Ophélia Claude, Associée et Arthur Champavere, élève avocat, Antonin Lévy & Associés, commentent les lignes directrices du PNF et de l'AFA relatives à la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public.
Depuis son entrée en vigueur le 30 avril 20171, six conventions judiciaires d’intérêt public (ci-après "CJIP") ont été conclues et près de 440 millions d’euros ont été versés au Trésor public.
Création issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite "loi Sapin 2") et inspirée des mécanismes américain et anglais de transaction pénale, ce nouvel outil permet au procureur de la République de renoncer à la poursuite des personnes morales mises en cause pour corruption, trafic d’influence, fraude fiscale2 et blanchiment de fraude fiscale. En contrepartie, celles-ci reconnaissent les faits, collaborent étroitement avec l’autorité judiciaire, mettent en vigueur un programme de conformité, payent une amende d’intérêt public (ci-après "l’Amende") et indemnisent les victimes.
Afin de renforcer la sécurité juridique des personnes morales qui souhaiteraient recourir à cette nouvelle procédure, le Parquet national financier (ci-après "PNF", "parquet" ou "autorité judiciaire") et l’Agence française anticorruption (ci-après "AFA"), ont publié le 27 juin 2019 des lignes directrices qui précisent d’une part, les conditions dans lesquelles le PNF envisage d’utiliser cette mesure dans le cadre de poursuites pour corruption et trafic d’influence et d’autre part, les modalités de calcul de l’Amende et de la mise en œuvre du programme de conformité sous le contrôle de l’AFA.
La loi Sapin 2 restant muette sur ces points fondamentaux, les précisions apportées par l’AFA et le PNF ne peuvent être qu’appréciées et serviront de support principal pour les personnes morales qui seraient intéressées par ce dispositif transactionnel3.
Ces lignes directrices s’inspirent de celles publiées en 2017 (mises à jour le 8 mars 2019) par le Department of Justice (DoJ), "9-47.120 FCPA Corporate Enforcement Policy" (ci-après "la Politique d’application du FCPA aux entreprises") qui détaille les trois conditions cardinales à remplir afin de bénéficier d’un abandon des poursuites (auto-dénonciation, coopération et mesures correctrices appropriées), le cas échéant, en échange de la conclusion d’un Deferred Prosecution Agreement ou d’un Non Prosecution Agreement.
Sur les conditions requises pour bénéficier d’une CJIP: l’importance de la coopération des entreprises
La Circulaire de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces (DACG) du 31 janvier 2018 (ci-après "Circulaire") avait d’ores-et-déjà énoncé trois critères, non prévus par l’article 41-1-2 du CPP, encadrant le choix du parquet de recourir à une CJIP à savoir i) les antécédents de la personne morale, ii) le caractère volontaire de la révélation des faits iii) le degré de coopération avec l’autorité judiciaire dont la personne morale fait preuve.
Les lignes directrices du PNF et l’AFA apportent des précisions utiles sur ces trois critères et ajoutent en outre deux nouvelles conditions : i) l’existence d’un niveau suffisant de preuve de la commission de faits de corruption et de trafic d’influence et ii) la mise en œuvre d’un programme de conformité effectif.
A cet égard, il est intéressant de constater que le PNF et l’AFA érigent le critère de la coopération avec l’autorité de poursuite en condition sine qua non de la conclusion d’une CJIP. Les lignes directrices précisent en effet que la coopération "constitue une préalable nécessaire" de la conclusion d’une CJIP et que "la qualité de coopération sera décisive de l’abandon des poursuites".
Le PNF et l’AFA encouragent notamment les dirigeants non poursuivis, lorsqu’un changement de gouvernance est intervenu depuis la commission des faits délictueux, d’avoir recours à la CJIP afin de souligner "leur engagement éthique et la gestion transparente de la nouvelle direction". En outre, la CJIP permet de "circonscrire dans le temps les pratiques antérieures et favorise l’adoption de mesures correctrices afin de prévenir la commission de nouveaux faits". A l’inverse, s’il n’y a eu aucun changement de direction, le PNF et l’AFA rappellent que conformément à la loi, les représentants légaux de la personne morale demeurent responsables en tant que personnes physiques. Ainsi, la poursuite de ces derniers se décidera au cas par cas par le PNF.
Les lignes directrices apportent des précisions importantes sur ce que constitue une coopération de qualité susceptible de permettre la conclusion d’une CJIP.
Première condition : la révélation spontanée des faits par la personne morale.
