Affaires courantes : que recouvrent-elles véritablement ?

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Dans des temps de crises, il y a des notions que l’opinion publique découvre soudainement. La décision de dissolution de l’Assemblée nationale prise par le président de la République le 9 juin 2024 a entrainé une recomposition politique sans majorité réelle et solide. La perte de toute majorité au sein de la chambre basse par l’ancienne majorité présidentielle a entrainé la remise de la démission officielle du Premier ministre le 16 juillet 2024 ouvrant la voie jusqu’à la nomination de son successeur à une période transitoire où le gouvernement sortant ne peut gérer que les affaires dites courantes. Cependant, beaucoup s’interrogent sur cette notion et sur ce qu’elle recouvre réellement et surtout de ce qu’elle permet. L’objectif de cet article est de répondre à ces interrogations.

1° Une notion qui n’existe pas textuellement

La notion d’affaires courantes ne figure dans aucun texte normatif de la Cinquième République. En clair, rien n’est prévu ni dans la Constitution de 1958, ni dans une loi organique ou encore une loi ordinaire.

La seule référence textuelle se trouve dans les 106 articles qui composent la Constitution du 27 octobre 1946. Plus précisément, l’article 52 la Constitution de la défunte Quatrième République disposait :

« En cas de dissolution, le Cabinet, à l'exception du président du Conseil et du ministre de l'intérieur, reste en fonction pour expédier les affaires courantes.

Le président de la République désigne le président de l'Assemblée nationale comme président du Conseil. Celui-ci désigne le nouveau ministre de l'intérieur en accord avec le bureau de l'Assemblée nationale. Il désigne comme ministres d'Etat des membres des groupes non représentés au Gouvernement.

Les élections générales ont lieu vingt jours au moins, trente jours au plus après la dissolution.

L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le troisième jeudi qui suit son élection. »

Sous la Quatrième République, l’expédition des affaires courantes reposait donc sur deux autorités nommées spécialement à cet effet : d’une part, le président du Conseil qui était pour la circonstance le président de l’Assemblée nationale et d’autre part, le nouveau ministre de l’Intérieur qui est désigné pour le nouveau Premier ministre. 

La note du 2 juillet 2024 établie par le secrétariat général du Gouvernement sur l’expédition des affaires courantes ne peut suppléer à cette absence de base textuelle dans notre droit positif constitutionnel. Elle n’a qu’une valeur interprétative et aucunement normative.

Contrairement à la Quatrième République, c’est l’ensemble des ministres, ministres délégués et secrétaires d’Etat qui sont concernés et doivent expédier les affaires courantes relevant de leur département ministériel, étant rappelé que le Premier ministre n’a pas de pouvoir hiérarchique sur les membres du Gouvernement qu’il dirige.

2° Une création totalement prétorienne

En réalité, la gestion des affaires courantes est une notion purement prétorienne.

Elle a été mentionnée à l’époque coloniale dans un contentieux algérien qu’il convient de rappeler le contexte qui amène le Conseil d’Etat à l’aborder. Pour rappel du contexte de l’époque, à la suite de la capitulation allemande et de l’effondrement du régime de Vichy, une ordonnance est prise le 9 août 1944 en vue de rétablir la légalité républicaine sur le territoire de la France continentale, en considérant comme nuls et non avenus tous les actes promulgués par le gouvernement de Philippe Pétain et de Pierre Laval qui débute avec la loi du 10 juillet 1940 votant les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain pour se terminer le 9 août 1944 à la Libération de Paris. Pendant cette période troublée, un Gouvernement provisoire de la République française va être mis en place dès le 3 juin 1944 jusqu’au 27 octobre 1946, date d’entrée en vigueur de la Constitution de la Quatrième République. Ce gouvernement provisoire a connu cinq gouvernements dont le troisième dirigé Félix Gouin qui durera que 4 mois et 17 jours, soit du 26 janvier 1946, succédant au deuxième gouvernement de Charles Gaulle jusqu’au 12 juin 1946. La notion d’affaires courantes va naitre à l’occasion d’un décret publié après la démission du 11 juin 1946 du gouvernement Gouin.

