Acte 1 : L’IA : révolution ou évolution ? par Marion Barbezieux, Avocate, SEA Avocats.
A la fois nouvel eldorado économique et source de questionnements sur le futur de l’humanité, l’Intelligence Artificielle (IA) inonde le débat public. Le concept n’est pourtant pas nouveau. Dès 1956, la conférence de Dartmouth rendait possible le rêve – ou le cauchemar – de l’IA, ouvrant la porte à deux décennies de découvertes extraordinaires.
Paralysée par des critiques philosophiques et par une puissance de calcul et un volume de données limités, l’IA connut un second souffle avec la diversification des systèmes experts et la banalisation de l’informatique. Grâce à l’avènement du Big Data et aux avancées technologiques, elle ne cesse de démontrer son potentiel. Le besoin d’encadrement juridique devient alors de plus en plus pressant.
L’IA reste cependant difficile à définir, en raison de sa dimension technique irréductible. Les travaux d’Alan Turing distinguent l’« IA générale » ou « faible », simple intelligence rationnelle, de la « super IA » ou « IA forte », pourvue d’intelligence émotionnelle et de conscience de soi.
L’Intelligence Artificielle dite « faible » reconstitue – et amplifie – les capacités cognitives de l’Homme, afin d’exécuter de manière performante et autonome des tâches prédéterminées pour lesquelles elle a été programmée. La calculatrice par exemple, effectue à une vitesse fulgurante des calculs que l’homme serait parfois incapable de résoudre.
De plus en plus sophistiquée, l’IA faible d’aujourd’hui apprend et évolue, sous la supervision de l’homme ou par elle-même, sans modification de ses algorithmes. Cette mutation doit beaucoup au développement des techniques d’apprentissage automatique, lui-même permis par l’explosion du Big Data : les données sont le carburant des IA actuelles.
La technologie du machine learning consiste ainsi à fournir au système une masse de données, que l’Homme lui aura préalablement expliquées, et sur la base desquelles l’IA effectuera ses propres déductions, affinées à mesure qu’elle apprend de ses erreurs.
Cette étape de description des données par l’Homme est même écartée dans le deep learning : un algorithme perfectionné gère seul la phase d’apprentissage. Le système n’en est que plus gourmand en données : il doit analyser des milliers de chats pour en reconnaître un tout seul. Cette méthode a permis aux technologies de reconnaissance visuelle (Horus, Facebook Tag) ou sonore (Siri, Shazam), et demain à la voiture autonome, de voir le jour.
Finalement, l’IA deviendra omniprésente, comme l’illustre le système A.I Watson développé par IBM, proposant plus de 25 APIs exploitables par les développeurs dans des domaines variés. Après une phase d’apprentissage, Watson pourra ainsi conseiller l’investissement financier le plus adapté, assister un médecin pour ses diagnostics et choix de traitements, ou recruter le meilleur candidat pour un poste donné.
Les start-up ne sont pas en reste. Dans le domaine juridique, la « révolution » est menée aux USA par Ross Intelligence et son assistant autonome sur la recherche juridique et en France par Predictice et son outil d’analyse et prédiction des décisions de justice.
L’Intelligence artificielle dite « forte », dotée de conscience, éprouverait des sentiments et comprendrait ce qui la pousse à faire telle ou telle action. On parle de cognition artificielle : la machine pense !
De Ex-Machina à Blade Runner, en passant par la série Westworld, qui nous plonge dans un parc à thème peuplé de robots presque impossible à distinguer des humains, l’IA forte prend vie grâce à l’imagination des scénaristes. Bien que fasciné, le grand public y voit souvent une « menace existentielle » pour la civilisation humaine.
Si le robot tout-puissant demeure une fiction, l’IA est inéluctablement appelée, dans un futur proche, à se substituer aux Hommes dans l’exécution de multiples travaux. Repenser les métiers et organiser la reconversion des actifs est le défi majeur de demain : il s’agira de former les individus à réaliser des tâches non pas concurrentes mais complémentaires à celles de l’IA.
Il est tout aussi impérieux de réfléchir au cadre juridique dans lequel l’IA pourra évoluer. Si l’appréhension et la régulation des IA faibles actuelles par notre droit positif est possible, l’émergence d’une IA forte bouleverserait cette certitude. Elle imposerait de définir une lex robotica1.
Dans une trilogie à venir, nous répondrons aux problématiques suivantes :
- Comment le créateur de l’IA pourra-t-il protéger sa création et les éventuelles œuvres produites par celle-ci ?
- La règlementation applicable aux données personnelles sera-t-elle un frein au développement de l’IA ?
- Faute de personnalité juridique de l’IA, sur qui pèsera la responsabilité de l’erreur de prédiction ou de l’accident ?
Marion Barbezieux, Avocate, SEA Avocats
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NOTES