Emilie Letocart-Calame, Présidente et fondatrice du cabinet de conseil Calame Consulting, revient pour le Monde du Droit sur la digitalisation des directions juridiques en période de crise.
Des mois que la question de la digitalisation des directions juridiques était un « hot topic » sans pour autant que certains n’en fassent un chantier prioritaire. Si l’on en voyait l’intérêt, le business passait toujours avant, les budgets ne pouvaient pas être débloqués, et les recrutements étaient prioritaires. Depuis ces dernières semaines, il semblerait bien que la tendance se soit inversée, et qu’une re-priorisation des sujets s’opère, faisant de l’organisation à distance l’urgence absolue afin d’assurer la continuation du business autant que possible.
Le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus COVID-19 et instituant le confinement a porté un coup à l’organisation professionnelle traditionnelle de bon nombre de directions juridiques non pourvues d’outils numériques, ou sans habitude de travail à distance. Du jour au lendemain – ou plutôt du vendredi pour le lundi – les directions juridiques n’ont eu que quelques heures pour pallier les manques dans ce domaine, et s’assurer que leurs équipes pourraient continuer de travailler de chez elles dans des conditions aussi normales que possibles…
L’accès à un serveur commun, un accès VPN sécurisé et un ordinateur professionnel ont été les rudiments à pourvoir aux juristes en première urgence afin de pouvoir continuer à répondre aux besoins basiques des opérationnels. La digitalisation des assemblées générales est également devenue un enjeu capital, en cette période de travail à distance et d’impossibilité de se réunir. La dématérialisation contractuelle est également à privilégier, en se rapprochant des solutions existantes permettant de gérer ses process contractuels du début de la négociation à la signature électronique et au-delà, avec la gestion des échéances et le contract management qui en découle. Les chatbots juridiques pourront également prouver leur intérêt en assurant une immédiateté de réponse pour les questions récurrentes, dans un contexte ou opérationnels et juristes ne se retrouvent plus sur un lieu unique. Les plateformes de gestion de projets juridiques – des outils de gestion intégrant le partage sécurisé des données – ont aussi la cote tant elles répondent à deux enjeux : la simplicité d’utilisation et la sécurité informatique. Enfin, la gestion des workflows peut elle aussi être utilement dématérialisée et automatisée afin de simplifier le travail de chacun. Autant de points d’attaque pour une direction juridique soucieuse d’améliorer la qualité de son travail à distance !
Mais outre les composants purement techniques, c’est également l’occasion de se rendre compte que les éléments les plus importants du travail à distance ne sont pas tant les outils numériques que les pratiques de travail. Cela s’anticipe a minima et nécessite un bon accompagnement, ainsi qu’une culture d’entreprise qui ne saurait se décréter en un weekend. Les interactions d’équipe se trouvent particulièrement modifiées en cette période, et la confiance en vos collaborateurs jouera un rôle prépondérant dans le succès de ce nouveau management. Un sondage Deskeo indique que 70% des salariés sont en télétravail, dont 89% qui l’expérimentent pour la première fois. Mais l’expérience se fait à marche forcée, et de la pire des façons possible : sans préparation, possiblement sans outils numériques dédiés, à 100% et pour tous ! Il n’est guère surprenant que 76% regrettent déjà leurs bureaux, eu égard au contexte, on ne peut que les comprendre.
L’heure est donc à la digitalisation de ses pratiques de travail, et bon nombre de directions juridiques se tournent désormais vers le marché de la legaltech afin de trouver des solutions adaptées à leurs besoins. L’enjeu est de taille et la période est particulière mais nous devons résister à la tentation de la précipitation. Des méthodes de travail numériques vraiment efficaces ne réussiront pas sans préparation ni audit préalable tant des besoins métiers que des contraintes informatiques de la DSI.
Si vous avez le temps libre pour préparer et réaliser un audit des besoins en interne, encore faut-il bien choisir sa solution informatique. Se retrouver parmi l’offre pléthorique sur le marché n’est pas chose simple. Les promesses des legaltechs sont alléchantes et toutes se targuent d’être la solution dont vous avez besoin. Un conseil agnostique vous assurera un avis impartial, et une fois l’outil retenu il vous faudra également assurer la conduite du changement qui en découle.
Vu la charge de travail demandée par ces profondes modifications, un accompagnement par un professionnel du change management peut s’avérer incontournable. Même une équipe dédiée à la transformation digitale au sein d’une direction juridique peut avoir un besoin ponctuel de renforts. Mais cet accompagnement n’est pas réservé aux seules sociétés du CAC40 ! Les directions juridiques à taille humaine font également appel aux experts afin de pouvoir se concentrer sur la stratégie juridique de l’entreprise. En effet, si un outil peut parfois se déployer en un clic, la prise en main quotidienne par l’équipe et le changement des mentalités n’est lui, pas toujours aussi facile…
La digitalisation ne s’improvise pas, et ceux et celles qui œuvrent à sa mise en place le confirmeront : la charge de travail est en nette augmentation ! Les projets transverse ambitieux pour les gros clients voient déjà le jour, avec des accélérations pour les aspects devenus urgents, tandis que les projets plus restreints pour les équipes de taille modeste sont montés et déployés en l’espace de quelques jours. Gageons qu’après cette difficile expérience la digitalisation sera le chantier prioritaire de tous, afin de permettre de rester opérationnels dans l’hypothèse où une nouvelle pandémie mondiale se présenterait… ou tout simplement en cas de nouvelles grèves des transports !
Emilie Letocart-Calame, Présidente et fondatrice du cabinet de conseil Calame Consulting