En effet, un décret en date du 17 juin 1946, publié au Journal officiel le même jour, entend appliquer à l'Algérie la loi du 11 mai 1946 portant transfert et dévolution des biens et éléments d'actif d'entreprises de presse et d'information, pris en exécution de l'article 43 de ladite loi, aux termes duquel " un décret pris sur la proposition du ministre chargé de l'information et du ministre de l'intérieur fixera les conditions dans lesquelles les dispositions de la présente loi seront rendues applicables à l'Algérie ".

Saisi de la légalité de ce décret et devant se prononcer sur sa nature, le Conseil d’Etat va dans un arrêt rendu le 4 avril 1952 en Assemblée jugé « qu'en raison de son objet même, et à défaut d'urgence, cet acte réglementaire qui devait, non pas appliquer simplement mais transposer en Algérie, compte tenu des circonstances locales, le système de la loi du 11 mai 1946, et fixer les règles de droit applicables aux actes individuels de transfert à intervenir ultérieurement, ne peut être regardé comme une affaire courante, si extensive que puisse être cette notion dans l'intérêt de la continuité nécessaire des services publics ; » et annulé en conséquence le décret litigieux du 17 juin 1946 (Conseil d’Etat, Assemblée, 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, n° 86015).

Le Juge du Palais Royal a eu l’occasion en 2005 d’appliquer cette notion d’affaires courantes au gouvernement de la Polynésie française qui est l’une des collectivités territoriales de la République disposant de la plus large autonomie de gestion. 

En l’espèce, le président de la Polynésie française a saisi le président de la République de deux demandes formées respectivement les 6 et 12 octobre 2004 tendant à ce que celui-ci prononce la dissolution de l'assemblée de la Polynésie française par application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 157 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Ces demandes vont être rejetées respectivement par deux décisions des 7 et 14 octobre 2004 par la ministre de l’Outre-mer.

Saisi pour l’annulation de ces deux décisions de refus, le Conseil d’Etat a motivé son rejet s’agissant particulièrement de la décision de refus ministériel du 14 octobre 2004 par un considérant mettant en exergue la notion des affaires courantes : « Considérant qu'à la date du 12 octobre 2004 à laquelle le président de la Polynésie française a saisi le Président de la République d'une seconde demande de dissolution de l'assemblée de cette collectivité, une motion de censure avait mis fin aux fonctions du gouvernement de la Polynésie française dont la compétence se trouvait ainsi limitée à l'expédition des affaires courantes ; que ce gouvernement n'était donc pas compétent à cette date pour solliciter du Président de la République la dissolution de l'assemblée de la Polynésie française ; que dès lors, la ministre de l'outre-mer était tenue de rejeter cette demande ; qu'en conséquence, les moyens articulés par M. X... contre cette décision sont inopérants ; » (Conseil d’Etat, 4 février 2005, Oscar X., n° 273727).

3° La date de déclenchement des affaires courantes

C’est la remise de la démission par le Premier ministre et acceptée par le président de la République qui déclenche cette période dite de gestion des affaires courantes. En effet, il faut savoir que tant que le chef de l’Etat n’a pas accepté la démission de son chef de gouvernement, ce dernier ne peut pas être considéré comme juridiquement démissionnaire. De plus, la Constitution de 1958, ni aucun texte ne fait obligation au président de nommer dans un délai donné un nouveau Premier ministre avec un gouvernement pour mettre fin à cette période transitoire où doit s’expédier seulement les affaires courantes. 

Attention, ce n’est pas la nomination d’un nouveau Premier ministre qui met fin à cette période transitoire mais bien la constitution d’un nouveau gouvernement.

Le tableau ci-dessous montre de manière détaillée pour chaque gouvernement de la Cinquième République la période transitoire des affaires courantes entre la démission du Premier ministre sortant et la composition du Gouvernement entrant qui succède au sortant. 

