Dans cet article, les auteurs examinent (I) l'état actuel de « l’Initiative ceinture et route » ou la « Belt and Road Initiative » (BRI) en Afrique de l'Est, (II) les controverses et les préoccupations qui ont pu émailler le projet, ainsi que (III) la perspective africaine sur le rôle de la BRI sur le continent.
I - La BRI en Afrique de l'Est -Etat des lieux
Commencée en 2013 sous la présidence de Xi Jinping, la BRI est une poussée d'investissement massive de la Chine dans des États principalement en développement, pensée comme un moyen d'approfondir la capacité en infrastructure et l'intégration économique de ces pays avec la Chine. La BRI compte actuellement quelque 39 projets en Afrique. Ces projets sont financés en grande partie par des entités souveraines chinoises, telles que la Banque d’Exportation et d’Importation de Chine (China Exim Bank). La majeure partie des projets de la BRI en Afrique de l'Est s'est concentrée sur les infrastructures de transport. Exploitant le « marché de la connectivité intra-régionale », les principaux projets concernent des chemins de fer, des autoroutes et des ports.
Si les avis sur l'impact de ces projets peuvent varier, leur ampleur est, elle, indéniable. Par exemple, le chemin de fer du Kenya reliant la capitale Nairobi à la ville portuaire de Mombasa, est le plus grand projet d'infrastructure au Kenya depuis l'indépendance du pays, et, avec 3,2 milliards de dollars, il équivaut à 6% de son PIB au moment de l’inauguration du projet.
Ailleurs dans la région, la Chine a noté le potentiel de Djibouti qui dessert 90 % du commerce maritime de l'Éthiopie (enclavée) - le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique avec plus de 100 millions d'habitants, et l'une des économies à la croissance la plus rapide du monde. La China Exim Bank a ainsi financé la construction du port polyvalent de Doraleh avec un prêt de 340 millions de dollars. Le port est lui-même une joint-venture avec une entité souveraine chinoise, exploité par des entreprises chinoises.
Ceci n'est qu'une petite illustration des projets majeurs qui sont entrepris en partenariat avec des investisseurs souverains chinois en Afrique de l'Est. Si le potentiel de ces projets est sans aucun doute immense, ces derniers ne sont cependant pas allés sans controverse.
II - Une croissance difficile - Revers et échecs des projets
Si la BRI dans son ensemble a suscité des inquiétudes, certains projets spécifiques ont pu rencontrer des difficultés, ou ont échoué.
Le projet de port de Bagamoyo en Tanzanie en est une bonne illustration. Fruit d'un accord signé en 2013 par le président de l'époque, Jakaya Kikwete, et le président Xi Jinping, ce qui devait être un projet de 10 milliards de dollars financé en grande partie par la China Exim Bank, a rencontré de sérieux obstacles. Décrétant que les conditions de financement étaient « exploitantes et maladroites » et « ne peuvent être acceptées que par des fous », le président suivant, John Magafuli, a abandonné le projet en 2019. Sous l'administration actuelle de la présidente Samia Suluhu Hassan, le projet reste au point mort près d'une décennie après son accord initial.
Certains projets de la BRI dans la région ont également fait l'objet d’oppositions pour des raisons environnementales. En 2019, un projet de centrale électrique au charbon de 2 milliards de dollars à Lamu, au Kenya, a été annulé à la suite d'une décision de justice selon laquelle l'évaluation environnementale du projet était inadéquate et que la centrale aurait eu pour effet d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre du Kenya de 700%. A titre d’autre exemple, un projet d'aéroport de 318 millions de dollars financé par la Chine à Freetown, en Sierra Leone, a été annulé en 2018, le président Julius Maada Bio ayant fait remarquer que la Sierra Leone ne serait pas en mesure de rembourser le prêt et que l'attention devrait plutôt être portée sur la modernisation des infrastructures existantes.
De tels échecs, et plus largement les préoccupations concernant les ambitions géopolitiques de la Chine sur le continent, ont pu susciter des condamnations de l'initiative dans son ensemble, les critiques s'inquiétant de la puissance économique et de la capacité financière substantielles de la Chine vis-à-vis de chaque État africain, et de la manière dont ce déséquilibre fondamental pourrait éventuellement conduire à des accords d'investissement unilatéraux, ou autrement viciés.