La révélation spontanée des faits n’est prise en compte favorablement que si elle intervient dans un délai raisonnable. Sur ce dernier point, les lignes directrices précisent que "l’appréciation du délai raisonnable par le parquet tient compte du temps qui s’est écoulé entre le moment où le dirigeant de la personne morale a eu connaissance des faits et celui de leur révélation". Dans l’évaluation du caractère raisonnable du délai, le parquet s’attachera à vérifier l’impact du délai sur le déroulement des investigations et la sincérité de leur résultat au regard de la conversation des preuves et des risques de concertation.
La condition de la révélation spontanée est si importante qu’elle détermine tout à la fois la décision du parquet de recourir ou non à une CJIP et le montant de l’amende d’intérêt public.
Deuxième condition : la participation active à la manifestation de la vérité par la mise en œuvre d’une enquête interne.
Si les entreprises françaises ont de plus en plus recours aux enquêtes et audits internes en cas de découverte de faits susceptibles de caractériser des délits, la question de l’utilisation du résultat de ces enquêtes par les autorités de poursuites suscitait de nombreuses interrogations.
Les lignes directrices apportent des éclaircissements attendus sur l’interaction entre enquête interne et coopération avec les autorités de poursuites. Tout d’abord, les lignes directrices révèlent que le PNF et l’AFA attendent des personnes morales qui souhaitent bénéficier d’une CJIP qu’elles conduisent une enquête interne ou un audit approfondi à la fois sur les faits et sur les dysfonctionnements de conformité qui en ont favorisé la commission. Ensuite, "les résultats de l’enquête doivent être transmis aux enquêteurs dans un temps compatibles avec les impératifs de l’enquête judiciaire" notamment sous la forme d’un rapport d’enquête.
Pour que le rapport d’enquête soit susceptible de satisfaire les exigences du parquet, les conditions suivantes devront être remplies :
- l’enquête interne devra contribuer à établir les responsabilités individuelles
- le rapport devra exposer les faits « avec la plus grande précision possible » ;
- la liste des personnes qui ont été auditionnées et les comptes rendus des auditions devront être mis à la disposition du parquet ;
- les éléments de preuves qui ont été revus et collectés (documents, courriels, attestations, etc.) devront également être remis au parquet.
Une telle obligation de communication à l’autorité judiciaire pose des difficultés évidentes en termes de protection du respect du secret professionnel de l’avocat. Sur ce point, le PNF et l’AFA précisent qu’il appartient à l’entreprise et à son conseil de déterminer quels documents ils souhaitent mettre à la disposition du parquet pour être versés au dossier de l’enquête judiciaire car tous les éléments communiqués ne sont pas nécessairement couverts par le secret professionnel de l’avocat. Si l’entreprise et son conseil refusent de transmettre certains documents sensibles, il appartient alors à ces derniers de s’en justifier (par exemple, ces documents relatent des faits qui ne sont pas l’objet de la présente enquête). Dès lors, le parquet déterminera si ce refus est légitime et s’il ne fait pas obstacle à la conclusion d’une CJIP.
Enfin, dans l’hypothèse où les négociations de la CJIP échoueraient ou si le président du tribunal refuserait d’homologuer celle-ci, la loi prévoit que le procureur de la République ne pourra faire état devant la juridiction d’instruction ou de jugement des déclarations faites ou des documents remis par la personne morale au cours de la procédure de CJIP, ces derniers étant protégés de confidentialité4.
Cependant la confidentialité ne concerne que les "documents et informations transmis au parquet après formalisation d’une proposition de CJIP, lesquels permettent notamment de finaliser la fixation du montant de l’amende et de préciser les contours du programme de conformité auquel sera astreinte la personne morale. Il s’agit également des échanges écrits par lesquels la personne morale déclare accepter la qualification légale des faits, ainsi que ceux ayant servi de support à la négociation sur les termes de la proposition de CJIP".
Par conséquent, les documents et informations transmis par l’entreprise ou son conseil préalablement à la formalisation d’une proposition de CJIP (notamment le rapport d’enquête) pourront être utilisées par le parquet.
Sur les modalités de calcul de l’amende : les négociations possibles sur l’application des facteurs majorants et minorants par le PNF
Aux termes de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, le montant de l’amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements5.
Pour le calcul de l’amende, la Circulaire avait énuméré les facteurs majorants et minorants appliqués à la détermination de l’amende d’intérêt public. Sur ce point, les lignes directrices ne font que reprendre les facteurs déjà répertoriés dans la Circulaire qui s’inspire d’ailleurs grandement de ceux mentionnés dans la Politique d’application du FCPA aux entreprises.