GOUVERNEMENT

DATE DE DEBUT ET DE FIN DES GOUVERNEMENTS

DURÉE PERIODE DES AFFAIRES COURANTES

Michel Debré

3 ans 3 mois 6 jours

8 janvier 1959 – 14 avril 1962

 

Georges Pompidou 1

7 mois 14 jours

14 avril 1962 – 28 novembre 1962

1 jour – Décret du 15 avril 1962 portant nomination des membres du Gouvernement Pompidou 1.

54 jours, soit 1 mois et 23 jours, suite à motion de censure adoptée le 5 octobre 1962 et remise de démission le même jour mais acceptée que le 28 novembre 1962 par Charles de Gaulle.

Georges Pompidou 2

3 ans 1mois 1 jour

7 décembre 1962 – 8 janvier 1966

8 jours - Décret du 6 décembre 1962 portant nomination des membres du Gouvernement Pompidou 2 

Georges Pompidou 3

1 an 2 mois 30 jours

8 janvier 1966 – 7 avril 1967 

Décret du 8 janvier 1966 portant nomination des membres du Gouvernement Pompidou 3

Georges Pompidou 4

1 an 3 mois 2 jours

8 avril 1967 – 10 juillet 1968

Décret du 7 avril 1967 portant nomination des membres du Gouvernement Pompidou 4

Maurice Couve de Murville

11 mois 10 jours

10 juillet 1968 – 20 juin 1969

2 jours - Décret du 12 juillet 1968 portant nomination des membres du Gouvernement Couve de Murville

Jacques Chaban-Delmas

3 ans 15 jours

20 juin 1969 – 5 juillet 1972

2 jours - Décret du 22 juin 1969 portant nomination des membres du Gouvernement Chaban-Delmas

Pierre Messmer 1

8 mois 30 jours

6 juillet 1972 – 5 avril 1973

1 jour - Décret du 6 juillet 1972 portant nomination des membres du Gouvernement Messmer 1

Pierre Messmer 2

10 mois 24 jours

5 avril 1973 – 1er mars 1974 

Décret du 5 avril 1973 portant nomination des ministres du Gouvernement Messmer 2

15 jours – Décret du 12 avril 1972 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Messmer 2

Pierre Messmer 3

2 mois 26 jours

1er mars 1974 – 27 mai 1974

Décret du 1er mars 1974 portant nomination des membres du Gouvernement Messmer 3

Jacques Chirac

2 ans 2 mois 29 jours

27 mai 1974 – 25 août 1976

1 jour – Décret du 28 mai 1974 portant nomination des ministres du Gouvernement Chirac

12 jours - Décret du 8 juin 1974 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Chirac

Raymond Barre 1

7 mois 3 jours

25 août 1976 – 30 mars 1977

2 jours – Décret du 27 août 1976 portant nomination des membres du Gouvernement Barre 1

Raymond Barre 2

1 an 2 jours

30 mars 1977 – 1er avril 1978

Décret du 30 mars 1977 portant nomination des ministres du Gouvernement Barre 2

3 jours - Décret du 1er avril 1977 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Barre 2

Raymond Barre 3

3 ans 1 mois 8 jours

5 avril 1978 – 13 mai 1981

5 jours – Décret du 5 avril 1978 portant nomination des ministres du Gouvernement Barre 3

6 jours - Décret du 6 avril 1977 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Barre 2

Pierre Mauroy 1

1 mois 1 jour

22 mai 1981 – 23 juin 1981

9 jours – Décret du 22 mai 1981 portant nomination des membres du Gouvernement Mauroy 

Pierre Mauroy 2

1 an 8 mois 27 jours

23 juin 1981 – 22 mars 1983

Décret 23 juin 1981 portant nomination des membres du Gouvernement Mauroy 2

Pierre Mauroy 3

1 an 3 mois 25 jours

22 mars 1983 – 17 juillet 1984

Décret du 22 mars 1983 portant nomination des ministres du Gouvernement Mauroy 3

2 jours - Décret du 24 mars portant nomination des ministres délégués et secrétaires d’Etat du Gouvernement Mauroy 3

Laurent Fabius

1 an 8 mois 3 jours

17 juillet 1984 – 20 mars 1986

2 jours – Décret du 19 juillet 1984 portant nomination des ministres du Gouvernement Fabius

6 jours – Décret du 23 juillet 1984 portant nomination des ministres délégués et secrétaires d’Etat du Gouvernement Fabius

Jacques Chirac

2 ans 1 mois 20 jours

20 mars 1986 – 10 mai 1988

Décret du 20 mars 1986 portant nomination des membres du Gouvernent Chirac

Michel Rocard 1

1 moi 18 jours

10 mai 1988 – 28 juin 1988

2 jours – Décret du 12 mai 1988 portant nomination des ministres du Gouvernent Rocard 1

3 jours – Décret du 13 mai 1988 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Rocard 1

Michel Rocard 2

2 ans 10 mois 17 jours

28 juin 1988 – 15 mai 1991

Décret du 28 juin 1988 portant nomination des membres du Gouvernement Rocard 2

Edith Cresson

10 mois 18 jours

15 mai 1991 – 2 avril 1992

1 jour - Décret du 16 mai 1991 portant nomination des ministres du Gouvernement Cresson

2 jours - Décret du 17 mai 1991 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Cresson

10 jours - Décret du 25 mai 1981 portant nomination d’un ministre délégué et d’une secrétaire d’Etat du Gouvernement Cresson

Pierre Bérégovoy

11 mois 27 jours

2 avril 1992 – 29 mars 1993

Décret du 2 avril 1992 portant nomination des ministres et des ministres délégués du Gouvernement Bérégovoy

2 jours - Décret du 4 avril 1992 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Bérégovoy

Edouard Balladur

2 ans 1 mois 12 jours

29 mars 1993 – 11 mai 1995

1 jour – Décret du 30 mars 1993 portant nomination des membres du Gouvernement Balladur

Alain Juppé 1

5 mois 20 jours

18 mai 1995 – 7 novembre 1995

7 jours – Décret du 18 mai 1995 portant nomination des membres du Gouvernement Juppé 1

Alain Juppé 2

1 an 6 mois 26 jours

7 novembre 1995 – 2 juin 1997

Décret du 7 novembre 1995 portant nomination des membres du Gouvernement Juppé 2

Lionel Jospin

4 ans 11 mois 4 jours

2 juin 1997 au 6 mai 2002

2 jours – Décret 4 juin 1997 portant nomination des membres du Gouvernement Jospin

Jean-Pierre Raffarin 1

1 mois 11 jours

6 mai 2002 au 17 juin 2002

1 jour – Décret du 7 mai 2002 portant nomination des membres du Gouvernement Raffarin 1

Jean-Pierre Raffarin 2

1 an 9 mois 13 jours

17 juin 2002 – 30 mars 2004

Décret du 17 juin 2002 portant nomination des membres du Gouvernement Raffarin 2

Jean-Pierre Raffarin 3

1 an 2 mois 1 jour

30 mars 2004 – 31 mai 2005

2 jours - Décret du 1er avril 2004 portant nomination des membres du Gouvernement Raffarin 3

Dominique de Villepin

1 an 11 mois 13 jours

2 juin 2005 – 15 mai 2007

3 jours - Décret du 2 juin 2005 portant nomination des membres du Gouvernement de Villepin

François Fillon 1

1 mois 1 jour

17 mai 2007 – 18 juin 2007

2 jours - Décret du 18 mai 2007 portant nomination des membres du Gouvernement Fillon 1

François Fillon 2

3 ans 4 mois 25 jours

19 juin 2007 – 13 novembre 2010

1 jour - Décret du 19 juin 2007 portant nomination des membres du Gouvernement Fillon 2

François Fillon 3

1 an 5 mois 26 jours

14 novembre 2010 – 10 mai 2012

1 jour - Décret du 14 novembre 2010 portant nomination des membres du Gouvernement Fillon 3

Jean-Marc Ayrault 1

1 mois 5 jours

15 mai 2012 – 20 juin 2012

6 jours – Décret du 16 mai 2012 portant nomination des membres du Gouvernement Ayrault 1

Jean-Marc Ayrault 2

1 an 9 mois 10 jours

21 juin 2012 – 31 mars 2014

1 jour - Décret du 21 juin 2012 portant nomination des membres du Gouvernement Ayrault 2

