Le droit du travail est aujourd’hui au centre de toutes les attentions, au cœur de toutes les discussions, mais pas en des termes toujours flatteurs, et à ce titre, le pacte de responsabilité n'est pas en reste. Haïba Ouaissi, Avocat et Maître de conférences en droit social nous explique comment.
Le droit du travail est aujourd’hui au centre de toutes les attentions, au cœur de toutes les discussions, mais pas en des termes toujours flatteurs : inflation législative, insécurité juridique, complexités inutiles, instabilité, ineffectivité, rigidités, règles jurisprudentielles parfois peu en phase avec les réalités économiques, etc. Tel est le constat implacable qui est fait d’un modèle que l’on dit à bout de souffle. Le pacte de responsabilité n’est pas en reste.
Ce dernier suscite à la fois espoir des entreprises de renouer avec la compétitivité, et crainte des salariés de voir salaires et sécurité de leurs emplois négligés. Décrié par-ci, plébiscité par là, il cristallise à lui-seul les antagonismes auxquels nous nous sommes malheureusement habitués. La voie empruntée par le gouvernement butte notamment sur la question du salaire, syndicats et employeurs se livrant une bataille serrée. Le coût du travail serait trop élevé en France et constituerait un frein à l'embauche. Si cela semble évident pour certains, baisser le coût du travail, est-ce réellement une bonne et juste idée ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le coût horaire de la main d'œuvre en France (36,40€) est le plus élevé de l'Union Européenne (coût moyen 29,06€), et bien au-dessus du coût moyen aux Etats-Unis (27,80€).
Au-delà, et c’est un point de divergence profonde entre tenants du statu quo et promoteurs d’une réforme d’envergure, ce n'est pas le coût du travail stricto sensu qui importe le plus mais la productivité globale du travail. Dans l'industrie en général, l'heure de travail (charges comprises) est en France plus élevée qu’en Allemagne ou dans les pays latins, ces derniers ayant fait le choix de gagner en compétitivité au prix de l'austérité salariale. Pourtant, de tous ces pays, seule l'Allemagne continue à développer un solde commercial positif et des taux de croissance positifs. Est-ce dû à la seule maîtrise des coûts salariaux ? Ne serait-ce plutôt lié à la dynamique de leurs exportations, notamment vis-à-vis des pays émergents (12% du PIB, 4% pour la France), ou encore à la part consacrée à la recherche-développement qui ne cesse d'augmenter en Allemagne (+1,9%) quand elle ne cesse de baisser en France (- 1.4%) ?
La compétitivité par les coûts a-t-elle alors encore un sens ? En réalité, après le choc de la flexibilité pour sécuriser l'emploi, il faut un véritable choc de compétitivité pour redonner des marges d'autofinancement aux entreprises. L'enjeu, c'est de ne pas réduire le coût du travail au sens du salaire rémunéré mais d'alléger le coût salarial des charges sociales qui servent à financer la protection de l'ensemble de la population et non pas des seuls travailleurs.
Or si l'on veut conserver notre modèle social, il faut engager un processus de transfert de ces charges vers une autre fiscalité : la TVA ou la CSG ou un mixte des deux. La première porte en elle un risque inflationniste et son impact est d'autant plus fort que les revenus sont faibles. Pourtant, l'Allemagne est la preuve vivante de l'efficacité de la TVA sociale. La seconde paraît plus équitable car elle touche tous les revenus mais l'impact n'est ni indolore sur les petits salaires ou les retraites, ni négligeable sur le niveau de consommation qui en découle. Un mixte des deux semble le plus approprié, encore faut-il trouver le juste équilibre entre les deux et la bonne temporalité de sa mise en œuvre.
En effet, le temps vu sous l'angle des résultats n'est pas le même. La baisse de charges pour le politique doit se traduire rapidement par de la création d'emplois. Pour l'entreprise, elle doit se traduire par une capacité à réinvestir pour l'avenir en gérant un quotidien qui impose des réformes structurelles à l'impact social certain, et des salariés qui entendent conserver leur emploi sans perte de pouvoir d'achat. Quelles que soient les attentes, le défi est le même : retrouver une compétitivité qui recrée la croissance par la demande, source d'emplois et de meilleurs salaires.
Finalement, si la réduction du coût du travail est un ballon d'oxygène donné aux entreprises, elle ne peut être une politique permanente. Réduire pour réduire ne sert à rien, entreprises et salariés se retrouvant quelques temps plus tard confrontés aux mêmes problèmes de perte de marchés et d'accroissement du chômage. Réduire sans un objectif prédéfini qui accorde les intérêts de chacun (employeurs et salariés) dans le cadre d'un calendrier raisonnable est déjà un échec attendu.
Ovationné lors de l’Université d’été du Medef il y a quelques jours, le Premier ministre Manuel Valls se veut désormais ouvertement à l’écoute des entreprises pour créer l’emploi de demain. Des paroles, il lui faut désormais passer aux actes.
Haïba Ouaissi est Maître de conférences en droit social, avocat associé du Cabinet Cassius Partners et auteur de l'ouvrage intitulé « Le travail de demain : rénovation ou révolution ? », publié aux éditions LGDJ, juillet 2014.