Nicolas Ancel, Of Counsel au sein du cabinet Bignon Lebray commente un arrêt de la Cour de Cassation du 1er décembre 2016 relatif au pouvoir juridictionnel du Juge de l’exécution dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière.
Le pouvoir juridictionnel exclusif, mais délimité, du Juge de l’exécution et les règles propres à la procédure de saisie immobilière peuvent être sources de difficultés susceptibles de priver, lorsqu’elles ne sont pas maîtrisées, le débiteur saisi de faire valoir ses moyens de défense.
Par arrêt du 1er décembre 2016 (pourvoi n° 14-27.169), publié au Bulletin civil, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation tire des dispositions de l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution, l’obligation, pour le débiteur saisi, de concentrer, devant le juge de l’exécution, tous ses moyens de contestation du titre exécutoire et de la créance fondant les poursuites.
La portée de cette solution doit être appréciée en considération de la délimitation des pouvoirs juridictionnels du Juge de l’exécution, délimitation de pouvoirs rappelée et précisée par deux arrêts inédits de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, rendus les 5 janvier 2017 (pourvoi n° 15-26.694) et 22 juin 2017 (pourvoi n° 15-24.385).
Le pouvoir juridictionnel du Juge de l’exécution est fixé par les dispositions de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire : il connait de manière exclusive des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion d’une exécution forcée mobilière ou immobilière, même si elles portent sur le fond du droit.
Ainsi, dès lors qu’une mesure d’exécution est engagée, le Juge de l’exécution est exclusivement compétent, à l’exclusion de toute autre juridiction, pour statuer :
- la validité du titre exécutoire et sur son éventuelle interprétation,
- l’existence, le montant et l’exigibilité de la créance,
- les difficultés propres à chaque mesure d’exécution,
- la responsabilité du créancier, ou de l’huissier, lorsque la mesure d’exécution a créé un dommage au débiteur.
Il en résulte qu’une juridiction de droit commun, préalablement saisie de la contestation du titre exécutoire ou de la créance, perdra ipso-facto son pouvoir juridictionnel au profit du Juge de l’exécution dès lors qu’une mesure d’exécution aura été engagée.
La Cour de cassation décide, dans son arrêt précité du 1 er décembre 2016, que l’article R. 311-5 du Code de procédure civile, disposant qu’à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, les contestations et demandes incidentes doivent être formées au plus tard à l’audience d’orientation, sont de portée générale.
Sans expressément recourir à l’autorité de chose jugée, fin de non-recevoir qui avait essentiellement fondé l’arrêt d’appel critiqué par le pourvoi, la Haute juridiction tire des dispositions précitées l’obligation pour le débiteur saisi de présenter au Juge de l’exécution toutes les contestations se rapportant au titre exécutoire au plus tard à l’audience d’orientation, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office.
Cette obligation avait été déjà été consacrée en cas d’appel formé à l’encontre du jugement d’orientation, les dispositions de l’article R. 311-5 du Code des procédures d’exécution étant alors interprétées comme limitant strictement l’effet dévolutif aux seules contestations et demandes incidentes effectivement présentées au premier juge (Cass. civ. 2 ème 11 mars 2010, Bull. civ. II, n° 55) et l’apport de l’arrêt du 1er décembre 2016 ne peut qu’être approuvé.
Il s’agit d’une stricte application du texte et l’obligation de concentration des moyens qui en découle participe à la volonté de célérité de la procédure, voulue par le législateur.
Une solution contraire se heurterait à l’autorité de chose jugée dont le jugement d’orientation est revêtu, dès son prononcé, quant à l’existence et au montant de la créance du poursuivant (art. 121-14 du Code de procédure civile d’exécution).
Pour s’assurer de la recevabilité de ses moyens de défense, le débiteur qui aurait, préalablement ou concomitamment à la délivrance d’un commandement de payer valant saisie immobilière, saisi une juridiction de droit commun de la contestation de la créance et/ou du titre exécutoire, devra impérativement saisir le Juge de l’exécution des mêmes contestations.
A défaut d’agir de la sorte au plus tard à l’audience d’orientation, le débiteur saisi verrait toutes ses contestations et demandes incidentes déclarées irrecevables, ceci tant par la Cour d’appel saisie d’un recours contre le jugement d’orientation que par toute autre juridiction de droit commun saisie des mêmes contestations.
Il y a donc, à la charge du débiteur saisi, une obligation de concentration de tous ses moyens de contestation devant le Juge de l’exécution lorsqu’une procédure de saisie immobilière est engagée.
Il est rappelé que le Juge de l’exécution perd tout pouvoir juridictionnel dès qu’il est mis fin à la procédure d’exécution forcée, de sorte que dans l’hypothèse où le créancier met un terme à la procédure de saisie immobilière avant l’audience d’orientation et que le débiteur, bien qu’ayant réglé, entend toujours contester la créance, celui-ci devra saisir une juridiction de droit commun.
Toutefois, l’obligation de concentration des moyens devant le Juge de l’exécution ne peut porter que sur les seules demandes entrant dans le pouvoir juridictionnel du Juge de l’exécution.
Pour la Cour de cassation, n’entre pas dans ce pouvoir juridictionnel, l’examen de demandes en réparation qui ne découlent pas de la mesure d’exécution en elle-même (Cass. civ. 2 ème 21 février 2008, Bull. civ. II, n° 43), ces demandes devant alors être déclarées irrecevables (Cass. civ. 2 ème 8 janvier 2015, Bull. civ. II, n° 3).
Il en est ainsi d’une demande de dommages et intérêts à raison d’une faute reprochée au prêteur de deniers. Elle ne relève pas du pouvoir juridictionnel du Juge de l’exécution puisque la faute invoquée par le débiteur résulte nécessairement de l’octroi du crédit, elle est donc sans lien avec la procédure de saisie immobilière (arrêt inédit du 22 juin 2017).
Une telle action en responsabilité ne pourra donc être engagée que devant une juridiction de droit commun.
A l’évidence, les dispositions de l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution ne pourront pas être opposées à l’action en responsabilité du débiteur, quand bien même celle-ci aurait été engagée postérieurement au jugement d’orientation, puisque de telles actions ne relèvent pas du pouvoir juridictionnel du Juge de l’exécution.
Le régime procédural diffère donc selon la nature de la contestation du débiteur, entendue au sens large, et le non-respect.
Faute pour le débiteur de respecter ces règles impératives de compétence juridictionnelle, il risque de se trouver dans une situation procédurale définitivement inextricable le privant de tout ou partie de ses moyens de défense.
Nicolas Ancel, Of Counsel, Bignon Lebray