La Cour Suprême palestinienne a rendu 17 arrêts définitifs faisant valoir que les salaires de 165 fonctionnaires de l’Autorité Palestinienne ont été illégalement suspendus sur décisions du ministre des Finances. Devant le refus des autorités d’exécuter les décisions de la plus haute juridiction du pays, les justiciables se tournent vers les instances européennes, mettant en cause l’aide pluriannuelle de 1,3 milliard d’euros pour la « construction d’un Etat de droit », incompatible avec un déni de justice assumé, afin de la suspendre.
A l’issue d’actions en justice collectives contestant la suspension du versement des salaires de 165 fonctionnaires, civils et membres des forces de sécurité, la plus haute juridiction de Palestine a tranché. Elle fait valoir que le salaire est un droit fondamental de l’employé des services de l’Etat et que toute décision administrative qui y contrevient est nécessairement illégale. Ces décisions de justice sont progressivement intervenues de 2018 à 2020 et concernent des salaires parfois suspendus depuis 2015. La cause des suspensions arbitraires est éminemment politique ; les fonctionnaires concernés sont affiliés ou sympathisants de figures de l’opposition, tel Mohammed Dahlan, rival historique de Mahmoud Abbas. Dans plusieurs des décisions rendues en 2020, les magistrats de la Haute Cour de Justice sont particulièrement virulents, rappellent l’interdiction de toute discrimination imposée par la Loi Fondamentale et qualifient de « véritable disgrâce de la légitimité de l’autorité judiciaire » l’argument qui avait été avancé par le Procureur Général selon lequel les décisions du ministre des Finances échapperaient à tout contrôle juridictionnel. Dans une réponse courageuse, la Haute Cour de Justice dénonce un « désir d’échapper à l’univers du droit pourtant inhérent aux sociétés dont la structure est fondée sur le principe de la règle de droit ».
Ces décisions de justice définitives constatant la nullité des décisions du ministre des Finances impliquaient leur exécution immédiate et la reprise du versement des salaires et arriérés. Les Autorités ne se sont toujours pas conformées aux exigences des décisions de la Haute Cour de Justice. La suspension des salaires tout comme l’inertie des autorités constituent des abus de pouvoir et traduisent un déni de justice assumé. Dix lettres ont été adressées au Procureur Général d’août 2019 à novembre 2020. Une lettre a également été adressée aux Président et membres du Conseil de Transition Judiciaire en juin 2020, ainsi que deux lettres au Premier ministre. Deux plaintes pénales ont enfin été déposées en mai et juin 2020 à l’encontre du ministre des Finances pour refus d’exécution des décisions concernées, ce qui constitue un délit. Toutes les démarches sont demeurées sans effet.
Le problème juridique que pose cette affaire sensible, à savoir l’inexécution volontaire de décisions de justice condamnant l’Etat, est incontournable car il constitue le segment le plus sensible de « l’Etat de droit ». Sans gestion sereine de ce segment, l’Etat de droit s’effondre. Faisant face à l’inertie des autorités, le cabinet français Torossian Avocats, conseil des 165 fonctionnaires palestiniens, a alerté en décembre Eupol Copps (European Union Police and Rule of Law mission), mission instituée il y a une quinzaine d’années afin d’assister l’Autorité Palestinienne « dans la construction de ses institutions et les réformes relatives à la sécurité et la justice », ce afin de trouver une issue au problème juridique de l’inexécution de décisions de justice par l’Etat. Cette démarche est demeurée sans réponse.
Le cabinet Torossian Avocats vient d’informer la Représentation de l’Union européenne dans les territoires palestiniens de la prochaine saisine des instances européennes, notamment de la Cour des comptes européenne et de la Commission budgétaire du Parlement. La dernière dotation attribuée à travers l’IEV (instrument européen de voisinage), pour la période 2017-2020, était de 1,3 milliard d’euros au bénéfice de l’Autorité Palestinienne, notamment pour l’établissement de « l’Etat de droit, la justice, la sécurité et les Droits de l’Homme ». Concernant l’aide financière directe, la contribution du programme européen « Pegase » a atteint les 152,5 millions d’euros dont 85 millions censés être destinés au paiement des salaires des fonctionnaires. Cette affaire sensible pourrait être interprétée comme l’échec de l’assistance européenne à l’Autorité Palestinienne. Les instances européennes devront tirer toutes les conséquences du déni de justice assumé de l’Autorité Palestinienne et suspendre toute aide financière incompatible avec la mission de construction de l’Etat de droit.
Sévag Torossian, Avocat au Barreau de Paris, Avocat auprès de la Cour Pénale Internationale