Le Grenelle du Droit, événement phare de la communauté juridique, revient pour une 5ᵉ édition le mercredi 12 juin 2024 au Campus Port-Royal de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Organisé par l’AFJE et le Cercle Montesquieu, ce rendez-vous annuel a pour objectif de réunir les acteurs du droit afin de réfléchir ensemble aux grandes transitions sociétales, écologiques et technologiques. Cette année, le Grenelle met l'accent sur l'importance des synergies entre les différentes professions juridiques pour construire un avenir plus juste et responsable. À cette occasion, Jean-Philippe Gille, président de l'AFJE, et Nathalie Dubois, vice-présidente de l'AFJE, partagent leur vision et leurs attentes pour cette édition.
Pouvez-vous expliquer la raison d’être du Grenelle du Droit ?
Nathalie Dubois : C'est un événement majeur qui rassemble les magistrats, les avocats, les juristes d’entreprise, les notaires et les huissiers. C'est une occasion exceptionnelle de faire le point sur le développement de la filière du droit, de partager notamment les problématiques de formation et d’évolution des compétences. La particularité de cette édition est d’appréhender notre rôle dans la cité dans toutes ses dimensions. L'objectif est de questionner comment le droit et les juristes, en tant que praticiens du droit, peuvent contribuer à construire un monde meilleur en utilisant le droit dans sa finalité, qui est la construction des relations entre pouvoirs publics et acteurs privés. Pour moi, cette dynamique dans laquelle s'inscrit ce Grenelle est vraiment l'essence même de ce qu'est faire société ensemble.
Jean-Philippe Gille : C'est la cinquième édition du Grenelle du Droit, cela signifie donc qu’il existe une continuité, et que cette idée, portée par l'AFJE dès le départ, a pour but de permettre à l'écosystème des professions juridiques de réfléchir ensemble, et non pas en silo, à ce qu'est l'avenir de cet écosystème, dans toutes ses dimensions : rupture technologique, sourcing des talents, détection des grandes tendances, uniformisation de certains sujets. Par exemple, l'IA est un sujet clé. Chacune des professions a ses spécificités, mais nous avons aussi des préoccupations communes. Lorsqu'un juriste d'entreprise sollicite un avocat ou un notaire, les données fournies peuvent être traitées par des intelligences artificielles, nécessitant des prérequis communs pour assurer une gestion cohérente et efficace.
Vous avez évoqué la spécificité de cette cinquième édition, Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nathalie Dubois : Cette année, nous nous concentrons sur la gouvernance et les chocs auxquels notre société est confrontée : le choc digital, l'intelligence artificielle, le choc écologique et le choc géopolitique. Ces questions réinterrogent les finalités du droit, car nous ne faisons pas du droit pour faire du droit, mais pour servir quelque chose. Cette édition met en perspective les fondamentaux du Grenelle, qui sont l'évolution du métier, la formation et la fabrique du droit. C'est un moment stratégique pour faire le point sur notre progression, nous réaligner ensemble et ajuster notre trajectoire. Le Grenelle vise à donner un cap et permet de faire le point chaque année pour réajuster nos positions et avancer de manière cohérente.
Jean-Philippe Gille : En analysant l'écosystème juridique, nous devons examiner les tendances fortes et les éléments de modélisation. La géopolitique des conflits, par exemple, utilise le droit comme arme de conquête ou de déstabilisation. Cela concerne toute la filière économique et juridique. Le Grenelle du Droit vise à renforcer la filière juridique française dans un contexte géopolitique agressif, en protégeant le patrimoine immatériel des entreprises et en sécurisant l'activité économique par le droit.
Vous avez mentionné différents « chocs ». Comment le Grenelle du Droit peut-il apporter des réponses à ces défis ?
Nathalie Dubois : Le Grenelle du Droit contribue au débat sur ces enjeux à travers les thèmes définis dans les plénières et les ateliers. Avec le comité scientifique, nous avons identifié les points clés en termes d'injonctions contradictoires, de controverses et de dilemmes. L'intérêt du comité scientifique, composé de magistrats, d'avocats, de juristes d'entreprise et d'universitaires, est de regarder les problématiques sous un angle global. Par exemple, l'atelier sur la biodiversité et les droits de la nature aborde un sujet émergent qui suscite des interrogations au niveau des magistrats et des juristes d'entreprise. L'objectif est de partager nos visions pour agir concrètement.
Jean-Philippe Gille : Pour répondre à ces défis, le Grenelle du Droit doit formuler des recommandations communes à destination des politiques, en adoptant une approche pragmatique. Nous devons sortir des idées forces sur chaque thème et travailler dans le concret avec des groupes interprofessionnels dédiés. Une nouveauté cette année est l'extension du Grenelle parisien à une dimension nationale, en commençant par une délégation régionale en Bourgogne.
Quelles sont vos attentes pour ce Grenelle du Droit ?
Nathalie Dubois : Premièrement, il est crucial que les métiers du droit convergent sur l'identification des sujets fondamentaux à traiter. Deuxièmement, c'est une occasion unique de s'écouter mutuellement et de comprendre les problématiques des autres métiers du droit. Enfin, il est essentiel d'arriver à des pistes de réflexion et d'action concrètes. Le Grenelle est une plateforme pour créer du possible en favorisant les rencontres et en stimulant la pensée collaborative.
Ce qui est important, c'est de voir le Grenelle comme un acte militant pour le futur. Participer à cet événement est une responsabilité pour créer du possible ensemble. C'est une occasion de sortir de notre quotidien pour échanger, se rencontrer et construire des pistes de collaboration.
Jean-Philippe Gille : L'attente principale est que les professionnels se rencontrent et échangent avec passion et conviction. Un sujet clé est la protection des données face à l'IA, qui intéresse autant les magistrats que les avocats et les entreprises. Il est crucial de développer un sens de l'échange et de faire de la pédagogie, car le Grenelle est avant tout un partage d'intelligence.
En France, nous avons tendance à légiférer pour définir l'avenir de la filière. Cependant, la grande profession du droit émergera des actions quotidiennes des femmes et des hommes, pas d'un décret. Le Grenelle doit impulser une vision militante partagée, abordant les grands sujets ensemble, sans chercher à cadrer immédiatement les discussions.
Nous devons encourager la liberté d'expression et la créativité pour libérer les énergies et avancer ensemble. Cette approche, initiée par Marc Mossé et Stéphanie Fougou, est essentielle pour bâtir une filière juridique forte en France et à l'international. Chaque année, de nombreux professionnels passionnés par leur métier ressentent la nécessité de se rassembler pour aborder ces grands enjeux.
Pour conclure, il est crucial de structurer les échanges et de revenir sur les sujets abordés lors du Grenelle. Nous devons concevoir le Grenelle comme une forme de coopération, permettant d'évaluer les avancées sur les sujets traités. En récupérant les éléments des discussions, en les organisant et en poursuivant le travail ensemble, nous pourrons faire évoluer cette belle aventure humaine.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier