La Conférence Régionale des Barreaux d'Ile-de-France s'inquiète de la dégradation alarmante des conditions de la justice familiale dans de trop nombreuses juridictions du département

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La Conférence Régionale des Barreaux d’Île-de-France réunie en Assemblée Générale le 11 mai 2022 alerte les Pouvoirs Publics sur la dégradation sans précédent des conditions de la justice familiale dans la plupart des juridictions d’Île-de-France, hors Paris. Alors que les réformes de procédures s’enchaînent depuis plusieurs mois au motif de « simplifier l’accès à la justice » et d’ « accélérer le traitement judiciaire », les citoyens d’Île-de-France connaissent des délais intolérables en réponse à leurs demandes familiales.

L’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire dispose :

« L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice.

Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

Le déni de Justice ne se résume pas à un refus de statuer mais s'entend plus largement comme tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu. Or ce devoir comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable (TGI Paris 6 juillet 1994, JCP 1994 I.3805, n°2 obs Cadier ; TGI PARIS 22 septembre 1999 jurisdata 199-116523).

L’article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme stipule :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un Tribunal Indépendant et impartial. »

C’est ainsi que plusieurs pays ont déjà été condamnés par la Cour de Justice Européenne sur des procédures en matière d’état et de capacité des personnes appelant à une diligence spéciale (Bock c. Allemagne, § 49 ; Laino c. Italie [GC], § 18 ; Mikulić c. Croatie, § 44), ou en matière de garde d’enfants qui doivent être traitées avec célérité (Hokkanen c. Finlande, § 72 ; Niederböster c. Allemagne, § 39), a fortiori, les affaires dans lesquelles le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre un parent et son enfant (Tsikakis c. Allemagne, §§ 64 et 68).

En 2018, les avocats de Seine-Saint-Denis ont dû poursuivre l’Etat en raison de délais anormalement longs de traitement des demandes familiales devant leur juridiction et ont obtenu 25 condamnations de l’Etat pour déni de justice.

Aujourd’hui en moyenne :

- Pour obtenir une décision fixant la pension alimentaire pour l’entretien ou le droit de visite pour un enfant, il faut attendre, à compter de la demande :
o Créteil : 11 à 12 mois
o Nanterre : 8 à 12 mois
o Versailles : 8 à 12 mois
o Pontoise : 7 à 12 mois
o Evry : 9 mois
o Bobigny : 6 mois
o Meaux : 6 mois

- Pour obtenir une première audience fixant les mesures provisoires - nouveau divorce (attribution du domicile conjugal, fixation des pensions alimentaires, notamment), il faut attendre, à compter de la demande :
o Nanterre: 8 mois
o Bobigny : 7 mois
o Créteil : 6 mois
o Evry : 4 à 5 mois
o Versailles : 4 mois
o Pontoise : 3 à 4 mois
o Meaux : 3 à 4 mois

- Pour obtenir un jugement de divorce, il faut attendre, à compter de la clôture du dossier (soit après plusieurs mois d’instruction) :
o Nanterre : 12 à 15 mois
o Meaux : 10 mois
o Evry : 7 mois
o Pontoise : 3 à 8 mois
o Versailles : 1 à 6 mois
o Bobigny : 3 mois
o Créteil : 2 à 3 mois


Il est devenu quasiment impossible d’obtenir une date en urgence pour modifier une pension alimentaire en cas de perte d’emploi, pour examiner la résidence d’un enfant en cas de déménagement d’un parent, pour obtenir une autorisation d’inscription scolaire ou l’établissement d’un passeport pour un enfant mineur.

Cette situation est essentiellement la conséquence d’un nombre insuffisant de magistrats et de greffiers affectés au service des affaires familiales de ces juridictions, dont les effectifs connaissent un turn-over incessant, révélateur du mal-être des personnels judiciaires : étant rappelé que les affaires familiales occupent plus de 70 % de l’activité d’un Tribunal Judiciaire.

D’autant que la catastrophe continue en cause d’appel alors que la réforme MAGENDIE, imposant un délai de 3 mois à chacune des parties pour mettre en ordre ses demandes, n’a jamais conduit à obtenir une décision dans un délai raisonnable à l’issue de cette période de 6 mois : actuellement, il fautentre 18 mois et 2 ans pour obtenir une décision familiale devant la Cour  d’Appel de Paris, laissant les justiciables tout simplement en plan.

Cette dégradation des délais est aggravée par la succession des réformes incessantes et insuffisamment préparées qui crée des adaptations impératives alourdissant la charge de travail, et encore lorsque des adaptations sont possibles, ce qui n’est pas toujours acquis.

Ces délais conduisent à la dégradation des situations quotidiennes de ces familles, laissées sans réponse judiciaire, avec des conséquences tant sur le plan économique, que sur la relation parents/enfants, parfois irréversibles.

Il s’impose un constat de faillite judiciaire, maltraitante pour de nombreuses familles, rejoignant en cela les signalements portés par les magistrats en décembre dernier reconnaissants qu’ils n’étaient plus en état de rendre la justice, faute de moyens matériels et humains suffisants.

La Conférence Régionale des Barreaux d’Île-de-France réclame avec fermeté l’affectation immédiate des effectifs nécessaires dans les Juridictions de la Région Île-de-France pour leur permettre de reprendre leur mission de rendre justice aux familles d’Île-de-France.

La Conférence Régionale des Barreaux d’Île-de-France appelle les personnels des juridictions d’Île-de-France à rejoindre les avocats pour une journée « JUSTICE POUR LES FAMILLES » le 21 Juin prochain où ils seront présents et mèneront différentes actions pour dénoncer les conditions inacceptables de la justice familiale, 1er contentieux des français.


Monsieur le Bâtonnier Frédéric CHAMPAGNE, Président de la Conférence Régionale des Barreaux d’Île-de-France
Madame le Bâtonnier Nathalie BAUDIN VERVAECKE, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Meaux
Madame le Bâtonnier Magali HANKE, Bâtonnière de l’Ordre des Avocats de Melun
Monsieur le Bâtonnier Frédéric CRUCHAUDET, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Chartres
Monsieur le Bâtonnier Marc MANDICAS, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Versailles
Monsieur le Bâtonnier Sébastien RAYNAL, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Val d’Oise
Monsieur le Bâtonnier Amine GHENIM, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Seine-Saint-Denis
Monsieur le Bâtonnier Edouard BILLAUX, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Val de Marne
Monsieur le Bâtonnier Laurent CARUSO, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de l’Essonne

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