Messages haineux en meute sur les réseaux sociaux : la Cour de cassation confirme la condamnation de l’auteur d’un seul message pour harcèlement moral aggravé

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La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 29 mai 2024 une décision importante dans la lutte contre le harcèlement moral en ligne en France. Cet arrêt vient préciser la portée de l’article 222-33-2-2 ; alinéa 3 du Code pénal, en confirmant la condamnation de l’auteur d’un message haineux sur les réseaux sociaux, s’inscrivant dans un flot de messages destinés à harceler une personne désignée. Explications par Antoine Gravereaux, Avocat Associé – FTPA, Département « Technologies, Data & Cybersécurité ».

Illustration d’un cas de cyberharcèlement de grande ampleur, cette affaire est intervenue à la suite de la publication d’une vidéo sur les réseaux sociaux par la lycéenne Mila. Pour rappel du contexte, celle-ci avait exprimé son opinion sur l’Islam après avoir reçu des insultes homophobes et misogynes de la part d'un internaute musulman dont elle avait refusé les avances. Victime d’un « lynchage numérique », pour reprendre l’expression de son conseil, l’auteur du tweet a été la cible d’un flot de messages haineux, insultants et menaçants sur le web, dont celui du prévenu qui a été poursuivi du chef de harcèlement par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique.

Le cyberharcèlement en meute a été introduit par la loi Schiappa[1] de 2018, visant à améliorer la lutte des violences sexistes et sexuelles. Aussi appelé « raid numérique », cette terminologie vise l’attaque coordonnée et simultanée de plusieurs individus qui unissent leurs forces pour harceler en ligne une personne désignée. L’article 222-33-2-2 du Code pénal condamne la publication d’insultes, injures ou diffamations au moyen d’un réseau de communication électronique (Facebook, Twitter, Snapchat, Instagram, WhatsApp etc.), ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie d’une victime, se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale.

Dès lors ce délit est constitué lorsque des propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou sous l’impulsion de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée, ou encore,  lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.

Pour retenir la qualification de harcèlement moral aggravé, la Cour de cassation a retenu qu’en publiant le message litigieux sur le réseau social pendant une période de deux jours au cours de laquelle la victime a reçu des milliers de messages d’invectives, d’insultes ou de menaces, le prévenu ne pouvait ignorer qu'il participait à un flot de messages haineux et qu’il avait connaissance de la polémique autour de Mila, même si celle-ci était ancienne.

Pour appuyer sa décision, la Cour relève que les juges du fond ont retenu qu’en utilisant un hashtag (#) devant le prénom de la victime, l’auteur des faits avait délibérément cherché à accroître la visibilité de son message, démontrant qu’il avait bien conscience de participer à une discussion en cours, sur un sujet « tendance », tout en favorisant sa rediffusion.

La Cour a retenu encore que le prévenu avait sciemment pris part à un mouvement de meute et que ses agissements avaient participé à la dégradation des conditions de vie de la victime, contrainte d’être déscolarisée et vivre sous protection policière.

Enfin, pour retenir la qualification des faits du délit, la Cour confirme que les juges ne sont pas tenus d'identifier, dater et qualifier chaque message de manière distincte.

Pour sa défense et afin de tenter d’échapper à l’infraction encourue, le prévenu estimait qu’aucune répétition de ses propos n’était caractérisée dans les faits de l’espèce et que les juges n’indiquaient pas précisément en quoi ces messages étaient de nature à relever du harcèlement au sens du Code pénal.

En outre, la défense considérait que les conditions du délit n’étaient pas remplies puisque les propos auraient dû directement viser la personne concernée et que celle-ci aurait pu en prendre connaissance, ce qui en l’espèce était impossible vu le flot de messages haineux qui lui avaient été adressés.

Enfin, l’atteinte litigieuse à la santé physique ou mentale de la plaignante n’était pas non plus rapportée selon le prévenu.

Mais la Cour n’a pas suivi ces arguments et rejetant ce moyen, confirme que l'auteur d'un seul message peut être condamné pour harcèlement moral aggravé lorsqu'il s'inscrit dans un ensemble de messages visant la même personne et ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de celle-ci. 

Cet arrêt illustre la protection offerte aux victimes qui ne peuvent pas, en pratique, répondre à ce type de rixe numérique via les réseaux sociaux. En effet, l'anonymat et la distanciation des réseaux sociaux exacerbent la violence des attaques par l'effet de meute et l'absence d'interaction directe avec la cible des propos haineux. En parallèle, la victime se trouve dans l'incapacité pratique de riposter face à de tels actes, ce qui accentue sa détresse et détériore sa qualité de vie, caractérisée par un profond sentiment d'impuissance.

En soulignant l'importance de considérer le contexte collectif de l’infraction commise, la position de la Chambre criminelle devrait inciter les utilisateurs de ces plateformes, trop souvent pris dans l’engrenage de l'effet de groupe et du conformisme social, à être plus vigilants quant aux opinions qu'ils entendent diffuser sur les réseaux sociaux.

Antoine Gravereaux, Avocat Associé – FTPA, Département « Technologies, Data & Cybersécurité »

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[1] Loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes


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