Les Etats d'Amérique Latine ont toujours entretenu des rapports distants avec le CIRDI. Avec l'Argentine, il semble qu'on ait atteint un point qui pourait amener à une rupture, et qui pourait inspirer d´autres Etats. Nicolas Boeglin, professeur à la Faculté de Droit de l'Université du Costa Rica, tente de nous exposer dans le présent article la situation particulère des pays de l´Amérique Latine et celle récente de l'Argentine.
Afin de résoudre les différends entre Etats et investisseurs étrangers, le Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs aux Investissements (CIRDI) fut créé en 1965. Le CIRDI fonctionna de manière sporadique : la première affaire (la seule de l'année) date de l´année 1972, suivie de celle de 1974 avec 4 affaires, puis d´années creuses sans affaires (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991) (graphique page 7, Affaires du CIRDI- Statistiques, numéro 2012-1). L´envolée du nombre d'affaires par année depuis 1996 (1997: 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s´explique par l´effet des nombreux accords bilatéraux de protection et promotion des investissements (les « TBI ») signés a partir des années 90, représentant 78% de la base du consentement à la compétence CIRDI pour les affaires enregistrées en 2011 (Ibidem, page 21).
Le CIRDI dans les Amériques :
Le Canada, Cuba et la République Dominicaine ne sont pas partie à la Convention du CIRDI. Il en est de même pour le Mexique (attitude considérée entre "sage et rebelle" ) et pour les États suivants: Antigua et Barbuda, Belize, la Dominique (Commonwealth of) et le Suriname. En Amérique du Sud, le Brésil n'a ni ratifié ni même signé la convention et aucun signe ne permet de déceler un intérêt quelconque de le faire de la part de la sixième économie mondiale.
Les conditions dans lesquelles le Costa Rica ratifia cette convention sont révélatrices : elle eut lieu en avril 1993, 12 ans après la signature. Cette longue période s´explique du fait du non règlement de l'expropriation de l'Hacienda Santa Elena, à la suite de la création d'un Parc National en mai 1978. Cette longue affaire a finalement été résolue par le CIRDI en l´an 2000 (1). Un mémorandum de la GCAB (Global Committee of Argentina Bondholders) de 2005 indique: "In the 1990s, following the alleged expropriation of property owned by an American investor, Costa Rica refused to submit to ICSID arbitration. The American investor invoked the Helms Amendment and delayed a US$ 175 million loan from the Inter-American Development Bank to Costa Rica. Costa Rica consented to the ICSID proceeding, and the American investor ultimately recovered US$ 16 million ". Cette affaire constitua la première affaire contre un Etat d'Amérique Latine portée devant le CIRDI.
Récents retraits :
Comme tout traité international, la Convention du CIRDI est susceptible d´une dénonciation (ou retrait). La Bolivie a été le premier Etat à se retirer en mai 2007, suivie par l'Équateur (dénonciation notifiée en Juillet 2009) (2). Le Venezuela a annoncé son retrait le 24 Janvier 2012, prenant effet au mois de juillet prochain. Éventuellement d'autres Etats, comme l'Argentine (Etat contre lequel existent 25 affaires, et signataire de 58 TBI - pour la plupart signés entre 1990 et 1995) pourraient également suivre cette voie. Un projet de loi en ce sens circule au sein du Congrès de l'Argentine depuis le 21 mars 2012.
Perspectives d´avenir :
Au-delà du cas argentin, nul doute que bien des critiques faites à l´encontre du CIRDI sont à considérer: notamment son manque de sensibilité pour les questions relatives à la défense d´intérêts collectifs (droits de l'homme, environnement, droits des peuples autochtones, eau). L´image récente de l´Eglise Catholique salvadorienne implorant « la pitié» aux arbitres dans l´affaire Pacific Rim (du nom de la société minière canadienne) en 2010 est encore fraîche. Pour d´autres, l´Etat est placé dans une situation délicate, du fait que « le gouvernement est soumis à de fortes pressions pour respecter les engagements qu´il a pris en concluant le TBI, car il a le souci d´attirer les investisseurs étrangers sur son territoire » (3).
Accumuler une grande quantité d´affaires devant les arbitres du CIRDI ou obtenir systématiquement des résultats négatifs constituent des raisons qui pourraient bien inspirer d´autres Etats à dénoncer la Convention CIRDI (sur les 148 affaires à cette date inscrites au CIRDI, l´Argentine compte 25 affaires, le Venezuela 19, le Pérou 7, le Costa Rica, l´Equateur, le Guatemala 3 chacun). Rappelons que dès les années 60, l´Amérique Latine s´était montrée extrêmement hostile à la création de cette instance si particulière : lors de l´approbation du premier projet de Convention par le Conseil des gouverneurs de la Banque Mondiale en septembre 1964 durant la réunion annuelle à Tokyo, les Etats d'Amérique latine (ainsi que l'Irak et les Philippines) avaient voté contre (ce vote est connu sous le nom de "Non de Tokyo"), à savoir: l´Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, la République dominicaine, l´Equateur, El Salvador, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, l´Uruguay et le Venezuela (4).
Nicolas Boeglin, Professeur, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica (UCR)
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NOTES
1 : La création du Parc National Santa Rosa en 1978 donna lieu à un différend avec les propriétaires nord-américains exigeant le paiement de 6,400.000 US$, contre une indemnisation de 1,900.000 US$ proposée par le Costa Rica. Le CIRDI décide en l´an 2000 d'ordonner une indemnisation de 16 millions US$ au Costa Rica. Voir le texte la décision du 17 Juillet 2000,.
2 : Cf .MALIK M., La dénonciation de la Convention de Washington du 18 mars 1965 par la Bolivie et l´Equateur. Mémoire, 2010. Texte disponible.
3 : Cf. MAYER P. « Les arbitrages CIRDI en matière d´eau », Société Française pour le Droit International (SFDI), Colloque d´Orléans, L´eau en droit international, Paris, Pedone, 2011, pp.162-183, p. 176.
4 : Cf. ICSID, History of the ICSID Convention. Documents Concerning the Origin and the Formulation of the Convention on the Settlement of Investment Disputes between States and Nationals of Other States, Washington, DC, ICSID, vol. II-1, pp.606-608.