La navette parlementaire se poursuit pour la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite Proposition de loi Avia selon le nom de la députée qui en est Rapporteure. Adoptée par l'Assemblée Nationale le 9 juillet dernier, la Proposition de loi est sortie amplement remaniée après le vote du Sénat le 17 décembre dernier à la suite notamment de la communication des observations de la Commission Européenne.
Un texte plus équilibré sous l'impulsion de la Commission Européenne
Le Sénat a supprimé une mesure phare de la Proposition initiale qui consistait à créer un délit lié au non-retrait d'un contenu haineux dans les 24 heures suivant la réception d'une notification. Les sénateurs ont préféré ne pas créer de dispositif spécifique supplémentaire et inscrire la lutte contre les contenus haineux en ligne dans le cadre des mécanismes déjà existants, issus de la loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 (LCEN). Ainsi ce sont les sites internet hébergeant ces contenus qui seront chargés de lutter contre leur diffusion, alors que la Proposition de loi du 9 juillet 2019 visait les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. Rappelons que des obligations particulières incombent déjà aux hébergeurs concernant certains des contenus visés par la Proposition de loi Avia au titre de l'article 6-I-7 de la LCEN.
Cette suppression est opportune car la Proposition de loi du 9 juillet 2019 mettait à la charge des réseaux sociaux et même des moteurs de recherche ce qui s'apparentait à une vraie mission impossible, à savoir traiter dans un délai très court un nombre potentiellement élevé de contenus notifiés pour vérifier s'ils répondent (manifestement) à une des multiples infractions que le texte visait et décider de les supprimer, le tout sans commettre d'erreur d'appréciation et sous peine d'encourir, pour une personne morale, une amende pouvant atteindre 1,25 million d'euros par contenu notifié non retiré. Si le réseau social retirait systématiquement les contenus notifiés sans vérifier s'ils étaient manifestement illicites (ou s'il retirait trop souvent des contenus qui s'avéraient licites), il pouvait également encourir une sanction administrative pouvant atteindre jusqu'à 4 % de son chiffre d'affaires mondial. Plus généralement, comme l'a indiqué la Commission Européenne, l'instauration de ces nouvelles obligations aurait été de nature à entraîner un risque pour la liberté d'expression en France.
Le Sénat a également supprimé la disposition qui créait une obligation de mettre en œuvre des moyens appropriés pour prévenir la rediffusion de contenus manifestement illicites précédemment notifiés et retirés. Une telle obligation aurait en effet fait peser sur les réseaux sociaux une véritable obligation de surveillance générale contraire à l'article 15 de la Directive sur le commerce électronique de 2000.
Un texte qui soulève encore quelques questions
Le Sénat a exclu les moteurs de recherche du champ de la Proposition de loi en raison de leur rôle différent dans la diffusion de l'information ainsi que de leurs caractéristiques techniques distinctes. Désormais, outre les réseaux sociaux, peut être visé "tout service de communication au public en ligne désigné par délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’Etat, qui acquiert en France un rôle significatif pour l’accès du public à certains biens, services ou informations en raison de l’importance de son activité et de la nature technique du service proposé".
Cet ajout suscite plusieurs questions. D'abord, l'expression "tout service de communication au public en ligne" est extrêmement large et aura pour conséquence de donner la possibilité au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), une autorité administrative, de soumettre aux obligations de source légale un grand nombre d'opérateurs qui ne sont pas inclus dans le champ de la loi. Par ailleurs, on peut se demander quel laps de temps sera donné aux opérateurs pour se mettre en conformité avec leurs nouvelles (lourdes) obligations à partir de la délibération du CSA.
Le Sénat a également étendu les pouvoirs du CSA, l'autorisant à recueillir toutes les informations permettant d'auditer les algorithmes utilisés par les sites internet et notamment les informations relatives "aux principes et méthodes de conception des algorithmes ainsi qu’aux données sur lesquelles ils se basent". Cette nouvelle disposition est particulièrement impactante car il est prévu que le secret des affaires ne pourra pas être opposé au CSA.
Pour conclure, le texte adopté par le Sénat est plus équilibré et respectueux des libertés fondamentales et du droit de l'Union Européenne même si la dernière version peut encore soulever quelques questions. Il faut toutefois espérer que la Commission Mixte Paritaire ne fera pas machine arrière.
Christine Gateau et Christelle Coslin, avocates associées de la pratique Contentieux au sein du cabinet Hogan Lovells et Margot Mimoun, collaboratrice Hogan Lovells, spécialistes du secteur des technologies, médias et télécommunications