Ainsi, la révélation spontanée des faits au parquet avant l’ouverture de toute enquête pénale dans un temps raisonnable, l’excellente coopération et investigations internes complètes et efficaces, un programme de conformité effectif sont les principaux facteurs minorants qui seront appliqués par le PNF. A noter également parmi ces facteurs, la mise en œuvre d’un programme de conformité par les personnes morales qui n’y sont pas obligées légalement6, incitant ainsi ces dernières à le mettre en place de leur plein gré.
Concernant les facteurs majorants, alors que la Circulaire évoque l’application, au montant qui correspond aux avantages tirés des manquement constatés, d’un coefficient qui "sera au moins égal à deux, de manière à ce qu’après l’exécution de la convention, la commission de la fraude ait, au final, coûté à l’entreprise plus cher que ce qu’elle lui a rapporté", les lignes directrices ne sont pas aussi précises sur ce point. Elles clarifient néanmoins ce qu’est entendu par "gravité des faits". Il s’agit du caractère répété voire systémique des faits de corruption, de la dissimulation des faits par la personne morale et de la commission du délit de corruption d’un agent public. Ces éléments seront relevés par le PNF pour appliquer un facteur majorant à l’amende. Il en sera de même si la personne morale a déjà été condamnée et/ou sanctionnée en France ou à l’étranger pour des faits de corruption et qu’elle entre dans le champ des articles 3 (3°) et 17 de la loi Sapin 2.
Sur la coopération internationale en matière de justice négociée
La chambre criminelle de la Cour de cassation a pu réaffirmer à l’occasion d’un arrêt rendu le 14 mars 20187 son refus d’appliquer le principe non bis in idem en matière de droit pénal international lorsqu’une partie des faits délictueux s’est déroulée sur le territoire national8.
A l’heure où les régulateurs nationaux disposent d’outils procéduraux similaires (la CJIP étant considérée comme une forme de Deferred Prosecution Agreement à la française), la coordination internationale de la réponse pénale à apporter est attendue par les acteurs économiques.
Ainsi, les lignes directrices précisent que "la détermination du montant de l’amende d’intérêt public peut faire l’objet d’échanges avec les autorités de poursuites étrangères afin de permettre une appréciation d’ensemble des amendes et pénalités versées par la personne morale" comme cela a été le cas notamment lors des négociations de la CJIP conclue entre le PNF, le DoJ et la Société Générale. En effet, la tendance récente est plutôt à la coordination entre les différentes autorités9 afin d’aboutir à une sanction globale et éviter ainsi plusieurs peines.
Enfin, concernant les problématiques liées au respect de la loi de blocage que pourrait engendrer la nomination d’un moniteur dans le cas où un programme de mise en conformité était envisagé, l’AFA et le PNF affirment qu’elles solliciteront de l’autorité étrangère que cette obligation soit prévue uniquement dans la CJIP et que l’AFA soit l’autorité désignée pour en contrôler l’application. Cette possibilité interviendra lorsque la personne morale mise en cause à son siège social ou opérationnel en France ou qu’elle exerce tout ou partie de son activité économique sur le territoire français. Cette volonté exprimée par les autorités françaises ne peut être que saluée tant elle permettra assurément d’éviter tout contentieux relatif à la loi de blocage avec les autorités étrangères.
Ophélia Claude, Associée et Arthur Champavere, élève avocat, Antonin Lévy & Associés
NOTES
1. Publication du décret n° 2017-660 le 27 avril 2017.
2. Disposition rajoutée à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, issue du vote de l’article 25 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
3. Toutefois, les auteurs précisent en préambule que ce document ne s’applique qu’aux CJIP mises en œuvre dans le cadre de dossiers portant sur des faits de corruption et de trafic d’influence commis dans un contexte national ou international.
4. Conformément à l’alinéa 2 du III de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale.
5. L’amende d’intérêt public ne comprend pas les dommages et intérêts à verser à la victime et les frais éventuels engendrés par la mise en conformité sous le contrôle de l’AFA.
6. C’est-à-dire en dessous des seuils fixés par l’article 17 de la loi Sapin 2.
7. Cass. Crim., 14 mars 2018, n° 16-82.117.
8. Appréciation stricte du principe ne bis in idem en matière de droit pénal international, Kami Haeri et Valérie Munoz-Pons, Recueil Dalloz 2018 p. 1243.
9. Rod Rosenstein, procureur général adjoint, 9 mai 2018, Policy on Coordination of Corporate Resolution Penalties, page 2 : "The Department should also endeavor, as appropriate, to coordinate with and consider the amount of fines, penalties, and/or forfeiture paid to other federal state, local or foreign enforcement authorities that are seeking to resolve a case with a company for the same conduct".