La responsabilité des mandataires sociaux en droit anglais

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olivier morelOlivier Morel, avocat associé chez Cripps Harries Hall, et Solicitor of the Senior Courts of England and Wales, offre au Monde du Droit un éclairage sur la responsabilité des mandataires sociaux en droit anglais.

En Angleterre, en matière de responsabilité, la personnalité morale de la société ne constitue pas toujours un rempart infranchissable, capable de mettre les mandataires sociaux à l'abri de toute mise en cause personnelle. Les entrepreneurs français y ayant des fonctions dans une société ou une filiale doivent prendre des mesures préventives.

Cette perméabilité a pour objectifs principaux la protection des tiers et la responsabilisation des dirigeants. Ces derniers doivent s'impliquer avec sérieux et méthode dans la gestion de la société pour se prémunir d'une éventuelle condamnation personnelle. Parce qu'être mandataire social n'est pas seulement un titre, un manque de diligences est impardonnable. En général, plus les manquements commis ont un impact direct sur les salariés ou l'ordre public, plus la responsabilité des dirigeants sera facile à reconnaître.

Les risques auxquels sont exposés les dirigeants découlent directement des devoirs auxquels ils sont astreints. Il ne s'agit pas d'une responsabilité automatique dès lors que la société elle-même est reconnue responsable. Heureusement, il existe plusieurs moyens de limiter la responsabilité des mandataires sociaux honnêtes et diligents.

  •  Les « responsables »

Tous les dirigeants peuvent voir leur responsabilité personnelle engagée, peu importe le titre donné aux fonctions. Sont ainsi concernés les « executive directors », « non-executive directors », « shadow directors », « secretaries » et « managers »...

De même, l'absence de fonction officielle ne constitue pas un rempart à la mise en cause de la responsabilité personnelle. Un dirigeant de fait (« shadow director »), qui n'est donc pas titulaire d'une nomination régulière mais qui agit comme un véritable mandataire social, peut involontairement engager sa responsabilité personnelle.

  •  La responsabilité civile

La responsabilité civile des dirigeants trouve son fondement principal dans les devoirs auxquels ils sont astreints envers leur société. Ces principes sont codifiés dans le Companies Act 2006 :

- agir dans le respect des pouvoirs qui lui ont été conférés ;

- favoriser la réussite de la société ;

- faire preuve d'indépendance ;

- agir avec prudence, diligence et compétence ;

- éviter les conflits d'intérêts ;

- refuser les avantages ou commissions émanant de tiers ;

- déclarer son intérêt personnel dans une opération menée par la société, le cas échéant.

Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, d'autres obligations trouvent leur source dans le droit commun anglais - Common Law et Equity. Certains devoirs perdurent d'ailleurs après la cessation des fonctions de dirigeant. Il en est ainsi en matière de conflit d'intérêts ou d'avantages de la part de tiers. Il faut noter qu'en principe, les mandataires sociaux ne sont pas astreints à un devoir de loyauté à l'égard des actionnaires de la société ou de ses créanciers. C'est de la manière qu'il considère être dans l'intérêt de la société et bénéfique pour l'ensemble de ses membres que le dirigeant doit agir. Il ne doit pas, a priori, se soucier de ce qu'un tribunal pourrait considérer et conserve donc l'autonomie indispensable à l'exercice de sa mission. Précisons que les particularités de la fonction de mandataire social sont prises en compte par la jurisprudence qui intègre le risque qui y est inhérent. Aussi, un dirigeant ne saurait voir sa responsabilité engagée pour une simple erreur de jugement en matière commerciale. Cependant, le droit des entreprises en difficulté apporte une nuance à cette apparente mansuétude puisqu'il prévoit trois principaux cas dans lesquels le mandataire social contribuera personnellement au désintéressement des créanciers de la société : fraude, abus de pouvoir et manque de diligence.

  •  La responsabilité pénale

En principe, un dirigeant qui commet une infraction pénale sera personnellement responsable de tels agissements. Il peut également être condamné lorsqu'il a autorisé, permis ou participé à l'infraction pénale commise par la personne morale, ou n'a rien fait pour prévenir une telle infraction. Le paiement d'une amende constitue alors la principale sanction, les peines d'emprisonnement étant réservées aux agissements les plus graves, répétés ou caractérisés par une intention frauduleuse manifeste.

Le droit pénal des affaires anglais couvre l'ensemble des activités d'une entreprise. Ainsi, dans le cadre du Companies Act 2006 par exemple, sont pénalement sanctionnés les fraudes et falsifications, les détournements de biens sociaux, les retards dans la production des comptes ou encore le manque de diligence dans la révélation d'un intérêt personnel du dirigeant lors d'une transaction. Les manoeuvres trompeuses et les fausses déclarations en matière de cessions de valeurs mobilières sont pénalement sanctionnées sous le Financial Services and Markets Act 2000. Le dirigeant peut également être tenu pénalement responsable en matière de fraude à la TVA ou d'évasion fiscale.

