Esprit de corps et de cohésion dans les cabinets d'avocats : trois femmes de droit apportent leur regard.
Petites ou grandes structures, ici ou ailleurs, la question se pose partout en des termes identiques. Comment instaurer un esprit de corps ou de cohésion
au sein d’un cabinet et de ses équipes pour assurer son développement et pour fidéliser ses talents ?
Car il s’agit bien de cela : la force d’un cabinet, ce sont ses talents. Comment les attirer et leur proposer un environnement fédérateur permettant à la fois de développer leur potentiel et d’optimiser le fonctionnement du cabinet ?
« Vous ne pouvez pas gagner la guerre du recrutement quand vous n’avez que de l’argent à proposer. Si vous axez vos efforts de recrutement et de conservation du personnel sur l’argent, vous attirerez des avocats qui se préoccupent particulièrement de l’argent et vous serez toujours vulnérable face à un concurrent mieux loti » écrit Jordan Furlong, rédacteur en chef du National, la revue de l’Association du Barreau canadien. « Certains cabinets commencent à comprendre cette réalité et cherchent un autre facteur de différenciation véritable : une culture organisationnelle dans laquelle les buts, valeurs et objectifs de chaque avocat sont agencés avec ceux du cabinet, de sorte que tout un chacun se dévoue aux intérêts du cabinet parce que ses propres intérêts y sont étroitement liés ».
L’approche outre-atlantique peut sembler à certains égards abrupte mais elle a le mérite de dire clairement les choses. L’approche de Caroline Neveux, associée
fondatrice du cabinet de conseil en organisation et stratégie, Jurimanagement et de son agence Juricommunication est tout aussi pragmatique. « On remarque que les cabinets dans lesquels il y a peu de mouvements de collaborateurs sont les cabinets qui ont un vrai projet d’entreprise. Un projet c’est partir à la conquête de certains marchés, atteindre une certaine taille, être, par exemple, numéro un en droit immobilier... Qui dit projet, dit patron et donc équipe. Qui dit projet, dit moyens opérationnels pour le décliner et implication des hommes ».
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE FONDATEUR
C’est souvent ainsi que tout commence, avec l’implication d’un homme. Un fondateur qui par sa personnalité parvient à insuffler un esprit de corps, entre rigueur
et équilibre, voire en « père de famille ». Lorsque le fondateur s’en va, l’esprit perdure, ou alors il s’étiole, lorsqu’il ne s’échoue pas carrément sur les écueils du
favoritisme ou du népotisme.
« Un cabinet d’avocats, c’est difficile à gérer. Par définition les bons avocats ont du tempérament, sont tous très diplômés et sont tous aussi compétents les uns que les autres », explique Sophie-Laurence Roy-Clémandot, associée, co-fondatrice du cabinet RCS & Associés.
UN CHEF, UNE VISION, UN PROJET
« Pour constituer une bonne équipe il faut arriver à ce que tout le monde avance d’un seul pas, il faut un vrai projet, une volonté délibérée de donner une image au cabinet. Avant d’être donnée au client cette image doit être donnée aux troupes », poursuit Valérie Schneider-Macou, associée co-fondatrice du cabinet RCS & Associés.
Grosses ou moyennes structures, la nécessité d’un projet est la même. Que ce soit pour des équipes plus restreintes dont les membres doivent apprendre à se côtoyer en permanence, ou pour des entités plus importantes dont la somme des différents départements ne parvient pas à être égale au cabinet.
« Nous croyons vraiment que lorsqu’il y a un bon esprit de corps et une bonne ambiance, les clients le ressentent. Nous aurons réussi lorsque tous les clients diront
en passant notre seuil qu’ils sont bien chez nous. Peut-être est-ce parce que nous sommes des femmes », indique Sophie-Laurence Roy-Clémandot.
UN CHEF, UNE VISION, UN PROJET
Le développement d’un esprit de corps et de cohésion des équipes se travaille aussi par une approche managériale des relations humaines. Un cabinet est une entreprise et ce n’est pas parce qu’on est un bon avocat qu’on est un bon chef d’entreprise.
« Nous nous sommes adjoint les services d’un cabinet spécialisé dans le management des cabinets d’avocats. Nous avons une formation avec un suivi trimestriel », explique Valérie Schneider-Macou. « Grâce à cette démarche, nous pouvons nous rendre compte qu’une décision que nous voulions prendre n’est peut-être pas la bonne ou que ce n’est pas le bon moment ».
Exemple, ne pas vouloir trop organiser un cabinet. Il ne faut pas, bien sûr, laisser la désorganisation s’installer mais il est préférable d’amener les collaborateurs à
adhérer au projet en laissant à chacun une part d’initiative et de prise de décision, plutôt que de leur imposer le projet.