III - La perspective africaine
Alors que la BRI a été qualifiée de « plan Marshall de la Chine » et que les objectifs de la Chine avec la BRI ont fait l'objet de nombreuses discussions, les commentateurs se sont moins attachés à étudier le point de vue des États d'Afrique de l'Est.
Malgré des réserves venues d’Occident, notamment de la part des États-Unis qui ont décrit l'investissement de la Chine dans la région comme un piège à dettes, de nombreux éléments indiquent que l'initiative BRI est bien accueillie. Par exemple, au-delà de la poursuite des investissements de la BRI dans la région, une étude récente indique que la couverture médiatique de la BRI en Afrique subsaharienne est largement positive, et n'est dépassée que par celle d'Asie centrale.
En outre, si l'on considère que le manque de développement et d'intégration économique a conduit à la marginalisation des États africains sur la scène internationale, certains ont fait remarquer que si la BRI contribue à améliorer le statu quo économique de l'Afrique, il peut également en résulter un déblocage du pouvoir des États africains sur leurs propres affaires, et sur la scène internationale.
Il convient également de noter que des synergies indéniables existent entre les objectifs de la BRI et ceux des États africains eux-mêmes. En effet, l'Agenda 2063 de l'Union africaine met l'accent sur le besoin d’un développement rapide des infrastructures. C’est un objectif commun à de nombreux États d'Afrique de l'Est, dont un certain nombre - comme l'Éthiopie et le Rwanda - figuraient parmi les économies à la croissance la plus rapide au monde avant la pandémie de Covid-19. L'accent mis sur les projets d'infrastructures de transport dans le cadre de la BRI est également conforme aux objectifs d'intégration économique de l'Accord de libre-échange continental africain (AfCFTA) et de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC).
Au fur et à mesure que les projets de la BRI prennent de l'ampleur, des méthodes fiables et efficaces de résolution des conflits ne feront que gagner en importance. L'Afrique de l'Est renforce sa capacité à régler les différends entre investisseurs et États, avec des centres de règlement des différends notables tels que le Nairobi Centre for International Arbitration (NCIA) et le Kigali International Arbitration Centre (KIAC). En outre, les centres de règlement des différends dirigés par la Chine (tels que le SCIA, le CIETAC et le CAJAC) développent des mécanismes spécifiques pour traiter les différends liés à la BRI dans le contexte africain. La performance de ces institutions de résolution des litiges aura un impact sur le degré de confiance des investisseurs, ainsi que sur la confiance entre les investisseurs chinois et les États africains. Bien qu'il n'y ait pas encore eu d'arbitrages internationaux explicitement liés à la BRI en Afrique de l'Est, des litiges tels que l'arbitrage ad hoc entre Beijing Everyway Traffic and Lighting Tech Co Ltd. et le Ghana, sur la base du TBI signé entre la Chine et le Ghana, fournissent un éclairage utile sur la dynamique à laquelle nous pouvons nous attendre à l'avenir.
IV - Conclusion
Ainsi, bien que certaines préoccupations aient pu être soulevées concernant la BRI, qu'il s'agisse de l'équité des conditions contractuelles ou de l'impact environnemental des projets, la BRI est généralement bien accueillie en Afrique de l'Est et est considérée comme allant dans le même sens que les objectifs de développement de la région. Pour assurer une relation à long terme qui soit mutuellement bénéfique entre la Chine et les investisseurs souverains chinois d'une part, et les États d'Afrique de l'Est d'autre part, il nous paraît cependant nécessaire de veiller à garantir (i) des conditions justes et équitables dans le financement des projets, (ii) une prise en compte adéquate des impacts environnementaux et (iii) des systèmes fiables et efficaces de résolution des litiges qui puissent rassurer les investisseurs comme les États.
Thomas Dauvillier, avocat, et Jacob Omorodion, avocat, du cabinet Three Crowns LLP