Entretien avec Stéphanie Fouguou, Administratrice de l'AFJE et Directeur juridique du Club Méditerranée.
Stéphanie Fougou, Secrétaire Générale et Directeur juridique du Club Méditerranée, a exercé dans des secteurs d’activités variés et très ouverts à l’international (audiovisuel, internet, télécommunications puis tourisme).
Elle a accepté de répondre à nos questions afin de nous faire part de sa vision de l’organisation d’une direction juridique internationale.
Comment est organisée la Direction juridique du Club Méditerranée ?
Le Club Méditerranée est implantée dans de nombreux pays avec des bureaux représentants dans trois régions : Amérique du Nord, Amérique du Sud et Asie. Ces bureaux disposent de juristes pour traiter les questions juridiques au niveau régional.
Quelle est votre perception de la dimension internationale ?
Elle renvoie d’abord à l’extranéité. Celle-ci peut se concevoir sur le plan de la localisation des structures : société mère et filiales, direction juridique siège et directions juridiques régionales ou locales. Elle peut aussi se matérialiser au travers des flux contractuels et commerciaux entre pays dans lesquels vous n’êtes pas juridiquement implanté. Certaines expertises du droit ont par nature une forte propension à traiter des sujets qui dépassent les frontières du pays de la maison mère. On peut ainsi penser aux fusions acquisitions, aux contrats dits « stratégiques » et d’application multi-pays, aux contentieux d’arbitrage international, à la protection de la marque…
L’organisation d’une direction juridique intervenant à l’international, va donc dépendre largement de celle du ou des métiers de l’entreprise et de leur mode de déploiement juridique.
La dimension internationale évoque aussi la diversité, la mobilité et l’échange.
L’apport de profils multiculturels dans les équipes est un avantage. Ainsi, à titre d'illustration, l’équipe projets internationaux dont j’avais eue la responsabilité de mettre en place chez France Telecom était composée pour un tiers d’étrangers. De même, il arrive que des entreprises envoient des cadres juridiques français dans leurs filiales pour renforcer les liens et transmettre une culture du management des dossiers juridiques conforme aux best practices du groupe Et vice versa, il est important d’organiser des échanges et des flux permettant les échanges d’expériences et l’appréhension des cultures de chaque pays au niveau du groupe.
Quelle serait l’organisation la plus efficace pour traiter les sujets juridiques liés à l’activité de l’entreprise à l’international ?
Il n’y a pas de modèle d’organisation unique. Il s’agit de mettre en adéquation l’organisation du business de la société, les métiers du droit y afférents et les ressources humaines disponibles.
L'organisation classique consiste à combiner des directions juridiques implantées par pays ou regroupées en zones régionales avec des directions d'experts. A cela peuvent s’ajouter des directions métiers lorsque les domaines traités par l’entreprise le justifient.
Les premières contribuent directement, grâce à leur proximité, au business local, permettent de comprendre les spécificités de celui-ci et d’y appliquer des réglementations nationales. Sous réserve des ressources disponibles, ces directions juridiques locales sont indispensables pour couvrir les domaines à forte connotation nationale et souvent liée au client final, notamment le droit de la consommation, le droit du travail, le droit fiscal ou encore le droit pénal.
Les secondes dites directions d’experts, interviendront auprès des directions locales pour assurer une coordination et homogénéité des approches juridiques sur un domaine spécifique. Ainsi, les départements d’expertises en Propriété intellectuelle, contentieux d’arbitrage internationaux ou encore en fusion acquisition seront-ils amenés à traiter de sujets impliquant des pays différents de celui de la maison mère et justifieront une approche plus centralisée.
Enfin, les troisièmes, direction métier, seront souvent amenés à traiter d’enjeux business multinationaux comme par exemple des départements de grands contrats dans un secteur d’activité spécifique, devant ainsi assurer une coordination avec les directions juridiques locales et les directions juridiques expertes.
Tout l’enjeu est d’équilibrer les relations entre ces directions.
On assiste souvent à une tendance dans beaucoup d'entreprises notamment anglo-saxonnes à retenir le pouvoir au niveau de la Direction juridique « groupe » et de ne laisser aux équipes locales que des tâches d’exécution, alors que la pratique montre qu’il est nécessaire et efficace de travailler autrement.
Par exemples, pour de grands contrats avec des exécutions opérationnelles dans un ou plusieurs pays, la connaissance locale doit dès l’amont être appréhendée en complément de l’approche « groupe ». Une gestion uniquement centralisée de ce type de négociation internationale risquerait de révéler des aspects mal adaptés aux réalités du terrain faute d’avoir prise en cause les aspects opérationnels et juridiques locaux. Face à la complexité du monde des affaires, la constitution d’équipes juridiques ad hoc dédiée à des projets multi pays, menées par des « juristes chef projet » et combinant les directions juridiques expertes et les directions juridiques locales permet de répondre efficacement et d’élaborer les solutions les plus performantes pour l’entreprise.
