Carine Dupeyron et Kami Haeri, avocats associés chez August & Debouzy, analysent l'article 145 du code de procédure civile, lequel participe d'un dispositif efficace pour l'obtention des preuves préalablement à toute instance.
La procédure civile française accorde à l’établissement des faits par les parties elles-mêmes une place capitale, manifestée dès l’article 6 du Code de procédure civile (CPC) qui dispose qu’ « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder ».
Toutefois, équilibrant voire allégeant la charge de la preuve qui revient à chaque partie, en l’absence d’instrument comparable à la discovery américaine ou encore à la disclosure anglaise, le législateur a prévu un dispositif très efficace pour l’obtention des preuves préalablement à toute instance, au texte de l’article 145 du Code de procédure civile .
Cet article dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé ».
Seront successivement examinés dans cet article les circonstances nécessaires à la mesure d’instruction (1.), les obstacles à anticiper (2.) et le déroulement de la mesure in futurum (3.), avant une présentation des éventuelles suites judiciaires de la mesure (4.) et des solutions pratiques permettant de l’anticiper (5.).
Carine Dupeyron et Kami Haeri, avocats associés chez August & Debouzy, analysent l'article 145 du code de procédure civile, lequel participe d'un dispositif efficace pour l'obtention des preuves préalablement à toute instance.
La procédure civile française accorde à l’établissement des faits par les parties elles-mêmes une place capitale, manifestée dès l’article 6 du Code de procédure civile (CPC) qui dispose qu’ « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder ».
Toutefois, équilibrant voire allégeant la charge de la preuve qui revient à chaque partie, en l’absence d’instrument comparable à la discovery américaine ou encore à la disclosure anglaise, le législateur a prévu un dispositif très efficace pour l’obtention des preuves préalablement à toute instance, au texte de l’article 145 du Code de procédure civile .
Cet article dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé ».
Seront successivement examinés dans cet article les circonstances nécessaires à la mesure d’instruction (1.), les obstacles à anticiper (2.) et le déroulement de la mesure in futurum (3.), avant une présentation des éventuelles suites judiciaires de la mesure (4.) et des solutions pratiques permettant de l’anticiper (5.).
1. Quand et comment solliciter une mesure d’instruction ?
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Quand et comment solliciter une mesure d’instruction ?
Destinée à recueillir des preuves en vue d’une future action en justice, la mesure d’instruction de l’article 145 du CPC n’est accordée par les juridictions qu’en l’absence de procédure au fond. Si un juge est déjà saisi du fond, c’est en effet à lui qu’il appartient de se prononcer sur d’éventuelles demandes incidentes relatives à des pièces ou des mesures d’instruction. Cette première condition de recevabilité est régulièrement rappelée par la Cour de cassation1, qui précise également que c’est au jour de la saisine initiale du juge que cette condition doit être examinée2.
La mesure d’instruction de l’article 145 du CPC repose par ailleurs sur l’existence d’un « motif légitime », qui porte le plus souvent sur l’existence d’un litige potentiel dont l’objet et le fondement doivent être suffisamment définis3 et qui ne doit pas apparaître « manifestement voué à l’échec »4. Face au risque que la mesure ne conduise à un pouvoir général d’investigation, les juges ont fixé certaines limites en imposant notamment qu’elle soit circonscrite géographiquement et matériellement5.
Doit-on justifier d’une urgence dans la collecte des preuves ? Depuis un arrêt du 15 janvier 2009, la Cour de cassation a abandonné cette condition6 et cette solution ne fait désormais plus débat.
Quant à la rédaction des actes eux-mêmes, le dispositif de la requête et le projet d’ordonnance doivent faire l’objet de soins méticuleux : le ou les lieux de l’intervention sollicitée doivent notamment être précisés, le requérant pouvant souhaiter agir dans plusieurs lieux de façon simultanée. Le conseil doit également veiller à préciser les méthodes et moyens permettant d’assurer une meilleure efficacité de la mission : présence éventuelle d’un expert informatique, d’un expert-comptable, d’un serrurier ou encore de la force publique, référence aux personnes concernées, sélection des mots-clés pertinents dans le cadre de saisie d’éléments de preuve sur des supports informatiques. Ces points sont essentiels pour convaincre le magistrat que la mesure est proportionnée et poursuit bien le motif légitime précité.
