Dans trois arrêts de principe volontairement didactiques, le Conseil d’Etat précise que les gains résultant de l’acquisition, de l’exercice et de la cession de BSA/COA sont imposables dans la catégorie des traitements et salaires dès lors qu’un lien avec les fonctions de dirigeant ou de salarié du bénéficiaire peut être suffisamment caractérisé. Cette analyse, qui pourrait devenir la norme dans les opérations de private equity, dépendra en pratique de leurs caractéristiques juridiques propres et ne pourra en tout état de cause être écartée même dans les hypothèses où il existe un risque de perte totale de l’investissement réalisé.
Par trois décisions rendues le 13 juillet 2021 aux conclusions de la rapporteure publique E. Bokdam-Tognetti, la Plénière fiscale du Conseil d’Etat (CE) a marqué une nouvelle séquence jurisprudentielle dans le domaine des management packages autour de deux considérants de principe empreints de pédagogie. La Haute juridiction vient ainsi établir, en présence de bons de souscription d’actions (BSA) et contrats d’option d’achat d’actions (COA), (i) une chronologie nette des gains susceptibles de découler de ces instruments (ii) avant d’en préciser le traitement fiscal (iii) construit autour de la notion de « fonctions de dirigeant ou de salarié ».
Dans sa décision Gaillochet de 2014[1], fondatrice en matière de management packages, afin de qualifier en complément de rémunération les gains perçus au titre de la cession d’actions acquises en exercice de promesses, le CE s’était attaché aux fonctions de dirigeant de la société qu’exerçait le contribuable et avait relevé l’absence de risque capitalistique en raison de la modicité de l’investissement réalisé. Néanmoins, si la solution retenue par les arrêts Wendel-Solfur[2] avait pu déjà paraître ambigüe quant à la place que devait prendre le critère du risque capitalistique dans l’analyse, les juges de cassation ont entendu indiquer avec force, à l’occasion de la plénière du 13 juillet dernier, le rôle central qu’est appelée à jouer la notion de « fonction de dirigeant ou salarié » dans le traitement fiscal des gains issus de management packages.
Pour rappel, la Haute juridiction était invitée à se prononcer sur trois affaires distinctes concernant deux catégories d’instruments aujourd’hui moins usités en pratique. Dans deux d’entre elles, les dirigeants des sociétés s’étaient vus attribuer des BSA qu’ils avaient ensuite cédés sans jamais les avoir exercés (pourvois n°435452 et 437498). Dans la troisième affaire, le dirigeant de la société avait bénéficié d’un COA pour lequel il avait décidé de lever l’option avant de céder les actions ainsi acquises (pourvoi n°428506).
Sur un plan général, le CE établit une chronologie ternaire dans la vie des BSA/COA.
Les juges confirment que ces derniers sont susceptibles de générer trois gains distincts pouvant aboutir, potentiellement, à trois impositions successives : (a) un gain d’acquisition/souscription imposable au titre de l’année d’acquisition ou de souscription, (b) un gain de levée d’option ou d’exercice du bon, imposable au titre de l’année de levée d’option et (c) un gain de cession de ces titres ou bons imposable au titre de l’année de cession. La Haute juridiction va même plus loin et instaure un certain degré d’hermétisme entre ces trois temps en rappelant à trois reprises que le caractère préférentiel du prix à identifier pour caractériser un gain d’acquisition ou de souscription n’est susceptible d’aucune incidence sur la qualification des deux autres gains. Le triptyque chronologique se dédouble ainsi d’un triptyque de méthode de qualification des gains, que le contribuable semble invité à renouveler à la survenance de chacun de ces évènements.
De façon relativement didactique, les juges détaillent leurs méthodes de qualification des gains d’acquisition/souscription et des gains de cession issus de ces instruments.
Concernant le gain d’acquisition/souscription, ils instituent un raisonnement en deux étapes à savoir, d’abord, son identification par un « prix préférentiel » et, ensuite, sa qualification en avantage salarial le cas échéant.
