La Loi sur l’économie Sociale et Solidaire (ESS), oblige depuis peu les PME de moins de 250 salariés et qui souhaitent vendre leur entreprise, à en informer les salariés au plus tard deux mois avant toute transaction. Dans les faits, cette loi présente un double intérêt : permettre aux salariés de racheter, s’ils le souhaitent, l’entreprise et sauvegarder des emplois. Mais dans la pratique ? Que constate-t-on sur le terrain ? Quelles sont les potentielles tensions humaines liées à un tel procédé ?
Dans la pratique, peu d’opérations de rachat représentent une «découverte» pour les salariés. Le CHSCT/CE, lorsqu’il existe, est légalement informé de l’opération suffisamment en amont pour exercer ses prérogatives en la matière. Cependant nous constatons, qu’à partir de ce moment-là, en «effet de halo», une information diffuse et officieuse se développe très rapidement autour du futur de l’entreprise. Cette période devient alors fortement anxiogène pour le corps social (quelle est la stratégie de l’entreprise ? Y aura t-il une vente partielle des actifs ? Quelle est l’intention sous-jacente : faire évoluer l’objet social et condamner certaines parties de l’activité ?) et une période de doute et de questionnement s’installe. Le risque de désengagement, voire, de démissions de personnes clefs émerge…
Dans la pratique, nous n’observons pas non plus de lien entre le fait d’être informés en amont et le déclenchement d’intentions entrepreneuriales de la part des salariés. Les «contrats psychologiques» sous-jacents à chacune des deux postures sont très différents, notamment sur la question de la prise de risque et de la capacité à avoir une vision stratégique qui puisse être déclinée opérationnellement. Enfin, le présupposé sur lequel repose la loi ESS, à savoir qu’une reprise par les salariés serait de nature à préserver des emplois est, de notre point de vue d’observateur sur le terrain, loin d’être confirmé.
Les situations que nous avons eu à analyser, montrent au contraire que les salariés qui se sont lancés dans cette aventure entrepreneuriale, ont fait évoluer rapidement l’organisation en se séparant très vite de collaborateurs qu’ils jugeaient peu aptes à relever les défis à venir. En effet, les repreneurs connaissent "de l’intérieur" leur entreprise, ils se sont faits depuis longtemps une idée de ses forces et faiblesses, notamment sur le plan humain et ils veulent se donner rapidement la capacité de réussir ce qui passe très logiquement par la capacité d’organiser humainement l’entreprise conformément à leurs représentations.
Contrairement à l’intérêt de départ, c’est donc au contraire, le fait de ne pas connaître l’entreprise de l’intérieur, qui permet dans un premier temps de sauvegarder des emplois. Notre constat final est que les repreneurs salariés n’hésitent pas à délocaliser certaines parties de la production si cela s’avère stratégique à leurs yeux. Autre perspective de «la réalité business» lorsqu’il s’agit de son argent, de sa propre mise de fonds. Changement de comportement et de vision de ses anciens collègues, difficulté à trouver sa place dans une nouvelle hiérarchie etc. sont autant de risques de faire émerger les démissions (voudriez-vous devenir le nouveau salarié de votre ancien collègue ?).
Les accompagner, avant et pendant les premiers mois de la reprise, s'avère souvent aussi essentiel que la recapitalisation financière, et ceci pour des raisons d'efficacité. Pour un repreneur, s'intéresser aux conditions humaines sera à terme, un réflexe "business".
Bénédicte Haubold, Artélie Conseil