Sur le plan procédural enfin, la mesure d’instruction in futurum présente une alternative laissée au choix du demandeur : la voie du référé et celle de la requête. La première est rarement usitée, car elle est en pratique inconciliable avec les objectifs d’effet de surprise et de conservation des preuves, si bien que le recours à une procédure sur requête constitue l’option privilégiée des demandeurs.
Pour autant, il s’agit là d’une procédure dérogatoire à la voie du référé7 et les juridictions sont toujours très soucieuses d’obtenir une justification précise de la nécessité de contrevenir au principe du contradictoire8. A noter à cet égard que la Cour d’appel de Paris semble considérer que le simple fait que les preuves recherchées soient sur support informatique, et donc aisément escamotables, justifie le risque de disparition des preuves et donc la dérogation au respect du principe du contradictoire9.
2. Les obstacles à appréhender dans la rédaction d’une mesure d’instruction
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Les obstacles à appréhender dans la rédaction d’une mesure d’instruction
Particulièrement utilisée dans des affaires de concurrence déloyale, la mesure d’instruction in futurum pourrait se heurter à plusieurs obstacles que constituent le secret des affaires, le respect de la vie privée du salarié ou encore l’interférence avec la procédure de saisie-contrefaçon. Toutefois, la jurisprudence a peu à peu écarté ces difficultés éventuelles.
Concernant le secret des affaires, il ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du CPC, dès lors que le juge constate que la mesure qu’il ordonne procède d’un motif légitime et est nécessaire à la protection des droits de la partie qui l’a sollicitée10. Au demeurant, la mise sous séquestre des éléments saisis chez l’huissier instrumentaire de la mesure, qui est quasiment automatique dans les juridictions d’Ile-de-France, constitue une protection perçue comme suffisante du secret des affaires.
La problématique du respect de la vie privée du salarié concerne avant tout les fichiers et dossiers identifiés comme « personnels » par le salarié. A la différence des documents non strictement identifiés comme personnels11, ils ne bénéficient pas de la présomption de professionnalité et ne sont donc pas librement accessibles par l’employeur. La Cour de cassation a néanmoins refusé d’y voir un obstacle de principe à l’exécution de la mesure in futurum12. La protection accordée désormais est que le salarié dont les correspondances et fichiers personnels sont examinés doit être présent pendant l’exécution de la mesure ou doit avoir été invité à y participer13.
Enfin, l’article 145 du CPC ne peut pas être utilisé dans les domaines réservés de la saisie-contrefaçon, notamment prévue à l’article L.332-1 du Code de la propriété intellectuelle pour les droits d’auteur. La Cour de cassation a ainsi édicté le principe de nullité des mesures d’instruction qui constitueraient des opérations de « saisie-contrefaçon déguisée »14. Une solution pratique permettant de contourner cet obstacle consiste à viser les deux fondements légaux et définir distinctement les faits dans la requête15.
Toutefois, la loi n°2014-315 du 11 mars 2014 a récemment apporté une incertitude sur le sort de cette jurisprudence en introduisant un nouvel article L.332-1-1 dans le Code de la propriété intellectuelle qui autorise désormais le juge à ordonner « toutes les mesures d’instruction légalement admissibles » et donc pourrait suffire à solliciter les mêmes mesures que celles couvertes par l’article 145 sans avoir à le citer.
3. L’exécution de la mesure d’instruction
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L’exécution de la mesure d’instruction
L’avocat n’étant pas présent lors de la mesure d’instruction, la préparation en amont de l’équipe, composée des huissiers et experts, qui intervient lors de l’exécution de la mesure, est essentielle.
Celle-ci débute par la signification de la requête et de l’ordonnance par l’huissier. Si la mesure est effectuée chez un tiers, la requête et l’ordonnance doivent également être notifiées au futur adversaire dans le même temps16.
