Avec peu d’industries performant mieux que le secteur du luxe, qui représente un chiffre d’affaires global de 185 milliards d’euros, un nombre croissant d’avocats et d’étudiants en droit sélectionne le secteur du luxe comme point de mire de leur stratégie de développement commercial.
De plus en plus de cabinets d’avocats rajoutent de nouveaux départements dénommés “Luxe, mode & beauté” ou “Mode & produits de luxe” à leur liste de services offerts. Cela attire une clientèle travaillant pour les marques de luxe, qui est rassurée par le fait que les avocats travaillant dans ces équipes sont non seulement techniquement excellents mais possèdent aussi une connaissance approfondie du monde du luxe. Cela est aussi à la base d’un constat qu’il y a une nécessité de prodiguer du conseil juridique sur mesure, adapté aux spécificités de ce secteur unique.
L’industrie du luxe est un marché de niche difficile à pénétrer pour les avocats et juristes. Ils doivent donc déployer leur charme ainsi que leur intelligence afin d’être reconnus par les maisons de luxe, designers, stylistes, revendeurs, importateurs, distributeurs, artistes et maisons de ventes aux enchères comme des conseillers efficaces et de confiance. “Les membres du service juridique de Sotheby’s, basés à New York, Londres et Paris, ont été sélectionnés tant pour leur experience technique (en droit commercial ou en droit fiscal) que pour leur capacité à gérer, de façon proactive et avec courtoisie, une palette de problématiques juridiques soulevées soit par les agents commerciaux de Sotheby’s (tels que les experts en art et les commissaires-priseurs), soit par les clients fortunés de Sotheby’s” explique Tom Christopherson, Directeur Juridique Europe de Sotheby’s.
Les concepts de droit du luxe en France et “fashion law” (droit de la mode) aux Etats-Unis se sont développés durant la dernière décennie, afin de nommer ce domaine juridique émergent. Avec une augmentation de plus de 50% du chiffre d’affaires des entreprises de luxe depuis 2002, il y a une prise de conscience, parmi les professionnels du droit, que l’heure du droit du luxe et de la mode a sonné.
Helen Newman, associée spécialisée en propriété intellectuelle chez Oslwang, précise: “alors que certaines maisons de luxe, avaient une approche commerciale peu sophistiquée il y a dix ans, elles ne peuvent plus aujourd’hui se permettre d’être à la traine en termes d’obtention de conseil juridique sur mesure et judicieux, sur des problématiques telles que l’ingénierie financière, le droit de la concurrence, les droits de propriété intellectuelle et la distribution sélective”. Aujourd'hui, nommer des avocats très performants est la meilleure option commerciale, même si leurs services peuvent initialement paraître onéreux, du fait d’une concurrence très exacerbée dans le secteur du luxe et de l’intensification des menaces externes au bien-être des maisons de luxe.
Comme exemple de concurrence sectorielle ardue, la façon dont le groupe Arnault a utilisé les normes de droit et le système juridique pour obtenir le contrôle de LVMH, la plus large société de luxe au monde, à la fin des années 80, est révélatrice: après la fusion entre Louis Vuitton et Moët-Hennessy, le groupe Arnault a acquis plus de 93% des bons de souscription provenant des obligations avec bons de souscription d’action (OBSAs) émises par Moët-Hennessy. Le groupe Arnault a profité du fait que le cadre juridique relatif aux OBSAs, un nouveau type de valeurs mobilières composées à l’époque, était toujours relativement inconnu aux juridictions françaises. Suite à une bataille juridique de quatre ans, qui abouti au refus par les juridictions françaises de déclarer nulle l’émission litigieuse d’OBSAs, le groupe Arnault vaincu les actionnaires minoritaires de LVMH.
Les risques juridiques n’existent pas uniquement à l’intérieur de l’industrie mais découlent aussi du cadre commercial très règlementé auquel les entreprises de luxe doivent se conformer. Une décision de la Cour d’Appel de Paris en date du 26 janvier 2012 confirme l’existence d’accords de fixation de prix et de pratiques anti-concurrentielle entre treize producteurs de parfums et cosmétiques de luxe (parmi lesquels Chanel, Guerlain, Parfums Christian Dior and Yves Saint Laurent Beauté) et leurs trois distributeurs français (Sephora, Nocibé France et Marionnaud). La cour confirma aussi le jugement du conseil de la concurrence, en date du 14 mars 2006, condamnant chacune des treize maisons de luxe et leurs trois distributeurs à des amendes d’un montant total de 40 millions d’euros. Etant donné que la marque et le halo des maisons de luxe sont leurs principaux atouts et actifs, de tels méfaits pourraient avoir un impact non négligeable sur leur réputation. C’est un signal d’alarme pour les entreprises de luxe que les avocats et juristes doivent dorénavant être impliqués, dés les stades préliminaires de la structuration de leurs réseaux de distribution, afin d’éviter d’autres violations du droit de la concurrence.
