Rapport d’activité 2023 de l’Agence Française Anticorruption : quels enseignements ?

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L'Agence Française Anticorruption (AFA) a récemment publié son 7ème rapport annuel. Sous la direction d'Isabelle Jégouzo, ce rapport met en lumière les avancées en matière de prévention et les défis rencontrés, notamment une augmentation des infractions à la probité. Un bilan essentiel pour comprendre l'évolution des pratiques anticorruption en France.

Créée par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II » relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, et inaugurée le 23 mars 2017, l’Agence Française Anticorruption (« AFA ») a désormais sept ans d’existence et vient de publier le 19 juillet dernier son 7ème rapport annuel.

Ce rapport est par ailleurs le premier rapport sous la direction de Madame Isabelle Jégouzo, nommée directrice de l’agence par décret du 26 juillet 2023.

Instructif, ce rapport est l’occasion de faire une photographie du travail de prévention réalisé par l’agence, et surtout de son activité de contrôles.

Une hausse quantitative des infractions à la probité

L’ensemble des moyens de lutte anticorruption trouve sa légitimité dans le nombre d’infractions à la probité qui ne cesse d’augmenter. Les condamnations à ce titre, sont au nombre de 502 en 2022, dont 42% pour des faits de corruption, et sont en augmentation de 11,3% par rapport à l’année précédente.

Cette hausse quantitative du nombre de sanctions peut s’expliquer par différentes raisons :

  • Premièrement, une plus grande sensibilisation des Français à ce risque de corruption qui est illustrée par différentes enquêtes de perception de la corruption qui montrent une forte réprobation de la part des répondants à ces atteintes à la probité,
  • Deuxièmement, une hausse du nombre de signalements auprès de l’AFA. Cette dernière a ainsi reçu 435 signalements, en progression de 40% par rapport à l’année précédente. Surtout, l’AFA note des signalements de plus en plus étayés, considérant ainsi que 62% des signalements reçus justifiaient d’être exploités, donnant lieu par la suite à 26 transmissions aux Procureurs de la République.

Le nombre de nouveaux contrôles en forte baisse

L’intérêt principal du rapport, pour les sociétés tenues de mettre en place et d’actualiser régulièrement un programme anticorruption en application de l’article 17 de la loi Sapin II, ressort des conclusions relatives à l’activité de contrôles menés par l’AFA :     

  • Ainsi, 37 nouveaux contrôles ont été initiés en 2023, dont 22 concernant des entreprises. Parmi ces 22 entreprises, 12 contrôles étaient relatifs à l'établissement de CJIP ou à leur application.

Toutefois, sur les 10 contrôles qui portaient sur la conformité du programme anticorruption mis en œuvre par des entreprises :

  • Seuls 2 cas sont des contrôles initiaux sur de nouvelles entités, contre 12 en 2022 ;
  • 8 cas sont des contrôles dits « de suivi » à la suite de contrôles opérés en 2018, 2019 et 2020, contre 6 dossiers de suivi en 2022.

Le nombre de contrôles est donc en forte baisse. Cela peut s’expliquer par la vacance de direction à l’AFA pendant quatre mois, à la suite de la fin du mandat du précédent directeur, et peut-être surtout, par la nature des contrôles. La revue par l’agence des pièces, outils et procédures de prévention de l’entreprise concernée et une compréhension des processus de l’entreprise afin d’aller au-delà d’un contrôle « simplement documentaire », s’étale sur plusieurs mois, voire années et se déroulent souvent en deux temps : (i) l’établissement d’un pré-rapport ouvrant une phrase de dialogue et de correction de l’opérateur et (ii) puis l’envoi du rapport final.

  • Le rapport annuel est par ailleurs éclairant sur les acteurs les plus exposés, puisqu’entre 2017 et 2023, les principaux secteurs contrôlés étaient :
    • L’industrie manufacturière (légère, lourde ou de pointe), notamment aéronautique, environnement et automobile (39%),
    • La construction (14%),
    • Le secteur financier et l’assurance (13%),
    • Le transport et l’entreposage (11%),
    • L’information et la communication (11%).

Même si les contrôles d’hier ne présagent pas ceux de demain, les entreprises opérant dans ces secteurs pourront être inspirées de tirer les enseignements des premières enquêtes de l’AFA et améliorer ainsi leur conformité en matière de prévention des risques de corruption.

  • A ce titre, l’AFA rappelle qu’entre 2017 et 2023, elle a en priorité contrôlé :
    • Les entreprises particulièrement exposées au risque de corruption d'agent public, du fait de leur activité internationale ou de leurs interactions avec les acteurs publics (marchés publics notamment),
    • Les entreprises susceptibles d'être exposées à des risques de poursuites extraterritoriales.

À nouveau, les entreprises répondant à ces critères peuvent avoir intérêt à renforcer leur programme ou du moins à l’auto-évaluer, afin de l’actualiser et de s’assurer de son effectivité.

  • Si les récents contrôles ont permis de constater une amélioration des dispositifs anticorruption mis en place par les entreprises et les acteurs publics depuis 2018, l’AFA a relevé qu’il existait quasi systématiquement des manquements à la réglementation lors des contrôles initiaux quant à :
    • L’évaluation interne du dispositif dans 95% des cas,
    • L’évaluation des tiers dans 88% des cas,
    • Les contrôles comptables dans 86% des cas,
    • La cartographie des risques dans 82% des cas,
    • La formation dans 63% des cas,
    • Le code de conduite dans 51% des cas,
    • L’alerte professionnelle dans 21% des cas,
    • Le régime disciplinaire dans 19% des cas.

Ces conclusions confirment, selon notre expérience, les difficultés que les opérateurs économiques rencontrent en pratique dans le déploiement du programme anticorruption. Nous constatons, notamment dans certaines entreprises internationales, que le programme de conformité est parfois conçu pour prévenir de nombreux risques (blanchiment, pratiques anticoncurrentielles, sanctions internationales, …). Lorsque c’est le cas, l’analyse de l’AFA peut aboutir, au moins dans sa phase préalable, à un constat de non-conformité, non pas du fait de l’absence totale d’un dispositif mais parce que ce dispositif n’a pas été établi pour la seule prévention des risques de corruption. Il est dès lors important d’identifier les dispositifs de prévention existants et de veiller à leur évolution pour qu’ils intègrent effectivement et explicitement la prévention des risques de corruption sur la base d’une cartographie actualisée des risques. 

  • Il est par ailleurs à noter qu’aucune décision de la commission des sanctions n’a pas été rendue en 2023, tout comme en 2022, pouvant illustrer une priorité donnée à la prévention plutôt qu’à la répression. Sept ans, l’âge de raison ?

En effet, il convient de souligner dans le rapport une mise en avant du travail de prévention et de sensibilisation de l’AFA, notamment des formations et des ateliers, ainsi que des publications de guides, études ou encore de recueils de fiches pratiques (notamment concernant les enquêtes internes, l’évaluation de l’intégrité des tiers, le risque géographique…). L’AFA se présente ainsi comme un acteur accompagnant les entreprises à lutte contre la corruption plutôt que comme une agence de sanctions.

Le rapport d'activité 2023 de l'AFA, ainsi que les précédents, sont disponibles sur le site de l’AFA : RAPPORTS | Agence française anticorruption (agence-francaise-anticorruption.gouv.fr)

Thierry Titone, Matthieu Dary, et Thibaut Brenot, avocats chez De Gaulle Fleurance


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