Tribune d’AvoSial, Syndicat des avocats d’entreprise en droit social.
La récente disparition de Robert Badinter invite à revenir sur sa carrière et sur les legs qu’il a fait au droit français. Si le feu juriste, avocat et ancien président du Conseil constitutionnel et garde des Sceaux s’est surtout illustré en droit pénal, il s’est aussi intéressé au droit du travail. En témoignent, notamment, ses travaux sur la réforme du code du travail, dont il avait fait son cheval de bataille au crépuscule de sa vie.
Père des principes essentiels du droit du travail
C’est en novembre 2015 que Robert Badinter a été amené à se pencher officiellement sur notre droit du travail. Emmanuel Valls, alors Premier ministre, le charge en effet de présider une commission qui aura pour objectif de dégager les « principes essentiels du droit du travail » qui guident le droit positif du travail (loi mais aussi textes constitutionnels, européens comme internationaux, et jurisprudence constitutionnelle, judiciaire et administrative). Composé d’un panel d’experts comprenant notamment Olivier Dutheillet de Lamothe (président honoraire de la section sociale du Conseil d’État de l’époque), Yves Robineau (président adjoint de la même section) Jean-Yves Frouin (président de la chambre sociale de la Cour de cassation) et Françoise Favennec-Hery (professeur de droit à l’université Panthéon-Assas), le comité livre ainsi, le 25 janvier 2016, un rapport faisant état des grands piliers du droit du travail, déclinés en 61 principes. Une tâche de réduction du droit du travail à sa quintessence qui n’est guère aisée au regard de la densité du seul Code du travail. Ces principes primordiaux ont été rassemblés en 8 catégories traitant chacune des libertés et droits de la personne, du contrat de travail, de la rémunération, du temps de travail, de la santé et de la sécurité, des libertés et droits collectifs, de la négociation collective et du contrôle administratif et du règlement des litiges. 61 articles, donc, tenant en… 5 pages !
Défenseur d’un Code du travail plus intelligible
Ramener le droit du travail à 61 principes rejoint la critique faite de Robert Badinter concernant la complexité du Code du travail. Il fustige en effet un appareil législatif trop dense, qui nuit par lui-même à sa bonne application et à sa bonne connaissance par les parties prenantes. Badinter va jusqu’à qualifier le Code du travail de « code obèse » en raison de la multiplication incessante du corpus législatif. Il militait pour sa simplification, et ce, avant même qu’on lui assigne la tâche de dégager les principes essentiels du droit du travail, puisqu’il avait coécrit, avec Antoine Lyon-Caen, Le travail et la loi, ouvrage publié en juin 2015. Ce dernier prônait un allègement drastique du code pour le réduire à seulement 50 articles, encore moins, donc, que le nombre retenu un peu plus tard par le comité missionné par le gouvernement Valls. L’idée est à l’époque saluée par le Président du Medef Pierre Gataz. Rappelons en effet que notre code actuel comporte plus de 10 000 articles, contre 600 il y a 50 ans. À l’occasion de la parution du livre, les deux auteurs signaient une tribune dans Le Monde dans laquelle ils réaffirmaient cette nécessité de réformer le droit du travail. Le réformer d’abord pour les principaux intéressés, à savoir les travailleurs, qui sont les parties faibles au contrat de travail : ce mastodonte de code pouvait en effet être considéré comme illisible, menaçant ainsi les droits des salariés, mais aussi les droits et obligations des petites entreprises n’ayant pas les moyens de recourir aux services de juristes pour les éclairer. Suivant ce raisonnement, Robert Badinter voyait la complexité du droit du travail comme un frein à l’embauche entretenant le chômage, une position qui sera plus discutée.
Promoteur de l’hégémonie des droits fondamentaux au travail
La simplification drastique du droit du travail préconisée par Robert Badinter a alimenté un vif débat qui a fait ressortir la crainte d’un risque de mise en danger des droits des salariés si l’on rognait ainsi l’appareil législatif. Mais lorsqu’il livre les 61 principes essentiels du droit du travail au Premier ministre, Robert Badinter souligne expressément « la volonté d’assurer le respect des droits fondamentaux de la personne humaine au travail » doit demeurer au cœur du droit du travail français, un objectif qui se serait peu à peu délité, perdu au milieu des flots d’articles du Code du travail. Si l’on s’attarde sur l’ordre dans lequel les fameux principes sont énoncés, on s’aperçoit que la première catégorie d’articles est celle des « libertés et droits de la personne au travail », l’article 1er ouvrant la marche en disposant : « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail ». Les articles qui suivent garantissent tour à tour le droit au respect de la dignité dans le travail, le secret de la vie privée, la protection des données personnelles, l’égalité professionnelle, la liberté de manifester ses convictions, l’interdiction du harcèlement moral ou sexuel ou encore la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale. Interrogé sur la place de choix occupée par ces droits et libertés, Robert Badinter souligne l’intérêt qu’il y aurait à les faire figurer en préambule du Code du travail, le droit du travail devant tout entier s’articuler autour d’eux.
Robert Badinter aura marqué de son sceau le paysage juridique français dans bien des matières et celle du droit social ne manque pas à l’appel. Loin d’être anecdotique, sa contribution aux réflexions continues sur la réforme du droit du travail mérite de partager la célébrité de ses autres combats plus connus du grand public. Son engagement contre la peine de mort en droit pénal aura eu son pendant en droit social avec sa lutte contre la peine de mots infligée par le code du travail. Espérons que ses préconisations ne restent pas lettre morte.