A noter : deux domaines sont particulièrement propices à une mise en cause de la responsabilité pénale des mandataires sociaux : l'hygiène et la sécurité, ainsi que la corruption.

La responsabilité en matière d'hygiène et de sécurité

La responsabilité du mandataire social en matière d'hygiène et de sécurité (« health and safety ») peut être engagée si la société est elle-même reconnue responsable d'un accident. Les deux principales sources d'obligations concernant l'hygiène et la sécurité sont The Health and Safety at Work etc Act 1974 (ou HSWA 1974) et The Management of Health and Safety at Work Regulations 1999.

Il ressort de ces réglementations les devoirs suivants :

- L'employeur est tenu d'assurer la santé et la sécurité des salariés et, dans la mesure du possible, de toute autre personne liée à leurs activités.

- L'employeur doit évaluer et passer en revue les risques encourus par les salariés et les personnes liées à leurs activités. L'évaluation doit être « suffisante et appropriée ».

- L'employeur doit mettre en oeuvre, organiser, contrôler, diriger et passer en revue les mesures de prévention et de protection relatives à l'hygiène et la sécurité.

- L'employeur doit s'assurer du caractère approprié de ces mesures.

- Une ou plusieurs personnes compétentes doivent être désignées pour gérer la mise en oeuvre des mesures rendues nécessaires en vertu de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité.

- L'employeur doit porter à la connaissance des salariés les risques auxquels ils sont confrontés et leur délivrer une formation aux procédures de prévention et de protection mises en place.

En outre, les entreprises de plus de cinq salariés doivent produire un règlement relatif à l'hygiène et la sécurité, porté à l'attention des salariés, qui doit décrire les modalités d'application pratique des dispositions de prévention et qui doit être constamment mis à jour.

Le manquement à l'une de ces obligations est susceptible d'engager la responsabilité pénale de l'entreprise. Depuis le Corporate Manslaughter and Corporate Homicide Act 2007, la société peut être condamnée pour homicide involontaire. Cette nouvelle loi s'applique à toutes les entités ayant une activité au Royaume-Uni.

Si l'entreprise est reconnue coupable d'un manquement à la réglementation relative à l'hygiène et la sécurité, son dirigeant peut aussi être poursuivi personnellement. Dans ce cas doit être établi :

- que le mandataire social avait conscience des circonstances et des risques qui ont été à l'origine de l'accident ; ou

- que la négligence du mandataire social, caractérisée par un manquement à son devoir de s'assurer de la santé ou la sécurité des salariés, est à l'origine de l'accident.

Le dirigeant peut ainsi être reconnu responsable du préjudice subi par le salarié et même être condamné pour homicide involontaire (« manslaughter by gross negligence »). De plus, il peut être interdit d'exercer la fonction de mandataire social pendant 15 ans.

La responsabilité en matière de corruption

Selon une étude récente (UK business remains unprepared for Bribery Act, », John Smart, The Lawyer, 11 juillet 2011), un employé britannique sur six serait prêt à offrir des « cadeaux » pour progresser dans ses affaires. Entré en vigueur le 1er juillet 2011, le Bribery Act 2010 est le nouveau dispositif de lutte contre la corruption applicable en Angleterre et au Pays de Galles. La responsabilité des dirigeants d'une entreprise peut être recherchée si cette dernière est elle-même reconnue coupable au titre des sections 1, 2 et 6 du Bribery Act 2010.

La première section est relative à la corruption active. Elle couvre donc le fait d'offrir ou de promettre un «pot-de-vin», c'est-à-dire avoir conscience du caractère illégal de la proposition ou avoir l'intention d'induire ou de récompenser un comportement.

La deuxième section concerne la corruption passive, donc le fait de demander ou d'accepter un « pot-de-vin ».

La sixième section vise la corruption d'un agent public étranger pour conserver ou obtenir un marché.

Toute personne peut être reconnue responsable s'il est établi qu'elle avait conscience des faits de corruption et qu'elle n'a rien entrepris pour y mettre un terme. Cette mise en cause de la responsabilité personnelle n'est donc pas limitée aux dirigeants de la société. Notons qu'un actionnaire, personne physique ou morale, ne peut voir sa responsabilité engagée du seul fait de sa participation au sein d'une filiale condamnée pour corruption.

Pour encourager et encadrer la mise en place de politiques anti-corruption au sein des entreprises, le ministère de la Justice a publié six grands principes dont l'application repose essentiellement sur les diligences des dirigeants :

- Evaluer le risque de corruption dans l'entreprise et son secteur d'activité.

