Dans le contexte de tensions politiques et sociales actuelles, il faut se réjouir de la conclusion par les organisations syndicales et patronales d’un accord aux niveaux national et interprofessionnel sur un sujet aussi essentiel que le partage de la valeur.
Pour autant, malgré les efforts sur la forme, le fond peine à remonter à la surface.
Avec l’ANI sur le partage de la valeur, les objectifs de lisibilité, d’accessibilité et de flexibilité qui étaient ceux des partenaires sociaux pour répondre aux enjeux du partage de la valeur créée par l’entreprise sont-ils atteints ?
On peut d’abord s’interroger sur l’appel porté par l’accord à déconnecter les discussions sur le partage de la valeur des négociations obligatoires prévues par la loi.
Aujourd’hui, en application du code du travail, les négociations relatives au partage de la valeur ajoutée (intéressement, participation, PEE) sont intégrées à la négociation obligatoire sur la rémunération.
Et pour cause, la réalité de la définition de la politique de rémunération dans l’entreprise est globale, et intègre les salaires, les avantages salariaux et les montants d’épargne salariale.
Les salariés intègrent d’ailleurs ces éléments, ensemble, dans leur comparaison des politiques rémunératoires proposées par les entreprises.
Cette préoccupation de forme des partenaires sociaux traduit un décalage sur le fond.
Pourtant, l’accord lui-même rappelle que les outils de partage de la valeur visent la rémunération dans son acception la plus large, c’est-à-dire l’ensemble des revenus perçus à l’occasion du travail dont le salaire et l’épargne salariale.
Voilà une contradiction qui ne vient pas servir les ambitions de lisibilité et de cohérence.
Pour renforcer l’accès des TPE au partage de la valeur, les partenaires sociaux créent un nouveau mécanisme d’épargne salarial pour les entreprises dont l’effectif est compris entre 11 et 50 salariés. L’ANI prévoit en effet que ces entreprises peuvent mettre en œuvre une participation dérogatoire, moins favorable que la formule légale.
Voilà donc, pour répondre à l’enjeu de simplification, un nouveau dispositif ajouté à la longue liste de ceux existant en matière d’épargne salariale.
Pourquoi créer un nouveau mécanisme alors même que l’intéressement, fondé sur une formule de calcul liée aux résultats de l’entreprise, permet d’atteindre cet objectif ?
L’intéressement aux résultats a en effet précisément pour objet de mesurer le profit – au sens large de progrès économique – que l’entreprise retire de son exploitation, et son montant doit refléter la contribution des salariés à l’expansion économique de l’entreprise.
Des objectifs pluriannuels de résultats peuvent par ailleurs être fixés.
Il est peu probable que ce nouveau dispositif rencontre son public, tant l’intéressement est plus modulable, plus flexible, donc plus adapté à l’hétérogénéité des défis et de leurs impacts sur les entreprises, rappelée par l’ANI comme étant un enjeu fondamental s’agissant du partage de la valeur.
Même l’obligation nouvelle, d’application directe, pour les entreprises de 11 à 49 salariés, réalisant un bénéfice fiscal positif au moins égal à 1% du CA pendant 3 années consécutives, ne permettra pas de promouvoir cette participation dérogatoire.
En effet, cette obligation vise la mise en œuvre d’un dispositif de partage de la valeur quel qu’il soit : participation, intéressement, PPV, abondement à un PEE, PEI ou PER.
Autre mesure d’application directe pour les entreprises portée par l’ANI, celle relative à la prise en compte des résultats exceptionnels.
Les entreprises de 50 salariés et plus dotées d’un délégué syndical et obligatoirement soumises à la participation, devront inclure dans leurs négociations sur la participation ou l’intéressement une clause sur les modalités de prise en compte des résultats ayant un caractère exceptionnel.
Si l’objectif est clair et apporte une première réponse à la question brûlante des superprofits, les modalités de mise en œuvre restent là encore peu lisibles et semblent remettre en cause certains niveaux de flexibilité jusque-là existants.
En effet, aux termes de l’ANI, si les modalités de prise en compte des résultats exceptionnels doivent faire l’objet d’une négociation, la définition du caractère exceptionnel revient à l’employeur.
Par ailleurs, parmi ces modalités, l’ANI précise qu’elles pourront consister soit dans le versement d’un supplément de participation ou d’intéressement dont les modalités sont définies par accord (incluant notamment la formule de calcul et la temporalité), soit dans le renvoi à une négociation future sur le versement de sommes additionnelles via un autre dispositif de partage de la valeur dont la PPV.
Or, jusqu’alors, tant la PPV que les suppléments de participation ou d’intéressement relevaient d’une décision à la main de la Direction, les suppléments versés n’étant d’ailleurs pas le fruit d’une formule de calcul.
À la lumière de ces éléments, la transcription législative « fidèle et totale » de l’ANI n’apparaît pas si évidente, au regard des ambitions de cohérence
En réalité, ce qui ressort en substance de l’ANI, c’est la priorité que les partenaires sociaux entendent donner à la participation – en la parant de certains des atouts de l’intéressement comme le versement possible d’avances –, dispositif exclusivement fondé sur le résultat net de l’entreprise, l’intéressement étant quant à lui recentré sur la performance, avec un angle RSE, dont l’ajout dans la loi sollicité par les partenaires sociaux n’apparaît pas nécessaire.
Pourtant, l’intéressement, à la main des entreprises et de leurs partenaires sociaux pour répondre aux contraintes et enjeux qui leur sont propres, apparaît comme étant l’outil permettant de répondre le mieux aux ambitions d’appropriation, de lisibilité et de flexibilité.
Une étude de la DARES a d’ailleurs mis en lumière que l’intéressement – adossé au PEE – était l’outil à privilégier pour améliorer la performance sociale de l’entreprise.
Rappelons que la formule légale de calcul de la participation n’a pas été modifiée depuis plus de 60 ans, que sa complexité est un frein à son appropriation par les salariés.
La participation est aujourd’hui conçue comme une obligation légale à respecter, une contrainte liée à un franchissement de seuil dont le législateur ne cesse de chercher à décaler les effets dans le temps.
Pourquoi ne pas laisser le champ libre à la négociation collective d’entreprise, pour négocier et conclure un accord sur le partage de la valeur, avec le respect de dispositions d’ordre public et l’application d’un régime supplétif à défaut d’accord, à l’instar des autres dispositifs de politique sociale prévus par le Code du travail ?
Alexandre Lamy, avocat en droit social