Thibault Lachacinski, Avocat à la Cour, NFALAW revient sur l'annulation de la marque « PATRIMOINE 24 ». A cette occasion, le Directeur général de l'INPI a rendu sa toute première décision statuant sur une demande de nullité pour dépôt de mauvaise foi.
En 2020, le droit des marques français a connu une vaste réforme aux termes d'une Ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 sous habilitation de la loi PACTE. L'objet de cette réforme (dite "Paquet Marques") était alors de mettre les dispositions du Code de la propriété intellectuelle français en conformité avec celles de la Directive (UE) 2015/2436. L'une des principales innovations ainsi mises en place résidait dans l'instauration, à compter du 1er avril 2020 et devant l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), de deux nouvelles actions en nullité ou en déchéance de marques.
Rapides et peu coûteuses1, ces procédures administratives ont vocation à permettre d'épurer les registres de l'INPI en supprimant les marques françaises et les marques internationales visant la France qui sont nulles ou n'ont pas fait l'objet d'un usage réel et sérieux pour chacun des produits et services visés dans l'acte d'enregistrement, dans les 5 années précédant la demande (déchéance).
A l'heure de souffler leur première bougie, elles présentent un bilan flatteur avec près de 400 demandes déposées et plus de 130 décisions rendues. En définitive, ce sont ainsi 55 marques qui ont fait l'objet d'une décision d'annulation ou de déchéance2.
Si la majorité des demandes en nullité dont il est saisi porte sur des hypothèses "classiques" d'atteinte à un droit privatif antérieur, l'INPI a également compétence pour apprécier l'existence de motifs absolus de nullité, parmi lesquels la difficile question du caractère frauduleux d'un dépôt3. L'appréciation de la mauvaise foi est d'autant plus délicate que la notion de fraude n'est ni définie, ni même délimitée dans la législation française. C'est alors au regard des faits particuliers de l'espèce qu'il appartient au Directeur général de l'INPI de se prononcer.
Le 12 mars 20214, le Directeur général de l'INPI a rendu sa toute première décision statuant sur une demande de nullité pour dépôt de mauvaise foi. Il est intéressant de constater que, dans la droite lignée de la jurisprudence judiciaire tant française5 qu'européenne6, il fonde sa décision sur le principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout. Il rappelle alors que le dépôt d'une marque est susceptible d’être qualifié de frauduleux dès lors qu'il porte atteinte aux intérêts d'un tiers, notamment lorsqu'il a été effectué dans l'intention de priver illégitimement autrui d'un signe nécessaire à son activité, présente ou future et/ou de s'approprier indûment le bénéfice d'une opération légitimement entreprise ou d'y faire obstacle en lui opposant la propriété de la marque frauduleusement obtenue.
Dans cette affaire, pour retenir la mauvaise foi, le Directeur Général de l'INPI constate que le titulaire de la marque "PATRIMOINE24" contestée "a agi sciemment au mépris des intérêts du demandeur (à l'action) en le privant par anticipation du signe dont il est susceptible d’avoir vocation à faire usage dans le cadre de sa nouvelle activité, en sorte que la mauvaise foi est caractérisée". En effet, les pièces réunies dans le cadre de l'instruction ont mis au jour une situation conflictuelle entre les protagonistes, tous deux actifs sur un mêmes secteur d'activité. Le titulaire de la marque "PATRIMOINE 24" annulée reprochait en effet à son concurrent de lancer un nouveau service sous un signe qui prêterait à confusion avec sa propre dénomination. Après l'envoi d'une mise en demeure, il avait donc procédé au dépôt du signe "PATRIMOINE 24" à titre de marque française afin de "protéger (son) entreprise et protéger la notoriété acquise depuis l'origine".
Le dépôt de la marque française "PATRIMOINE 24" visant manifestement à entraver l'activité d'un concurrent, le Directeur Général de l'INPI en a déduit qu'il avait été réalisé de mauvaise foi. La sanction de la nullité s'est imposée.
Si la décision du 12 mars 2021 apparait classique dans sa motivation, elle permet de rappeler que le champ d'intervention de l'INPI s'est considérablement élargi à la faveur de la réforme du "Paquet Marques". Son rôle ne se limite plus désormais à apprécier l'existence d'un risque de confusion entre signes distinctifs mais couvre également des problématiques aussi subjectives que la mauvaise foi ou aussi techniques que les fins de non-recevoir tirées de l'autorité de chose jugée. De quoi laisser présager de belles décisions à venir.
Thibault Lachacinski, Avocat à la Cour, NFALAW
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1 Les coûts administratifs à prévoir sont de 600 euros pour une demande en déchéance ou une demande en nullité fondée sur un seul droit.
2 PIBD 1159-IV-1.
3 Article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle.
4 NL 20-0021.
5 TGI Nanterre, 20 décembre 2018, RG 17/01027 ; dans le même sens : TGI Paris, 12 mai 2016, RG 15/05587 ; Com. 25 avril 2006, Pourvoi n°04-15641.
6 CJUE, 27 juin 2013, aff. C-320/12.