Un autre risque externe critique dont tous les gestionnaires et directeurs des maisons de luxe souhaitent se prémunir, est la transgression de leurs droit de propriété intellectuelle et, en particulier, la dilution de leur marque et l’affaiblissement de leur image de marque. Les avocats sont la meilleure arme dont les sociétés de luxe disposent pour lutter contre la contrefaçon, surtout maintenant que tant de produits contrefaisants sont vendus sur Internet. Comme Aurélie Badin-Buisson, avocate spécialisée en propriete intellectuelle l’explique, un bon conseil juridique doit pouvoir réagir dans la journée, dés que des actes de contrefaçon sont suspectés ou établis. “L’avocat doit immédiatement saisir les juridictions compétentes pour soit autoriser la saisie des produits contrefaisants ou la fouille de bâtiments et maisons suspicieuses, soit envoyer des injonctions à tous les fournisseurs d’accès Internet localisés sur le territoire français, afin de bloquer l’accès par les utilisateurs d’Internet aux sites qui sont reconnus comme proposant à la vente des produits contrefaisants » explique-t-elle.
Les avocats soutiennent aussi activement les sociétés de luxe dans la capitalisation des opportunités de croissance représentées par la demande pour les produits de luxe, émanant d’Asie, du Moyen Orient et des pays de l’ex-Union Soviétique. La distribution sélective permet aux fabricants de choisir des distributeurs sur la base que critères qualitatifs et afin d’assurer que la distribution de leurs produits seront en adéquation avec les conditions convenant à la sensation de luxe que les fabricants attribuent a leurs produits. Les produits de luxe sont ainsi le plus souvent commercialisés par le biais de la distribution sélective, un canal plus flexible et contrôlable que la distribution exclusive ou les franchises. Le rôle des avocats est très important pour représenter les intérêts des fournisseurs de produits de luxe durant les négociations et l’exécution de ces accords de distribution sélective, notamment pour s’assurer de ce que la gestion du prestige et de la rareté, deux caractéristiques essentielles des produits de luxe, soit accomplie de manière adéquate.
Les avocats ne sont pas uniquement utiles pour résoudre les problèmes contentieux ou non-contentieux, mais sont en train de se développer comme porte-paroles représentant les intérêts des marques de luxe. Mme Ponsolles des Portes, présidente et PDG du Comité Colbert, un club français de 75 marques de luxe, confirme que de nombreux directeurs juridiques, qui travaillent pour les membres du Comité Colbert, sont aussi membres de la commission de travail intitulée “Pouvoirs Publics” du Comité. Cette commission prend des actions pour mieux représenter les intérêts de l’industrie du luxe, qui se trouve face à un cadre règlementaire de plus en plus contraignant. “Deux task forces ont été mises en place par la commission de travail ainsi que les avocats qui conseillent régulièrement les membres du Comité, afin d’analyser et de commenter les projets de règlements émanant de la Commission Européenne, relatifs à la distribution sélective et aux douanes” indique-t-elle. Les avocats jouent aussi un rôle d’éducateurs, par exemple en fournissant du conseil juridique gratuit ou en participant à des séminaires destinés aux étudiants en design, mode et art des prestigieuses universités Royal Collège of Art et Central St Martins College of Art & Design à Londres, et à des cours de droit du luxe aux étudiants complétant leurs MBAs en gestion et marketing des marques de luxe à l’ESSEC et à l’ “Institut Supérieur de Marketing de Luxe” à Paris.
Le mouvement du « fashion law » est en train de devenir si important aux Etats-Unis qu’un Fashion Law Institute a été crée avec le support et conseil du « Council of Fashion Designers of America » et sa présidente, Diane Von Fürstenberg. “La discipline académique couvre les problématiques juridiques qui peuvent apparaître durant la vie d’un vêtement, de son dessin original et les droits de propriété intellectuelle afférents, en passant par les questions de financement et mise en commercialisation, au commerce international et règlementations gouvernementales, tout en incluant la protection de l’environnement et la mode « verte »” explique le Professeur Susan Scafidi de Fordham University School of Law, la directrice académique du Fashion Law Institute.
Le futur est rayonnant pour les avocats qui ont un bon réseau dans le domaine du luxe et des industries créatives : c’est un travail bien agréable, encore faut-il le décrocher !
Annabelle Gauberti, avocat au barreau de Paris et solicitor of England & Wales, Associée de Crefovi (mise à jour du 22 octobre 2012)