Directions métiers, Directions expertes, Directions régionales ou locales, équipes projets transverses multi expertises et multi pays, comment mettre en place cette matrice organisationnelle ?
La principale difficulté est de faire évoluer l’organisation existante, souvent fondée sur un axe de communication vertical descendant de la direction juridique siège vers les juristes dans les filiales.
Dans une de mes expériences, nous avions fait évoluer l’organisation en deux étapes.
La première consistait à faire la preuve de l’efficacité d’une équipe ad hoc à travers la réussite d’opérations comportant une dimension stratégique groupe, à la fois pour la holding et pour les filiales.
Des juristes « porteurs de projet » ont été désignés avec le pouvoir de solliciter les juristes experts du siège aussi bien que les juristes des filiales. Au fil de l’avancement de la négociation, la responsabilité du projet passait progressivement du niveau central au nouveau local. Cette transition se faisait d’autant plus naturellement que le juriste en filiale avait été amené à coopérer sur le projet en amont. Cette équipe de juristes séniors multiculturelle et multilingues transcendait les organisations hiérarchiques traditionnelles et ouvraient ainsi des perspectives aux juristes qui deviennent des managers de projets et managers de juristes sans lien hiérarchique direct.
Après cette phase de success stories nous avons déployé l’organisation avec un objectif d’échanges et de capitalisation des connaissances juridiques au niveau central et local. Nous avons donc recensé les compétences dans tous les services juridiques du groupe afin d’identifier des juristes capables de constituer des pools internationaux de compétence par matière juridique. Ce travail a permis d’établir des mailing list d’experts juridiques en interne. Un juriste, basé en France ou à l’international, était désigné comme responsable de chaque pool.
Nous avons pris soin de cultiver la transversalité et la confiance, à travers notamment des ateliers de best practice dans lesquels tout juriste, qu’il soit expert ou coordinateur, basé au siège ou à l’étranger, peut participer et apporter sa réflexion et son savoir-faire.
Nous avons recours aux outils technologiques pour diffuser rapidement et de la manière la plus pertinente l’information entre les juristes, sans négliger les rencontres car elles sont fondamentales pour la cohésion et le partage de savoir-faire.
Aujourd’hui encore, dans mes nouvelles fonctions, pour des développements complexes dans le domaine de l’immobilier, une équipe projet groupe dédiée à cette activité est amenée à organiser des équipes projets internationales ad hoc en faisant appel aux juristes experts internes, aux juristes ou avocats locaux le cas échéant. Cette approche s’avère nécessaire pour mener à bien des projets regroupant des technicités juridiques différentes et des pays.
Peut-on encore concevoir une organisation qui distinguerait une direction juridique internationale, avec le mode de travail que vous avez indiqué, distincte d’une Direction Corporate où seraient concentrés les sujets de droit régaliens : droit des marques, des sociétés, … ?
Aujourd’hui, la dimension internationale est omniprésente dans les affaires et irrigue de ce fait l’ensemble des domaines d’expertise juridique mobilisés au service des entreprises. Une PME qui exporte sa production, un Groupe qui réalise son chiffre d’affaires sur une zone géographique donnée tout en s’approvisionnant auprès de fournisseurs d’autres pays, une holding localisée dans un pays et qui doit être garante de la compliance de l’ensemble des filiales ou encore la négociation de contrats stratégiques dont la conception relève du siège et l’exécution de filiales locales ; les problématiques qui se posent aujourd’hui aux entreprises, qui évoluent dans un monde économique globalisé, oblige les juristes d’entreprise à aborder des sujets qui dépassent le cadre juridique applicable au siège de l’entreprise.
Par ailleurs, les sujets de droit régalien ont une forte propension à dépasser les frontières du pays du siège de la maison mère. Si leur conception relève sans doute du siège, leur réalisation dépend des situations et cadres juridiques locaux. Il semble donc difficile de considérer que la dimension internationale puisse être organisée comme une matière juridique spécifique.
Cela aboutirait à créer un département ou une direction juridique à part alors que l’expérience révèle que l’intégration de la dimension internationale au sein de l’ensemble des métiers juridiques qui composent la Direction juridique est un facteur clef de succès.
La dimension internationale doit être directement prise en compte dans l’organisation en général, par typologie de métiers et d’expertise plutôt que comme une spécificité ou un département à part.
Propos recueillis par Jean-Philippe Gille, administrateur de l’AFJE
A propos
Cet article provient du numéro 13 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial est consacré à la mondialisation..
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