Olivier Dorgans, counsel, Camille Mayet et Athena Arbes, collaboratrices, du cabinet Hughes Hubbard, font le bilan de l'Agence française anticorruption et reviennent sur la portée des recommandations qu'elle émet.
Outre sa mission de contrôle de la conformité des entreprises au titre de l’article 17-3 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (la « Loi Sapin II »), l’Agence française anticorruption (l’« AFA » ou l’ « Agence ») est également dotée d’une fonction de conseil au titre de l’article 3-2 de cette même loi.
Dans le cadre de sa mission de conseil qui consiste à « aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme », l’AFA est en mesure d’adopter les mesures suivantes :
- des recommandations à portée générale ;
- des recommandations et préconisations prises dans le cadre de l’appui individuel ou dans le cadre de l’accompagnement individuel.
Si l’AFA et les textes1 précisent que les recommandations émises par l’Agence n’ont pas de valeur juridique contraignante, il convient d’analyser la portée de ces recommandations – tant générales qu’individuelles – et, le cas échéant, les risques encourus par les entreprises en cas de non-conformité avec ces dernières.
Des recommandations en principe dénuées d’une portée juridique contraignante
Les recommandations de l’AFA, qu’elles soient (a) générales ou (b) individuelles sont – en principe – dénuées de toute valeur juridique contraignante. En d’autres termes, l’Agence ne pourrait pas reprocher à une entreprise, dans le cadre d’un contrôle, de ne pas avoir appliqué l’une de ses recommandations.
Sur les recommandations à portée générale
Les recommandations à portée générale de l'AFA complètent le dispositif mis en place par la Loi Sapin II et constituent, à ce titre, le référentiel anticorruption français. Elles sont destinées à l’ensemble des personnes morales de droit privé ou de droit public, quels que soient leur taille, leur forme sociale, leur secteur d’activité, leur chiffre d’affaires ou l’importance de leur effectif.
L’AFA n’a de cesse de rappeler que les recommandations de l’Agence ne lient pas les entreprises dans leur comportement et leur stratégie mais constituent une aide à la décision2 prenant la forme d’assistance dans la lecture des standards applicables et attendus en la matière.
A titre d’exemple, l’avis relatif aux recommandations de l'Agence française anticorruption destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme (l’« Avis relatif aux recommandations de l’AFA ») du 22 décembre 2017 précise ainsi que les recommandations générales de l’AFA « sont dépourvues de force obligatoire et ne créent pas d’obligation juridique ».
Sur les recommandations à portée individuelle
Dans le cadre de sa mission de conseil, et au travers de son département d’appui aux acteurs économiques (le « Département d’appui »), l’AFA offre un « accompagnement individuel » à ces derniers dont les modalités pratiques sont précisées dans la charte d’appui aux acteurs économiques (la « Charte d’appui »). L’acteur accompagné bénéficie alors d’un appui méthodologique sur les différentes étapes et outils d’un dispositif de prévention des risques de corruption ainsi que d’un appui juridique pour éclairer les règles anticorruption.
Dans le cadre de cet appui, l’AFA peut formuler, sur la base des problématiques ou questions remontées, des recommandations à destination de l’acteur économique en demande. Elles lui sont spécifiquement destinées3.
L’AFA rappelle dans la Charte d’appui aux acteurs économiques qu’« [e]n aucune manière les préconisations formulées à l’occasion d’un appui individuel ne doivent être considérées comme des obligations » sans pour autant préciser la portée qu’il convient de leur conférer.
En pratique : les recommandations utilisées comme grille de lecture des programmes de conformité par l’AFA avec un principe de « comply or explain »
Cependant, et malgré la clarté des textes en vigueur et les déclarations de l’AFA, rien ne semble garantir aux entreprises assujetties qu’il ne pourra leur être reproché dans le cadre d’un contrôle de ne pas avoir mis en œuvre ces recommandations, générales ou individuelles.