- S'engager dans la création d'une culture anti-corruption au sein de leur entité et du groupe. Cette culture doit être affirmée avec vigueur par les dirigeants et communiquée régulièrement au personnel ainsi qu'aux partenaires commerciaux.

- S'assurer avec diligence que toutes les relations d'affaires sont transparentes et éthiques en se renseignant sur les partenaires commerciaux de l'entreprise et les transactions financières l'impliquant.

- Adopter une politique de gestion des risques claire, pragmatique et accessible à tous. Nommer une personne spécialement en charge de la lutte anti-corruption au sein de l'entité.

- Mettre en oeuvre de façon effective la procédure anti-corruption. Celle-ci doit devenir partie intégrante de tous les aspects de la vie de l'entreprise.

- Mettre à jour de façon permanente les procédures de contrôle.

Les autorités judiciaires anglaises sont très impliquées dans cette lutte et ont d'ailleurs montré l'exemple, la première personne poursuivie au visa du Bribery Act 2010 étant un agent administratif... d'un tribunal londonien.

  •  La limitation de la responsabilité personnelle des dirigeants

- Tout d'abord, la société peut souscrire une assurance relative à la responsabilité de ses dirigeants. Mais seuls les faits qui ne sont pas contraires à l'ordre public seront couverts, excluant les actes frauduleux ou malveillants par exemple.

- La délégation de pouvoirs (« delegation of powers ») peut s'avérer efficace bien qu'elle ne soit pas accompagnée d'un transfert automatique de responsabilité. Lorsque le délégataire est reconnu responsable pour des actes pris dans le cadre de la délégation, cette responsabilité n'exclut pas celle du mandataire social. Pour s'exonérer en cas de défaillance du délégataire, le dirigeant doit :

- prouver qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne dont il a toutes les raisons de croire qu'elle est compétente, honnête et digne de confiance ;

- prouver qu'il a supervisé les tâches déléguées et s'est tenu régulièrement informé des activités du délégataire. A noter : il est utile de savoir que l'absence de mise en place d'un système de délégation de pouvoirs dans une société de taille importante peut être considérée comme fautive lorsqu'une défaillance résulte de cette organisation trop centralisée.

- Par ailleurs, la « ratification » est un moyen de supprimer la responsabilité du mandataire social, mais vis-à-vis de la société uniquement, de façon ponctuelle et a posteriori. En ratifiant un acte constituant un manquement aux devoirs généraux du dirigeant, la société s'interdit de poursuivre celui-ci. En revanche, la responsabilité du mandataire social reste entière à l'égard des tiers. Les actes illégaux ou frauduleux ne peuvent en bénéficier. Seuls les actionnaires peuvent effectuer une « ratification », le « board of directors» (conseil d'administration) ne pouvant que décider de ne pas poursuivre ou d'abandonner des poursuites au nom de la société.

- La société peut également mettre en place un système d'indemnisation de ses dirigeants en cas d'action victorieuse intentée par des tiers à leur encontre (« qualifying third party indemnities »). Ces indemnités sont exclues en cas de condamnation pénale et dans l'hypothèse d'actions intentées par la société elle-même ou un membre de son groupe, notamment.

- Enfin, un dirigeant peut être totalement exonéré, sur le plan civil, dans le cadre d'un « Relief by Statute ». Ce sera alors un tribunal qui décidera ou non si la responsabilité du mandataire social doit être retenue, dans l'hypothèse d'une négligence, d'un manquement aux devoirs généraux ou d'un abus de confiance. Cette exonération est soumise à deux conditions : - le dirigeant doit avoir agi de manière honnête et raisonnable ; et - l'acte litigieux doit être excusable, au regard de l'ensemble des circonstances.

Il existe ainsi plusieurs moyens de limiter la responsabilité du mandataire social. Cependant, la méthode la plus efficace demeure bien évidemment la lutte contre les faits générateurs de responsabilité. Par conséquent, il est primordial d'agir en amont pour limiter les situations à risques, susceptibles d'atteindre personnellement le dirigeant en termes de responsabilité. Cette action doit passer par l'implication personnelle des mandataires sociaux dans la gestion de la société, le partage du pouvoir et la mise en place de procédures précises et transparentes.

En particulier, le dirigeant de société française qui n'est pas présent physiquement au sein de la filiale ou de l'établissement britannique doit impérativement prévoir une procédure de suivi régulier. Celle-ci peut être mise en oeuvre par l'institution de comptes rendus périodiques et fréquents émanant du représentant local auquel des pouvoirs ont été délégués ; de l'organisation de conseils d'administration auxquels le mandataire social se rend régulièrement.

Ces mesures ne sont pas une garantie contre une mise en cause de la responsabilité du mandataire social, mais elles peuvent offrir une défense efficace.

 

Olivier MOREL, Avocat associé chez Cripps Harries


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