Le Monde du Droit a interrogé Alain Bensoussan à l'occasion de la création du département "Droit des robots" au sein de son cabinet.
Pourquoi créer un département "Droit des robots" ?
Le développement des marchés de la robotique conduit à l'émergence d'un nouveau droit, celui de la robotique. Pour ne pas manquer ce nouveau tournant de l'histoire du droit, j'ai décidé de créer un département entièrement dédié au droit des robots. Le cadre juridique actuel n'est pas, en effet, suffisant pour prendre en compte la diversité de la créativité que vont permettre les robots. Or, si le droit s'adapte à la technologie, il a aussi un rôle déterminant dans le développement de la technologie : il peut être soit un frein, soit un accélérateur. En ce qui concerne l'informatique, il a ainsi été décisif dans l'écriture de son histoire et de son déploiement. Notre expertise, reconnue en technologies, s'explique, en grande partie, par notre capacité d'avocat "technologue" à innover et à poursuivre dans cette voie en créant ce nouveau département.
C'est justement votre démarche d'anticipation qui vous permet aujourd'hui d'être distingué par des classements prestigieux, comme Best Lawyers ?
En effet, pour la 3ème année consécutive, nous avons été distingués « Best Lawyer 2013 » dans la catégorie Technologies de l'Information.
Peut-on faire un parallèle avec la naissance du droit de l'informatique il y a 30 ans ?
Il y a trente ans, en effet, le développement industriel de l'informatique a suscité de nombreuses problématiques juridiques (contrats, responsabilité contractuelle, garantie contre les vices cachés, devoir de conseil, propriété des logiciels, pillage d'informations, données nominatives, etc.). A partir des années 80, les procès se sont multipliés autour des actions en contrefaçon, avec l'édition exponentielle des logiciels. La grande question était de savoir si le logiciel était protégé par le droit d'auteur ou par le droit des brevets, et qui, du salarié ou de l'employeur, était titulaire des droits d'auteur ou, à tout le moins, du droit d'exploitation. A l'époque, l'absence de textes adaptés rendait difficile la lutte contre la délinquance informatique. Il aura fallu attendre la loi du 3 juillet 1985 pour que les logiciels soient ajoutés à la liste des œuvres protégées par le droit d'auteur. Ainsi, après l'invention de l'informatique au XXe siècle — dont Internet n'est que le prolongement — la prochaine mutation technologique sera robotique, la « robolution », annoncée par Bruno Bonnel dans "Viva la robolution ! – Une nouvelle étape pour l'humanité" (JC Lattès, 2010). Tout comme il y a eu un droit de l'informatique, il est possible aujourd'hui d'anticiper un droit de la robotique.
Que recouvre le droit des robots ?
Il englobe toutes les technologies cognitives robotiques et cobotiques (systèmes de suppléance mécanique développée pour travailler avec l'homme) : de la mécatronique - discipline émergeante associant mécanique, électronique, informatique et automatique - aux systèmes embarqués, en passant par l'intelligence artificielle. En France comme en Europe, les cadres réglementaire et éthique sont encore assez flous et nettement insuffisants pour encadrer les activités robotiques. Aujourd'hui, la situation des robots - à mi-chemin entre l'intelligence artificielle et la machine - en fait des objets juridiques non identifiés, n'entrant dans aucun cadre légal existant. Doit-on accorder aux robots un statut juridique différent de celui de l'objet ? Deviendront-ils demain des sujets de droit ? A terme, les robots intelligents seront, en effet, amenés à répondre de leurs actes à mesure qu'ils acquerront de l'autonomie décisionnelle. La prise en compte de cette mutation fait émerger un droit spécifique, dont la première pierre est de leur créer un statut juridique adapté : une personnalité singulière et propre au robot résultant de ses interactions avec les humains. La naissance d'un droit de la robotique s'impose si l'on veut que les activités puissent se développer dans l'intérêt général.
Quels sont les secteurs d'activité concernés par le droit des robots ?
De très nombreux secteurs sont concernés : transport, industrie, logistique, agriculture, santé, loisir, défense, éducation, etc. Les technologies cognitives robotiques et cobotiques (ou machines intelligentes) sont déjà très répandues dans les secteurs du transport (ITS pour Intelligent Transport Services), principalement l'automobile, le ferroviaire et l'aéronautique qui embarquent de plus en plus d'instrumentations. Elles sont également aujourd'hui présentes dans le secteur des biens d'équipements industriels (les procédés de fabrication et les produits, depuis leur conception jusqu'à leur maintenance) et des biens de consommation grand public (électroménager, systèmes audio-vidéo faisant appel aux nouvelles technologies du numérique, domotique).
Propos recueillis par Arnaud DUMOURIER