A titre d’exemple, le rapport émis par l’AFA dans le cadre du contrôle mené sur l’entreprise Sonepar fait directement référence à l’Avis relatif aux recommandations de l’AFA4. En effet, même si in fine la Commission des sanctions de l’Agence a statué dans la décision n°19-01 du 4 juillet 2019 (la « Décision Sonepar ») que seuls les manquements à la Loi Sapin II fondent les griefs d’une décision de sanction, précisant que « les recommandations ne constituent qu’un référentiel dont l’usage n’est en rien obligatoire », elle a toutefois retenu qu’en l’absence de respect de ces recommandations, il incombait à la personne poursuivie « de démontrer la pertinence, la qualité et l’effectivité du dispositif de détection et de prévention de la corruption en justifiant de la validité de la méthode qu’elle a librement choisie et suivie » renversant de facto la charge de la preuve.
La Commission des sanctions de l’AFA consacre ainsi un mécanisme de comply or explain à propos de ses recommandations sans portée juridique mais qui font, en réalité, naître une « présomption de conformité ». Dans les faits, si les entités assujetties souhaitent s’éloigner de ces recommandations, elles seront susceptibles d’être contraintes de justifier la pertinence de leur dispositif devant l’équipe de contrôle et potentiellement en cas de constat en manquement devant la Commission des sanctions.
Cette analyse et ces constats ont été confortés lors de l’audience publique de la Commission des sanctions de l’AFA du 22 janvier 2020, où était invitée à comparaître l’entreprise Imerys. Il convient de rappeler qu’à l’issue du contrôle d’Imerys, l’un des griefs retenu contre l’entité contrôlée était l’inadéquation de la méthodologie employée pour la cartographie des risques au regard de l’article 17 de la Loi Sapin II. Afin d’illustrer ce manquement, l’Agence a précisé pendant l’audience que « l’absence d’analyse fine des processus » constatée au sein d’Imerys ne permettrait pas une identification des risques adéquate en matière de corruption au sein de la cartographie des risques. Or, le terme d’ « analyse fine » n’apparaît pas dans la lettre de l’article 17 de la Loi Sapin II et fait directement référence aux recommandations de l’Agence5.
Il paraît donc prudent de recommander aux entreprises assujetties de satisfaire aux recommandations de l’AFA au titre de la « présomption de conformité » attachée à leur suivi.
En effet, quand bien même les textes ne prêteraient pas de valeur juridique contraignante aux recommandations à portée générale et individuelles émises par l’AFA, leur méconnaissance pourrait néanmoins être reprochée par l’Agence à une entité dans le cadre d’un contrôle et donner lieu, in fine, à une décision de sanction par la Commission des sanctions de l’AFA.
Olivier Dorgans (Counsel - Département Sanctions économiques, Contrôle à l’export et Lutte contre le blanchiment de capitaux), Camille Mayet (Collaboratrice - Département Sanctions économiques, Contrôle à l’export et Lutte contre le blanchiment de capitaux) et Athena Arbes (Collaboratrice - Départements Anti-corruption et Enquêtes Internes et Contentieux) du cabinet Hughes Hubbard
1. Avis relatif aux recommandations de l'Agence française anticorruption destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme, publié le 22 décembre 2017 ; Recommandations de l’Agence française anticorruption destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme, publié le 21 décembre 2017.
2. AFA, Département de l’appui aux acteurs économiques, présentation : les recommandations de l’AFA, [en ligne], disponible sur : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/2018-10/2018-09_-_Recommandations_-_D2AE_0.pdf, slide 10, publié en septembre 2018, consulté le 22 février 2020.
3. AFA, Département d’appui aux acteurs économiques, Charte de l’appui aux acteurs économiques, p. 6, publié en septembre 2018.
4. AFA, Commission des sanctions, Décision n°19-01 du 4 juillet 2019, §10.
5. AFA, Département de l’appui aux acteurs économiques, présentation : les recommandations de l’AFA, [en ligne], disponible sur : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/2018-10/2018-09_-_Recommandations_-_D2AE_0.pdf, slide 16, publié en septembre 2018, consulté le 6 décembre 2019.