Interview Marianne Lagrue et Gabriel Benesty (SAF), Candidats au Conseil de l’Ordre de Paris

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En partenariat avec Le Monde du Droit, le Club AvoTech, premier « do tank » des avocats créateurs de legaltech en France, a décidé d’interpeller les candidats au Conseil de l’Ordre de Paris, sur leur vision de l’avocat de demain. Aujourd’hui, Marianne Lagrue et Gabriel Benesty (SAF).

Est-ce que vous avez une vision particulière de l’Avocat de demain, « l’Avocat du futur » ? Qu’est-ce que vous inspire cette formule ?

GB : Je crois que l’Avocat de demain est comme l’Avocat d’aujourd’hui, c’est un Avocat de la diversité. Il n’existe pas une manière unique d’exercer et demain d’autres modèles économiques vont apparaître. Il y a des outils adaptés pour certains et inadaptés pour d’autres. Il va y avoir nécessairement une diversité d’exercice ; tous ne vont pas avoir l’usage des legaltech ou de l’Intelligence Artificielle. En revanche, ce dont je suis certain, c’est que l’activité de conseil n’est et ne restera pas du monopole des Avocats. Il y a des outils qui sont développés pour fournir de l’aide, de l’assistance, du conseil aux justiciables. Or, si ce ne sont pas les Avocats qui maîtrisent ces outils-là, on sera totalement débordé et on va perdre sur une partie de la population. N’oublions pas la population de l’Aide Juridictionnelle, qui est une population économiquement faible et qui n’a pas toujours l’accès à la technologie. Je crois que sur cette population-là, l’outil des legaltech et la relation de l’Avocat sont très importantes. C’est pour ça que je suis très favorable aux legaltech des Avocats.

Alors, vous êtes pour une application extensive de l’article 111 du décret Macron ?

GB : Je suis pour une application de cet article dans le cadre de nos règles déontologiques. Ce n’est pas une guerre de tranchées, qui serait contreproductive pour le développement des legaltech d’Avocats. Ensuite, je souhaite des legaltech d’Avocats, car elles restent dans les obligations déontologiques, notamment sur la manière de pratiquer la publicité, de mettre en avant les Avocats et la mise en relation, comme Call A Lawyer par exemple. Je préfère discuter avec un Avocat qui est dirigeant d’une société de legaltech, plutôt qu’avec un non-Avocat. 

Quel est votre point de vue sur l’apport d’affaires rémunéré ?

GB : Nous sommes face à une difficulté qui n’est pas du ressort de l’article 111. Est-ce qu’il faut faire lever cette interdiction pour les legaltech ? Est-ce qu’il y a d’autres moyens d’avoir accès à un financement ? Parce qu’on est bien d’accord qu’il s’agit là d’une méthode de financement. Je pense qu’il faut chercher ailleurs.

Quelles idées pourriez-vous porter à l’Ordre pour aider sur ce point ?

GB : La question est de savoir si c’est une rémunération d’apport d’affaires ou simplement un partage d’honoraires entre Avocats. Ou est-ce qu’à partir du moment où la rémunération se fait sur une entreprise commerciale qui serait reconnue comme connexe, on peut considérer qu’on est dans un partage d’honoraires entre Avocats ? A partir du moment où ces legaltech d’Avocats sont déclarées auprès de l’Ordre, que les honoraires sont un partage d’honoraires entre Avocats, alors ça me parait correct, comme en matière de rédaction d’actes juridiques. 

Sauf que dans nos sociétés commerciales, tout le monde n’est pas avocat…

GB : Ca pose alors le problème de la différenciation des rémunérations et de la capacité de la perception des dividendes de manière différenciée entre les Avocats et les non-Avocats. Je n’y vois pas dans le principe un obstacle absolu mais je pense que ça nécessite réflexion, et que supprimer la règle de l’interdiction d’apport d’affaires, au motif des legaltech d’Avocats, me semblerait une erreur fondamentale.

Comment l’Ordre peut aider des initiatives d’Avocats entrepreneurs en prenant en compte ces difficultés de concurrence juste avec les legaltech tiers ?

GB : Je pense qu’on peut réfléchir à un plan d’urgence des legaltech, c'est-à-dire de considérer que nous sommes dans une situation où un nouveau modèle économique est en train de se créer. Et avoir un fonds qui est mis à disposition des Avocats pour développer et maîtriser cela, pourquoi pas ? On a aujourd’hui le fonds de soutien innovant qui est une dotation par dossier de 3.000 €, et qu’il faut peut-être compléter, améliorer. Est-ce qu’il faut aller sur un fonds de dotation comme celui que nous avons sur le pro bono pour valoriser le développement des legaltech ? Sauf qu’à la différence du pro bono, ce n’est pas pour récompenser une bonne action, mais pour favoriser un financement. Or, la question sur le financement, c’est le retour. Je suis d’accord si c’est une somme avancée, sur la base d’un dossier, prélevée sur les cotisations, mais avec remboursement, sur la base d’un plan d’affaires.

Avec un risque pour l’Ordre ?

GB : Bien sûr, mais que nous chercherons à maîtriser. A ce moment-là, nous aurons besoin d’avoir un comité scientifique qui sélectionne et vérifie les dossiers surtout sur leur apport pour la profession ou la création du nouveau modèle économique.

Est-ce que vous défendez l’idée d’un label des legaltech ?

GB : Pour moi, ce n’est pas un filtre par un label, mais la reconnaissance ou non de l’activité connexe ou accessoire. C’est ça en réalité la labellisation ; la reconnaissance de l’activité d’Avocat. A partir du moment où on qualifie l’activité de connexe, le projet doit exister. Labelliser, ça nécessite du travail, de la surveillance, du contrôle. Est-ce qu’il faut aller dans le contrôle véritable de l’activité ? Vous dirigez une association, je pense que ce peut être aussi son rôle de donner une valeur. C’est aussi l’idée d’un comité scientifique. Ne nous leurrons pas. Je ne vois pas mes Confrères avoir toutes les capacités techniques pour apprécier l’intérêt et la pertinence de toutes les nouvelles technologies.

Admettons vous veniez de prêter serment cette année, vous feriez quoi pour vous lancer ?

GB : Déjà, j’essaierais de trouver une véritable collaboration libérale qui permette justement de développer une clientèle ou une activité annexe ou connexe. Parce que la notion d’activité annexe, ça ne concerne pas que les patrons, ça doit aussi concerner les collaborateurs. Ensuite, je pense qu’il y a beaucoup de sujets où on a besoin de changer le modèle économique et qu’il faut interroger les Confrères spécialistes. Il existe beaucoup de domaines de spécialité où on a besoin de legaltech. Enfin, participer à des réseaux, venir au Barreau entrepreneurial, à l’Incubateur. 

Et pour trouver des clients ? Quelles seraient vos démarches ?

GB : Je suis surpris de la méconnaissance des possibilités qui existent en termes de communication et de publicité de la part de nos Confrères. C’est autorisé ! Et puis, il y a la formation. Je fais de la formation. Ça touche les Confrères.

Avez-vous une idée à partager pour conclure cet échange ?

GB : J’insiste sur la collaboration libérale ; je ne vois pas de développement ou de passage au changement de modèle économique sans un soutien de la profession, et de deux manières : par de véritables contrats de collaboration libérale qui permettent de développer une activité connexe, et un fonds d’avance remboursable pour aider en complément, une fois qu’on est véritablement Avocat.

Interview réalisée par Charlotte Hugon et Mathieu Davy, Avocats et membres fondateur d’AvoTech


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