Par ailleurs, on ne peut pas développer une culture de cabinet si on n’a pas parallèlement mis en place une communication interne. « Une bonne communication
interne est celle qui n’en dit ni trop, ni pas assez. Elle est mesurée, périodique, synthétique et rassure sans aveugler », explique Caroline Neveux. Communication
à laquelle s’ajoutent des réunions périodiques où l’on fait le point sur chaque dossier. Les juniors apprennent mieux par ce type d’exercice et les seniors les
comprennent et les encadrent mieux aussi.
Dialoguer. Echanger. « Un des aspects positifs de la loi anti–tabac, ce sont les fumeurs qui viennent fumer avec moi sur mon balcon », plaisante Sophie-Laurence Roy-Clémandot. « Ils viennent ainsi parler avec moi plusieurs fois par jour ».
ACTIVITÉS D’ÉQUIPES
Lorsque toute la démarche managériale est en place dans le cabinet, il devient alors intéressant et complémentaire de proposer des activités d’équipes. Certes,
on peut comprendre les avocats qui traînent les pieds pour se rendre à l’arbre de noël du cabinet. Les conjoints et les enfants y sont souvent invités faisant entrer la vie de famille dans la vie professionnelle, ce qui n’est pas forcément bon.
De même emmener les membres d’un cabinet en week end peut se révéler être l’exemple-type de la fausse bonne idée, surtout lorsqu’il s’agit de venir accompagnés.
« Les conjoints ne s’entendent pas forcément et pour les maris des femmes avocats, les relations avec les autres avocats peuvent être difficiles », remarque
Sophie-Laurence Roy-Clémandot. « Le travail est un moment où l’on fait une pause dans la vie de famille. En mélangeant les deux, on n’a plus de vie privée ».
La bonne idée, celle qui fédère et fidélise, c’est de donner du temps à un collaborateur et non pas de lui en prendre. « Nous avons mis en place des séances de
réflexologie pour nos collaborateurs, au bureau et pendant les heures de travail », indique Valérie Schneider-Macou. En décembre les membres du cabinet seront invités à participer à un atelier des chefs organisé pour eux. Une idée de femmes qui plait à tout le cabinet.
Le pro-bono, autre démarche qui se développe même si cela concerne surtout les gros cabinets, permet également de construire un sentiment de cohésion qui s’appuie sur la solidarité.
CULTURE ORGANISATIONNELLE POUR FIDÉLISER LES TALENTS
« Les cabinets qui ont mis en place une vraie politique d’association en l’inscrivant dans leur charte offrent davantage de perspectives et de visibilité aux jeunes qui rentrent chez eux », indique Caroline Neveux. Et c’est dans ces cabinets, si en plus ils laissent un peu d’espace aux collaborateurs pour traiter leurs dossiers personnels, qu’on trouve les collaborateurs les plus pérennes.
« Ces collaborateurs-là, s’ils doivent devenir associés un jour, auront eu l’occasion de montrer leur capacité à développer une clientèle. C’est très difficile pour un
collaborateur ayant passé 10 ans dans un cabinet, en charge uniquement des dossiers, de commencer à se découvrir des talents de développeur. Un collaborateur auquel les associés auront laissé un peu d’espace arrivera à montrer son esprit entrepreneurial », poursuit Caroline Neveux.
Le mentoring aussi peut aider à la cohésion de l’ensemble et à l’intégration et à la fidélisation des collaborateurs. Le mentor prend en charge un collaborateur dont il n’est pas le supérieur hiérarchique, généralement dans un autre département du cabinet. Le collaborateur pourra parler de sa gestion de carrière ou de ses difficultés professionnelles à quelqu’un qui n’est pas son patron direct.
Faire corps avec le cabinet, c’est aussi repenser l’organisation du travail pour une intégration optimale de chacun, voire de chacune.
« La profession se féminise. Les femmes représentent aujourd’hui plus de 60 % de la population des avocats. Certains cabinets ont compris que leur laisser un peu
de souplesse pour leur permettre d’organiser leur vie professionnelle et privée avait du sens. Elles peuvent ainsi plus facilement gérer deux vies en même temps, grâce notamment à l’évolution des moyens technologiques », souligne Caroline Neveux.
Pour les femmes avocats comme pour l’ensemble des membres d’un cabinet, la clé de la réussite pour mettre en place un esprit de corps et un sentiment de cohésion d’équipe passe peut-être par la prise en considération d’une forme d’autonomie et de développement personnel, pour mieux revenir ensuite vers le groupe : se dévouer aux intérêts du cabinet parce que ses propres intérêts y sont étroitement liés.