Concernant le gain de cession des BSA, la solution est plus nette. Le CE confirme en effet le principe de son imposition en plus-value sur valeurs mobilières (art. 150-0 A du CGI) et ne retient qu’en guise d’exception leur imposition dans la catégorie des traitements et salaires (art. 82 du CGI). Il ajoute par ailleurs que le prix préférentiel n’a ici aucune incidence sur la qualification du traitement fiscal de ce gain.
Quel que soit le gain, sa qualification en avantage en argent imposable au titre des traitements et salaires est fondée sur une même notion centrale : « les fonctions de dirigeant ou salarié » dans lesquelles les gains d’acquisition et d’exercice doivent « essentiellement prendre leur source » et dont les gains de cession doivent constituer « la contrepartie ».
Ainsi, dans le pourvoi n°437498, le CE casse l’arrêt de la CAA pour une considération de méthode et insiste sur le fait qu’elle « aurait dû rechercher si le contrat de cession du BSA avait été conclu en contrepartie des fonctions de dirigeant ». Plus sévèrement encore dans le pourvoi n°428506, il sanctionne l’erreur de droit commise par la CAA qui avait considéré comme « sans incidence la circonstance que l’option d’achat consentie aurait été liée à son contrat de travail ». A l’inverse, dans le pourvoi n°435452, il valide le raisonnement des juges du fond en ne reprenant à son compte que sa partie relative au lien existant entre l’attribution d’un BSA et le contrat de travail tout en demeurant spectaculairement muet sur les autres points développés par la Cour comme, par exemple, le risque économique très faible qui pesait sur le dirigeant attributaire.
Si les frontières de cette notion demeurent floues et soumises aux faits d’espèce dont il n’appartient pas au juge de cassation de se saisir, le CE esquisse dans ces arrêts un faisceau d’indices permettant de mieux la cerner.
D’abord, concernant les COA, en instaurant une présomption jurisprudentielle d’imposition en traitements et salaires du gain de cession d’actions cédées immédiatement après la levée d’option et dont le prix n’a pas pu évoluer entre ces deux étapes. Ensuite, en relevant des éléments de fond susceptibles d’entrainer l’identification d’un lien entre management package et fonctions de dirigeant ou salarié. De façon négative, le CE considère que le seul fait que le dirigeant soit chargé « d’engager une démarche de restructuration et redressement du groupe » ne peut constituer, à lui seul, ce lien entre BSA et fonctions du dirigeant. Le CE enjoint donc l’administration et les juridictions à déduire ce lien des caractéristiques juridiques propres à chaque management package. On relèvera comme élément pouvant permettre de caractériser ce lien, l’incessibilité des instruments, leur rendement variable en fonction de la performance du projet, la présence de clauses de non-concurrence, d’exclusivité ou dites de « leavers », ou encore une terminologie inspirée du droit du travail dans la documentation d’acquisition ou de souscription des instruments.
Il va sans dire que cette approche ne rassurera pas, tout au contraire, les acteurs de private equity, déjà fortement marqués par les incertitudes issues de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière sociale[3]. Pour les management packages actuellement en place, une analyse de chaque situation particulière à la lumière de cette nouvelle grille de lecture sera inévitable.
Si, comme semble le suggérer la rapporteure publique dans ses conclusions, l’objectif de la décision rendue en formation plénière est d’inciter davantage les opérateurs à recourir aux régimes d’intéressement encadrés par la loi (tels que les attributions gratuites d’actions ou les BSPCE lorsque cela est possible), il serait souhaitable que le législateur élargisse significativement les dispositifs actuellement autorisés, dans la continuité des réformes introduites récemment.
Bertrand de Saint Quentin et Xavier Colard, associés du Cabinet Cazals Manzo Pichot Saint Quentin
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[1] CE, 3e / 8e ss-sect. réunies, 26 septembre 2014, n°365573.
[2] CE, 10e / 9e chr. réunies, 12 février 2020, n°421444 et 421441.
[3] C. Cass., 2e Ch. Civile, 4 avril 2019, 17-24.470.