Si le recours à la force publique permet de prévenir toute tentative d’opposition du défendeur, il s’avère cependant rare que le défendeur refuse de déférer à l’ordonnance. L’opération se poursuit généralement par l’interrogation des personnes directement concernées, au premier rang desquels le responsable informatique, afin de faciliter l’exécution de la mesure d’instruction. Il est enfin procédé aux constatations matérielles fixées par l’ordonnance, ainsi qu’aux copies des documents et à la sauvegarde informatique des fichiers et correspondances définis par les mots-clés.
A l’issue de l’exécution de la mesure 145 du CPC, l’huissier produit un procès-verbal recensant les diligences entreprises et les constatations réalisées, auquel il annexe bien souvent le rapport de l’expert informatique sollicité pour les recherches électroniques.
4. L’après « 145 » : l’action en rétractation et l’ouverture du séquestre
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L’après « 145 » : l’action en rétractation et l’ouverture du séquestre
La voie procédurale à la disposition du défendeur à une mesure d’instruction in futurum consiste en l’assignation en référé-rétractation sur le fondement de l’article 497 du CPC, qui permet de reconstituer le débat contradictoire devant le juge ayant ordonné la mesure.
Les griefs les plus souvent invoqués sont l’absence de motif légitime ou le motif imprécis, l’absence de justification de la dérogation au principe du contradictoire, le caractère trop général de la mesure ou encore l’atteinte au secret des affaires. Pour autant, l’action en rétractation ne peut porter que sur l’obtention de l’ordonnance et non sur les conditions de son exécution, domaine réservé au juge du fond éventuellement saisi17. Par ailleurs, dans une jurisprudence récente particulièrement étonnante, la Cour de cassation parait tenir pour acquis que le comportement déloyal de la requérante dans sa présentation des faits, dans un cadre ex parte, ne justifierait pas la rétractation, à lui seul, dès lors que le motif légitime demeure18.
L’action en rétractation n’est pas inscrite dans un délai spécifique et peut donc être initiée à tout moment, y compris postérieurement à la saisine d’un juge du fond grâce aux éléments de preuves collectés. Si l’ordonnance venait ainsi à être rétractée, le demandeur à l’instance au fond se verrait alors dans l’impossibilité de produire ces éléments au soutien de son action.
L’ordonnance octroyant ou refusant la rétractation est susceptible d’appel dans un délai de 15 jours et l’appel est examiné en circuit court, d’une durée de 2 à 3 mois.
Dans le cas où les éléments saisis ont fait l’objet d’un séquestre, le requérant doit assigner son adversaire en référé en ouverture de séquestre. En pratique, devant le Tribunal de commerce de Paris, le magistrat qui ordonne la mesure de l’article 145 du CPC fixe immédiatement l’audience de référé au cours de laquelle sera débattue l’ouverture du séquestre. En cas d’assignation en référé-rétractation, l’audience d’ouverture de séquestre est suspendue.
La procédure d’ouverture de séquestre s’étale sur 2 à 5 mois, ponctués par une ou plusieurs audiences d’ouverture de séquestre.
5. Se préparer à l’exécution d’une mesure d’instruction : les bons réflexes
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Se préparer à l’exécution d’une mesure d’instruction : les bons réflexes
La visite à l’improviste d’un huissier missionné pour l’exécution d’une mesure d’instruction in futurum dans les locaux d’une entreprise suscite généralement de vives inquiétudes. Pourtant, quelques solutions simples d’organisation interne permettent de se préparer utilement à cette éventualité.
Il est en premier lieu vivement recommandé que les hôtesses d’accueil aient le nom d’une personne responsable à prévenir lorsqu’un huissier se présente à l’accueil de l’entreprise, et ce, quelle que soit la personne sollicitée par l’huissier de justice. Ce responsable aura pour mission d’assister à l’intégralité de la mesure d’instruction.
Une fois la signification de l’ordonnance communiquée et dans l’attente de la personne responsable, les hôtesses doivent impérativement faire patienter l’huissier et son équipe dans une salle de réunion vide : la mesure 145 du CPC n’est pas une mesure coercitive et l’huissier doit en principe attendre la décision de se soumettre à l’ordonnance.