Manuel Valls 1

4 mois 25 jours

31 mars 2014 – 25 août 2014

2 jours - Décret du 2 avril 2014 portant nomination des ministres et des ministres délégués du Gouvernement Valls 1

9 jours - Décret du 9 avril 2014 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Valls 1

Manuel Valls 2

2 ans 3 mois 10 jours 

26 août 2014 – 6 décembre 2016

1 jour - Décret du 26 août 2014 portant nomination des membres du Gouvernement Valls 2

Bernard Cazeneuve

5 mois 4 jours

6 décembre 2016 – 10 mai 2017

Décret du 6 décembre 2016 portant nomination des membres du Gouvernement Cazeneuve

Edouard Philippe 1

1 mois 4 jours

15 mai 2017 – 19 juin 2017

7 jours – Décret du 17 mai 2017 portant nomination des membres du Gouvernement Philippe 1

Edouard Philippe 2

3 ans 14 jours

19 juin 2017 – 3 juillet 2020

2 jours - Décret du 21 juin 2017 portant nomination des membres du Gouvernement Philippe 2

Jean Castex

1 an 10 mois 13 jours

3 juillet 2020 – 16 mai 2022

3 jours - Décret du 6 juillet 2020 portant nomination des ministres et des ministres délégués du Gouvernement Castex

17 jours - Décret du 20 juillet 2020 portant nomination des secrétaires d’Etat du Gouvernement Castex

Elisabeth Borne 

1 an 7 mois 24 jours

16 mai 2022 – 9 janvier 2024

4 jours - Décret du 20 mai 2022 portant nomination des membres du Gouvernement Borne 

Gabriel Attal

6 mois 18 jours 

9 janvier 2024 – 16 juillet 2024

2 jours - Décret du 11 janvier 2024 portant nomination des ministres du Gouvernement Attal 

30 jours - Décret du 8 février 2024 portant nomination des ministres délégués et secrétaires d’Etat du Gouvernement Attal

 

4° La durée de la période des affaires courantes

Aucun texte ne fixe la période maximale d’expédition des affaires courantes.

Cependant, le principe de réalité impose qu’elle ne puisse durer dans le temps dans la mesure où des mesures ne peuvent être prises que par un Gouvernement pleinement en exercice et disposant d’un pouvoir décisionnel.

En conséquence, une telle situation ne pourrait pas perdurer au-delà d’une certaine période sans aboutir à des blocages de nature constitutionnelle, à la crédibilité des Institutions de la République et également à un risque majeur touchant à la validité et à la sécurité juridique des actes pris.

5° Les actes pouvant être pris durant la période dite des affaires courantes

La notion de gestion des affaires englobe deux catégories d’actes : d’une part, ceux qui relèvent de l’ordinaire du fonctionnement des services de l’Etat visant à assurer la continuité des services publics et d’autre part, ceux qui répondent à une urgence particulière qu’il convient de traiter sans délai. 

Par principe, la notion de gestion des affaires courantes empêche les gouvernants sortants d’obérer notamment sur le plan financier la capacité d’intervention des futurs gouvernants. Cependant, il peut arriver qu’une affaire urgente exige l’adoption d’une décision immédiate et impérieuse sans laquelle la situation à régler compromettrait un droit ou une obligation de l’Etat. L’urgence impérieuse, qui doit être strictement justifiée, est le critère qui permet d’aller au-delà la simple expédition des affaires courantes. C’est pour cela que l’absence de constitution d’un Gouvernement de plein exercice pendant une période longue ouvre inévitablement une période d’insécurité juridique concernant les actes pris par les ministres sortants. En effet, les actes pris par les ministres démissionnaires peuvent faire l’objet d’une contestation sur leur nature ou encore sur l’urgence dont ils se prévalent : l’acte pris relevait-il réellement des affaires courantes ? L’acte fondé sur l’urgence relevait-il d’une urgence réellement impérieuse ?

En résumé, les mesures individuelles relèvent des affaires urgentes pour autant qu’elles ne sont pas de nature sensible. Les mesures règlementaires sont à exclure sauf lorsqu’elles ne présentent qu’une nature exécutive.

