L’ordonnance n°2021-859 du 30 juin 2021 a récemment transposé en droit interne la directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire.
Un nouveau jalon de la lutte pour le rééquilibrage des relations commerciales dans le secteur de la vente de produits agricoles et alimentaires
Après l’adoption de la directive européenne 2019/633 et la mise en place des « Etats Généraux de l’alimentation » entre les acteurs des filières agricoles et agroalimentaire, l’ordonnance du 30 juin 2021 constitue le troisième jalon de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises dans le cadre de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire.
Ce texte s’inscrit dans la continuité des travaux menés par les institutions européennes afin de lutter contre les pratiques commerciales déloyales entre les professionnels du secteur agro-alimentaire au niveau européen. Il était notamment soutenu par l’état français.
Si, en France, le droit des "pratiques commerciales restrictives de concurrence" s’appuie sur une base consolidée au cours des dernières années, notamment en application des règles consacrées par la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « loi EGALIM ») et l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce, de nombreux États membres n’en sont pas (ou peu) pourvus au niveau européen.
L’ordonnance vise ainsi à établir une plus grande loyauté au sein des relations commerciales entre les opérateurs du secteur intervenant en Europe.
Les services de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) auront la responsabilité de mettre en œuvre les nouveaux dispositifs prévus afin de contrôler et sanctionner les comportements abusifs.
Nous examinerons ainsi (I) les trois nouvelles pratiques restrictives de concurrence et (II) les nouveaux délais de paiement et le formalisme renforcé consacrés par l’ordonnance du 30 juin 2021 avant (III) de faire un point sur les modalités d’application de cette dernière.
Trois nouvelles pratiques restrictives de concurrence
L’ordonnance du 30 juin 2021 consacre l’interdiction de trois nouvelles pratiques restrictives de concurrence spécifiques au secteur agricole et alimentaire, pratiques qui ne pouvaient jusqu’ici pas être appréhendées par les trois pratiques générales considérées comme restrictives de concurrence par l’article L. 442-1 du Code de commerce : le déséquilibre entre les droits et obligations des parties, l’octroi d’un avantage sans contrepartie et la rupture brutale de relations commerciales établies.
Ainsi, trois nouveaux articles sont adoptés pour sanctionner les pratiques suivantes, désormais passibles d’une amende administrative d’un montant maximum 75.000 euros pour une personne physique et 375.000 euros pour une personne morale :
- Le nouvel article L. 443-5 du code de commerce consacre l'interdiction de l'annulation d'une commande dans un délai inférieur à trente jours par l'acheteur de produits agricoles et alimentaires périssables mentionnés au 1º du II de l'article L. 441-11 (à noter toutefois que ce délai peut être réduit sous certaines conditions prévues par l'article) ;
- Le nouvel article L. 443-6 du code de commerce prohibe l'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicites de secrets d'affaires par un acheteur de produits agricoles et alimentaires ; et
- Le nouvel article L. 443-7 du code de commerce prohibe le fait pour toute personne exerçant des activités de production, de transformation, de distribution ou de services de refuser de faire droit à la demande formulée par l'une des parties de confirmer, par écrit, les conditions d'un contrat conclu oralement dès lors que ce contrat a pour objet des produits agricoles et alimentaires.
Le raccourcissement sectoriel des délais de paiement et la précision du formalisme afférent aux avantages promotionnels consentis aux consommateurs
L'ordonnance du 30 juin 2021 raccourcit les délais de paiement concernant les produits suivants du secteur de l’approvisionnement agricole et agroalimentaire :
- les denrées alimentaires périssables, en l'absence d'approvisionnement régulier entre le vendeur et l'acheteur : le délai maximal de paiement de 30 jours après la fin de la décade de livraison ne sera plus applicable qu'en cas de facture périodique. Hormis ce cas, le délai de paiement ne pourra pas dépasser 30 jours après la date de livraison (article L. 441-11, II-1° du Code de commerce modifié).
- les vins, raisins et moûts destinés à l'élaboration de vins : la dérogation prévue de 45 jours fin de mois ou 60 jours après la date d'émission de la facture est supprimée. Les achats de vins seront désormais soumis au délai maximal de 60 jours date de facture et ceux des raisons et moûts seront soumis au délai plafond de 30 jours après la fin de la décade de livraison, sauf disposition dérogatoire figurant dans les contrats types pluriannuels liant les fournisseurs de raisins ou de moût et leurs acheteurs directs (article L. 441-11, II-1° et 4° du Code de commerce modifié). ;
- les produits saisonniers conclus dans le secteur des fruits et légumes, avec contrats d'intégration : Les achats périodiques devront être réglés dans un délai de 30 jours à compter de la fin du mois au cours duquel la livraison sera effectuée (article L. 441-11, II-1° du Code de commerce modifié). Les autres achats resteront soumis au droit commun (60 jours après la date d'émission de la facture ou 45 jours fin de mois) ; et
- les produits agricoles et alimentaires non périssables : Le délai plafond applicable aux achats sera de 60 jours après la date d'émission de la facture, ce délai commençant à courir à compter de la date de livraison lorsque la facture est établie par l'acheteur (article L. 441-11, II-4° modifié).
A noter que ces délais de paiement restent des délais maximaux auxquels les parties pourront toujours déroger en prévoyant des délais plus courts dans les termes contractuels.
Enfin, l’ordonnance apporte des précisions utiles quant au formalisme à respecter lorsque « le fournisseur s'engage à accorder aux consommateurs des avantages promotionnels sur ses produits ou services » (article L. 443-2 du Code de commerce). Les conditions de ces avantages promotionnels (montant, nature, période d’octroi, quantité prévisionnelle de produits concernés, modalités de mise en œuvre et ces avantages et de reddition de comptes) devront désormais être précisées dans le mandat confié au distributeur.
Focus sur l’application de ces nouvelles dispositions
Relevons enfin que l’ordonnance de transposition ne conditionne son application à aucun critère relatif au montant du chiffre d’affaires des fournisseurs et acheteurs intervenant dans la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire. Son application est donc globalisée à l’ensemble des acteurs du secteur, sans considération de taille.
S’agissant de l’application dans le temps des nouvelles dispositions, seront concernés les contrats conclus à compter du 1er novembre 2021.
Quant aux contrats en cours d’application au moment de la publication de l’ordonnance, ils devront être mis en conformité dans un délai de 12 mois à compter de cette date, soit avant le 2 juillet 2022.
Enfin ces dispositions sont à mettre en perspective avec la proposition de loi n° 4134, dite « Besson-Moreau », du nom de son rapporteur ou Egalim 2, visant à protéger la rémunération des agriculteurs et rééquilibrer les rapports entre les différents maillons dans la chaîne alimentaire et agroalimentaire, notamment par un renforcement de la contractualisation entre producteurs et distributeurs.
Cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée nationale le 24 juin 2021 et par le Sénat le 22 septembre dernier a d’ores et déjà été enrichie par de nombreux amendements.
Stéphanie Verschave, Avocat au Barreau de Bordeaux, PwC Société d’avocats