De son côté, le responsable peut utilement prévenir l’avocat de l’entreprise pour qu’il assiste à l’exécution de la mesure. Le responsable, idéalement assisté de l’avocat, prend ensuite connaissance de l’ordonnance et vérifie la présence d’une mesure de séquestre. Sont enfin évoquées avec l’huissier et l’expert, en salle de réunion, les modalités d’exécution de la mission.
Pendant l’exécution de la mesure, l’huissier notera l’essentiel des échanges dans son procès-verbal. Les questions-clés comprennent notamment l’accès au système informatique, l’accès aux personnes mentionnées dans l’ordonnance et la conservation du double des documents et fichiers saisis par l’huissier. L’attitude à adopter lorsque des questions sont posées doit être coopérative et cordiale, tout en faisant preuve de retenue et en évitant de donner des informations non sollicitées.
Enfin, il convient de rappeler qu’une stratégie d’opposition violente à la mesure d’instruction pourrait conduire à la rédaction d’un procès-verbal constatant l’absence de coopération et au recours à la force publique. A cet égard, l’article 443-6 du Code pénal réprime, au titre de la rébellion, toute résistance violente à la mission de l’huissier, même si le simple refus de se soumettre ne constitue pas en soi un délit.
Carine Dupeyron et Kami Haeri, associés, August & Debouzy
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NOTES
1 Cass. Civ. 2ème, 8 septembre 2011, n°10-19800 et Cass. Soc., 16 juin 2010, n°09-40471
2 Cass. Civ. 2ème, 5 juin 2014, n°13-19967
3 Cass. Civ. 2ème, 20 mars 2014, n°13-11135 et Cass. Civ. 2ème, 6 novembre 2008, n°07-17398
4 CA Lyon, 29 avril 2008, n°07/01132
5 Cass. Civ. 2ème, 14 novembre 2013, n°12-26930
6 Cass. Civ. 2ème, 15 janvier 2009, n°08-10771
7 Cass. Civ. 2ème, 13 mai 1987, n°86-11098
8 Cass. Civ. 2ème, 7 mai 2008, n°07-18012
9 CA Paris, 20 juin 2012, n°12/06018
10 Cass. Civ. 2ème, 8 février 2006, n°05-14198 et CA Reims, 14 février 2012, n°11/01851
11 Cass. Soc. 10 mai 2012, n°11-13884
12 Cass. Civ. 1ère, 28 novembre 2012, n°11-20531
13 Cass. Soc. 23 mai 2012, n°10-23521
14 Cass. Civ. 1ère, 28 novembre 2012, n°11-20531
15 TGI Paris, Ord. 8 novembre 2011, n°11/14789 confirmé par CA Paris, 28 mars 2013, n°12/03035
16 CA Paris, 1er juin 2011, n°10/23460
17 Cass. Civ. 2ème, 9 avril 2009, n°08-12503
18 Cass. Civ. 2ème, 20 mars 2014, n°13-11135
A propos des auteurs
Kami Haeri, avocat associé, August & Debouzy
Kami Haeri, avocat au barreau de Paris depuis 1997, a rejoint August & Debouzy en 2000. Il dirige aujourd'hui le groupe Contentieux, Arbitrage et Pénal des Affaires. Il conseille une clientèle internationale et française et intervient en contentieux des affaires (tribunaux judiciaires et arbitrage) sur des problématiques relatives à la responsabilité contractuelle, les litiges d'actionnaires, la responsabilité du fait des produits, le droit pénal des affaires. Il a développé une expertise particulière en matière de conformité internationale et assiste régulièrement des entreprises dans le cadre d'enquêtes menées par des régulateurs français et étrangers.
Carine Dupeyron, avocat associé, August & Debouzy
Avocat aux barreaux de Paris et de New York, Carine Dupeyron a rejoint August & Debouzy en 2010. Elle conseille des entreprises françaises et étrangères ainsi que des entités publiques dans les domaines du contentieux commercial et de l’arbitrage (interne et international) et intervient plus particulièrement en matière de transactions transfrontalières complexes relatives à des fusions et acquisitions ou entre actionnaires, dans les secteurs des télécoms, de la défense, de l’énergie et de l’investissement.