Nous avons établi ci-dessous un tableau mentionnant, à partir d’exemples non exhaustifs, quelques actes qui ont été analysés ou jugés par le Conseil d’Etat comme pouvant relever des affaires courantes. Les actes qui n’ont pas été considérés comme relevant des affaires courantes figurent en rouge dans le tableau.

ACTE PRIS

NATURE DE L’ACTE

Tenue des conseils des ministres 

Par essence le Conseil des ministres est une instance d’orientation et décision de la politique gouvernementale.

Il s’en suite qu’il ne se réunit pas par principe dans une période de changement de Gouvernement.

Cependant, il n’y a pas d’interdiction de le réunir dans la mesure où par exemple l’acte relevant des affaires courantes à prendre exigerait une délibération de cette instance.

Mesure individuelle de désignation sur un mandat sensible

La désignation d’un membre au Conseil économique et social ne relèverait pas des affaires courantes en raison de la sensibilité de la nomination en cause.

Mesures touchant les listes d’aptitude et les tableaux d’avancement 

Ces mesures relèveraient des affaires courantes dans la mesure où elles ne feraient qu’acter objectivement de situations statutaires d’agents publics.

Mesure réglementaire résultant d’un décret fixant le nombre et la nature des emplois devant être supprimés dans un ministère en exécution d’une loi

Cette mesure réglementaire relèverait des affaires courantes dans la mesure il ne s’agit que de mettre en application des mesures législatives.

Mesure réglementaire résultant d’un décret ayan pour objet non d’appliquer simplement mais de transposer à l’Algérie le système d’une loi 

Cette mesure réglementaire ne relève pas des affaires courantes.

(Conseil d’Etat, Assemblée, 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, n° 86015)

Mesure réglementaire résultant d’un acte organisant dans des conditions habituelles la propagande électorale et l’organisation d’un référendum

Cette mesure réglementaire a été jugée comme relevant des affaires courantes en raison de l’urgence impérieuse à mettre en œuvre le référendum prévue. 

(Conseil d’Etat,19 octobre 1962, Assemblée, Association Brocas, Lebon page 553).

Mesure réglementaire résultant d’un décret d’application déterminant les modalités d’élections à une commission administrative paritaire

Cette mesure réglementaire a été jugée relever des affaires courantes uniquement parce qu’elle ne porte que sur le mode de scrutin et ne va pas au-delà.

(Conseil d’Etat, 22 avril 1966, Fédération nationale des syndicats de police, n° 59340 et 59505).

Mesure individuelle décidant de la cessation des fonctions d’un directeur d’école nationale 

Cette mesure rentre dans la catégorie des affaires courantes pour le Conseil d’Etat s’agissant par exemple du directeur de l’Ecole française d’archéologie d’Athènes 

(Conseil d’Etat, 28 octobre 1983, M. Y…, n° 35853)


L’absence de Gouvernement engagé et décisionnel est de nature à poser à terme de sérieux problèmes de fonctionnement de l’Etat. En effet, sans un Premier ministre nommé et un Gouvernement dirigé, le Parlement ne peut fonctionner de manière efficiente. En effet, à titre d’exemple, c’est notamment le Premier ministre de plein exercice qui peut demander au président de la République de convoquer le Parlement en session extraordinaire en application de l’article 29, alinéa 1 et 3, de la Constitution. C’est encore lui qui également peut interrompre la navette parlementaire entre les deux chambres et convoquer la commission mixte paritaire en application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution (Confer notre article pour plus d’informations « Président/Premier ministre : qui décide de quoi ? »).

Il y a donc urgence à trouver un épilogue à l’expédition des affaires courantes actuelle, celle-ci n’étant qu’un pis-aller qui n’a pas vocation à assurer la gestion de l’Etat dans la durée.

Patrick Lingibé, avocat fondateur du cabinet d'avocats Jurisguyane
Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France,
Membre du Conseil national de l’aide juridique
Membre élu du Conseil national des barreaux (président du groupe de travail droit public et droit constitutionnel au sein de la commission Textes)


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