par action simplifiée. Ces dernières ont en effet permis de rassurer sociétés et juristes sur ce sujet essentiel en matière de gestion des risques que constituent les délégations de pouvoirs en confirmant que les représentants légaux peuvent déléguer le pouvoir d’effectuer des actes déterminés sans qu’une formalisation particulière ne soit nécessaire (et notamment sans nécessité de voir inscrire au KBis l’ensemble de ces délégations – ref. Cass. Sos. 26 janv. 2011, n°08-43475 X c/ Edimark SAS).
L’ensemble des décisions précitées montre néanmoins combien il est essentiel de s’assurer que le schéma de délégation de pouvoirs soit correctement structuré en amont et validé dans son ensemble, et notamment que la capacité du primo-déléguant à déléguer soit bien prise en considération, non seulement en considération des dispositions légales, mais également des dispositions statutaires et de leurs éventuels changements.
Caroline Mercier Havsteen
Avocat - Membre du Conseil de l'Ordre
Ernst & Young Société d'Avocats